Sophie Cottin, née Ristaud ou Risteau (1770 − 1807)
Gravure de Bertonnier
Élevée à Tonneins, puis à Bordeaux, par une mère éprise de littérature et d’art, la jeune Sophie Ristaud partagea aisément cette passion. Douée d’un caractère réfléchi, d’une âme tendre et mélancolique, Sophie Ristaud accorda de bonne heure sa préférence aux pensées graves sur les affaires futiles. Sa conversation avait plus de solidité que d’éclat ; et comme d’ailleurs elle ne recherchait nullement les suffrages du monde, rien ne faisait soupçonner en elle ces dispositions brillantes et cette imagination si vive qui devaient se révéler plus tard dans son œuvre.
Mariée, en 1790, dès l’âge de dix-sept ans à un vieillard, M. Cottin, riche banquier de Paris, qui quitta Bordeaux pour venir habiter un luxueux hôtel de la capitale, rue du Mont-Blanc. L’accomplissement de ses devoirs, les soins de sa maison l’empêchèrent d’abord de se livrer à son goût naturel, mais loin d’éblouir Sophie Cottin, le tourbillon du monde n’entraîna pas son jeune âge. Au milieu de la société brillante qui l’entourait, elle garda ses goûts simples et modestes et sut apprécier à sa juste valeur les agitations du monde. Recueillie en elle-même, elle trouvait au fond de son cœur des jouissances mille fois plus pures et plus vraies. Ne rompant pas absolument avec le monde, elle sacrifiait volontiers ses goûts à ses devoirs en se partageant entre l’étude et les rapports de société. Son instinctive charité, son inépuisable sollicitude pour le malheur, que le hasard d’une grande fortune lui permettait de satisfaire à tout instant et sans réserve la rattachait surtout aux choses du dehors.
Trois ans après, en 1793, au plus fort de la Révolution, Cottin éprouva un tel saisissement d’avoir été dénoncé au club des Jacobins comme aristocrate que ceux qui vinrent pour l’arrêter, le lendemain matin, le trouvèrent mort dans son lit. Sophie Cottin restait veuve à vingt-trois ans et, de plus, à peu près ruinée ; la Révolution avait mis le désordre dans les affaires de son mari, et elle avait versé, en vain, une partie de sa fortune, à Fouquier-Tinville, président du Tribunal révolutionnaire, pour tenter de sauver deux membres de sa famille de l’échafaud. Après liquidation, elle eut tout juste de quoi vivre à Champlan, dans la vallée d’Orsay.
C'est dans cette maison qu'elle aura le courage de cacher Vincent-Marie Viénot de Vaublanc qui avait été condamné à mort par contumace le 25 vendémiaire, 17 octobre 1795, en tant que chef de la section royaliste du Faubourg Poissonnière. Sophie Cottin le reçoit par amitié pour Jean-Baptiste-Marie-François Bresson et sa femme.
Je trouvai encore mon digne ami, le généreux M. Bresson. Il me conduisit chez lui , et de là à la campagne, chez madame Cottin , dont sa femme était l'amie. J'y reçus la plus généreuse hospitalité.
La mort imprévue de son mari l’émut à peine et la trouva même indifférente. Cette perte détermina néanmoins tout-à-fait de la destinée de Sophie Cottin. La coïncidence de ce deuil avec les évènements politiques du moment ne fit qu’accroitre l’aversion de Sophie Cottin pour le monde et son goût naturel pour la retraite. Son caractère, habituellement triste et rêveur, emprunta de son affliction même une teinte encore plus mélancolique et pleine de charme. À peine âgée de vingt ans, elle en était à ne plus poursuivre l’apaisement de ses chagrins que dans l’amitié et l’étude. Privée, par un accident particulier à sa santé, d’enfants, et ne pouvant devenir mère, elle préféra s’isoler dans le deuil du veuvage plutôt que de se remarier.
Un modique revenu suffisait à ses simples besoins. Jusque-là Sophie Cottin n’avait guère eu l’idée de produire des ouvrages en public, et semblait même pressentir assez peu son talent. Elle se contentait d’épancher en secret les trésors de son imagination et de sa sensibilité; jetant çà et là sur le papier avec une grande facilité naturelle, et pour le seul besoin de son cœur, ses pensées de jeune femme. Ses amis et sa famille même ignoraient ces prémisses du talent que dissimulait sa modestie. Comme elle dédaignait l’occasion de faire briller son esprit, et n’éclatait jamais en saillies vives et abondantes, on la jugeait une femme admirablement simple et sensée, mais rien de plus, et sans apercevoir, sous son simplicité apparente, les germes efflorescents d’une riche organisation.
Une circonstance peu importante révéla tout à coup son mérite ignoré. Sophie Cottin entretenait avec une de ses cousines une correspondance suivie dans laquelle elle déployait sans effort, et au courant de la plume, tous les charmes de son imagination, toute l’éloquence de son cœur. Cette cousine avait été naturellement frappée à la lecture des lettres de sa jeune parente. Arrivée à Paris, et surprise de voir que de si brillantes facultés restaient méconnues, elle donna sans peine les preuves de sa vive et juste admiration. Mais ceci n’altéra pas la pudique réserve Sophie Cottin qui n’ambitionnait que de plaire à ceux qui l’entouraient. Le public l’effarouchait et elle résista longtemps aux plus instantes sollicitations avant de céder à une publicité dont elle n’ignorait pas les dangers en franchissant le cercle étroit de l’intimité pour affronter le plein jour.
De premières et secrètes esquisses, des fragments, des essais divers, avaient mis Sophie Cottin sur la trace définitive du genre qui l’attirait plus spécialement. Le cœur rempli d’idées, ne puisant à d’autre source qu’elle-même, écrivant avec facilité et abandon, son rôle fut tout d’abord d’exprimer des sentiments naturels, sincères, vifs, profonds, jaillissants. Le pathétique vrai et plein d’ardeur qui anime ses ouvrages de Sophie Cottin émane de cette intime fusion de la mélancolie, de la vertu et de l’amour, éléments simples, mis en œuvre naturellement et presque sans art.
Une bonne action fut l’occasion pour Sophie Cottin d’exprimer enfin un talent qu’elle ignorait encore lorsqu’un de ses amis, par suite des événements de l’époque et de quelques revers particuliers, fut proscrit. Les ressources pécuniaires de Sophie Cottin étaient alors peu étendues, mais, en quelques semaines, celle-ci écrivit Claire d'Albe, et le produit de ce roman, créé sous l’impression en quelque sorte d’un récit confidentiel, et écrit tout d’un trait, en moins de quinze jours, sans retouche ni hésitation, publié sans nom d’auteur en 1798, fut consacré à soulager l’infortune de son ami obligé de quitter la France.
Sophie Cottin a relaté les circonstances qui donnèrent lieu à ce premier ouvrage : « Le dégoût, le danger ou l’effroi du monde, dit-elle, ayant fait naître en moi le besoin de me retirer dans un monde idéal, déjà j’embrassais un vaste plan qui devait m’y retenir longtemps, lorsqu’une circonstance imprévue, m’arrachant à ma solitude et à mes amis, me transporta sur les bords de la Seine, aux environs de Rouen, dans une superbe campagne, au milieu d’une société nombreuse. Ce n’est pas là que je pouvais travailler, je le savais : aussi avais-je laissé derrière moi tous mes essais. Cependant la beauté de l’habitation, le charme puissant des bois et des eaux, éveillèrent mon imagination et remuèrent mon cœur. Il ne me fallait qu’un mot pour tracer un plan, ce mot fut dit par une personne de la société, etc. » Sa modestie redoutant l’éclat et le bruit, ses ouvrages suivants ne portèrent longtemps d’autre indication que : « par l’auteur de Claire d’Albe ».
Le grand succès de Malvina (1800), composition animée d’une vive sensibilité, et le triomphe encore plus éclatant du roman si vrai, si touchant d’Amélie Mansfield (1802), ne permirent plus à Sophie Cottin de garder le secret sur sa condition d’auteure que les préjugés de son époque regardaient de façon si défavorable. Toutefois, en acceptant le renom d’écrivaine, Sophie Cottin ne répondit jamais aux critiques de ses productions qu’en cherchant à les perfectionner. Néanmoins, bien que joignant à son talent de prosatrice celui de composer des vers agréables, jamais elle ne consentit à imprimer ceux-ci, car elle songeait que quelques bons sentiments pourraient naître de la lecture de ses ouvrages alors que;’elle se serait crue sans excuse de ne chercher qu’une réussite d’amour-propre dans la publication de poésie.
Élisabeth ou les Exilés de Sibérie (1806), production la plus touchante peut-être qui ait été tracée par le cœur, ajouta encore à sa renommée. Mathilde ou Mémoires tirés de l’histoire des croisades n’était sans doute que le premier essai d’un plus vaste dessein, mais le terme de ses travaux, et bientôt de ses jours, était déjà marqué. Une maladie mortelle, accompagnée de souffrances de plusieurs mois, vint l’atteindre dans la retraite qu’elle s’était choisie. On a dit qu’une passion ardente et non partagée en avait été la première cause.
Les romans de Sophie Cottin ont eu de nombreuses éditions. Toujours préoccupée du désir d’être utile, elle avait entrepris un roman sur l’éducation ; elle a aussi laissé inachevé un ouvrage intitulé : la Religion prouvée par le sentiment, qui explique comment, née dans le culte réformé, elle exalta souvent le catholicisme, dont elle se complut à décrire avec enthousiasme les cérémonies et les pratiques.
On joint d’ordinaire aux œuvres de Sophie Cottin un petit poème en prose intitulé la Prise de Jéricho, composé dans l’intervalle d’un roman à l’autre, et d’abord inséré dans le premier volume des Mélanges de Jean-Baptiste Suard. Dans ce récit des aventures de la juive Rahab, Sophie Cottin a tenté d’imiter le langage de la Bible et le style figuré de l’Orient.
Une maladie cruelle vint surprendre Sophie Cottin au milieu des projets, des perfectionnements qu’elle ne cessait de méditer. Après trois mois de souffrances aiguës qu'elle supporta avec résignation, elle mourut, âgée de trente-quatre ans, laissant inachevé un roman sur l’éducation, dont elle attendait la seule gloire à laquelle, dans sa pensée, une femme dût prétendre. Sa tombe se trouve au Père Lachaise, 39e division.