Marie Gouze dite Marie-Olympe de Gouges (1748 – 1793)

 

 

Née le 7 mai 1748 à Montauban, Marie Gouze a été déclarée fille de Pierre Gouze, bourgeois de Montauban, qui ne signe pas au baptême, et d’Anne-Olympe Mouisset, fille de drapier, mariés en 1737. Or cette dernière, née en 1712, filleule de Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, le célèbre antagoniste de Voltaire et d’Olympe Colomb de La Pomarède, avait été aimée de son parrain guère plus âgé qu’elle et, selon le député Poncet-Delpech et d’autres, « tout Montauban » savait que Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, était le père adultérin de la future Marie-Olympe de Gouges.

 

En 1765, elle s’appelait encore Marie Gouze lorsque, âgée de dix-sept ans, elle fut mariée à un traiteur parisien, Louis-Yves Aubry, qui était officier de bouche de l’Intendant, et probablement client de la boucherie familiale des Gouze. Quelques mois plus tard, la jeune femme devint mère d’un petit garçon, Pierre, et presque aussitôt veuve. Déçue par une expérience conjugale qui ne lui avait guère apporté de bonheur sinon ce fils qu’elle aima toujours tendrement, elle ne renouvela pas l’expérience du mariage au prétexte que c’était le tombeau de la confiance et de l’amour. Elle porta couramment les prénoms de « Marie-Olympe » (signant plusieurs textes ainsi) ou, plus couramment, d’« Olympe », ajoutant une particule à son patronyme officiel « Gouze » que l’on trouve parfois écrit « Gouges », graphie adoptée par certains membres de sa famille dont sa sœur aînée Mme Reynard, née « Jeanne Gouges ». Rien ne la rattachant à Montauban sinon sa mère qu’elle aida financièrement par la suite, désirant rejoindre cette sœur aînée épouse de médecin à Paris, Marie Gouze, dite Olympe de Gouges quitta Montauban au début des années 1770, emmenant avec elle son fils Pierre, futur général des armées de la République à qui elle fit donner une éducation soignée.

 

À Paris, elle partagea la vie d’un haut fonctionnaire de la marine rencontré à Montauban, Jacques Biétrix de Rozières, qui était aussi directeur d’une puissante compagnie de transports militaires en contrat avec l’État. Il la demanda en mariage, ce qu’elle refusa, mais leur liaison dura jusqu’à la Révolution. Il est donc inexact d’affirmer avec ceux qui méconnaissent le contexte que Marie-Olympe de Gouges était une « courtisane ». Elle eut quelques passades, des coups de cœur, ainsi qu’elle le reconnaît ici et là dans ses écrits, mais sans commune mesure avec le libertinage pratiqué à Versailles et dans les milieux de la haute bourgeoisie parisienne. Grâce à Jacques Biétrix de Rozières, qui la considérait un peu comme sa femme, elle eut une véritable aisance financière dans les années qui précédèrent la Révolution, ce qui lui permettait de mener un train de vie bourgeois (elle figura dès 1774 dans l’Almanach de Paris ou annuaire des personnes de condition).

Dégagée de soucis matériels, elle s’essaya à écrire des pièces de théâtre, la passion de toute sa vie. Le théâtre était un important support des idées nouvelles et les théâtres étaient par conséquent sous le contrôle étroit du pouvoir. La Comédie française où, avec la Comédie italienne, l’on jouait des pièces à texte, avait une réputation extraordinaire dans toute l’Europe et c’était un très grand honneur, pour un auteur dramatique, d’avoir une pièce inscrite à son répertoire.

 

Indépendamment de son théâtre politique qui a été joué à Paris et en province sous la Révolution, la pièce qui rendit célèbre Olympe de Gouges est l’Esclavage des Noirs publié sous ce titre en 1792, inscrite au répertoire de la Comédie-Française le 30 juin 1785 sous le titre de Zamore et Mirza, ou l’heureux naufrage. Elle avait été acceptée du bout des lèvres au Théâtre français, après bien des avatars il est vrai, grâce à la bienveillante protection de Charlotte Béraud de La Haye, marquise de Montesson, grande dame des Lumières, épouse morganatique du duc d’Orléans, père du future Philippe-Égalité. Cette pièce de théâtre dont le but avoué était d’attirer l’attention publique sur le sort des Noirs esclaves des colonies, avait, malgré sa modération, quelque chose de très subversif dans le contexte de la monarchie absolue. Le Code Noir était en vigueur et de nombreuses familles représentées à la cour tiraient une grande partie de leurs revenus des denrées coloniales. Olympe de Gouges eut fort à faire pour défendre sa pièce contre les vents contraires du despotisme et la mauvaise volonté des comédiens français qui étaient sous la dépendance directe des gentilshommes de la Chambre, donc de la cour. Les choses s’étaient d’ailleurs envenimées au point que le baron de Breteuil et le maréchal de Duras s’étaient entendus, dès septembre 1785, pour envoyer Olympe de Gouges à la Bastille et rayer la pièce du répertoire. Grâce à d’autres protections peut être celle du marquis de Cubières, écuyer et confident de Louis XVI, frère du chevalier de Cubières, elle y échappa et c’est seulement grâce aux événements de 1789 - la Comédie était devenue plus autonome grâce à Talma et Mme Vestris - que la pièce, inscrite quatre ans plus tôt au répertoire, fut jouée. Malgré les changements politiques, le lobby colonial n’avait pas désarmé, et Olympe de Gouges, soutenue par ses amis du Club des Amis des Noirs, eut à lutter contre le harcèlement, les pressions et les menaces physiques. Elle était courageuse et maintint le cap qu’elle s’était fixé et composa une autre pièce sur le même thème, intitulée le Marché des Noirs (1790). Elle avait par ailleurs publié en 1788 des Réflexions sur les hommes nègres (1788) qui lui avaient ouvert la porte de la Société des amis des Noirs dont elle fut membre. Au titre d’abolitionniste, elle a également été citée par l’abbé Grégoire, dans la « Liste des Hommes courageux qui ont plaidé la cause des malheureux Noirs » (1808).

 

En 1788, elle se fait remarquer en publiant deux brochures politiques qui ont été très remarquées et discutées en leur temps, notamment dans le « Journal général de France » ainsi que dans d’autres journaux. Elle développe alors un projet d’impôt patriotique dans sa célèbre Lettre au Peuple et a proposé un vaste programme de réformes sociales et sociétales dans ses Remarques patriotiques. Ces écrits sont suivis de nouvelles brochures qu’elle adresse sans discontinuer aux représentants des trois premières législatures de la Révolution, aux Clubs patriotiques et à diverses personnalités dont Mirabeau, La Fayette et Necker qu’elle admirait particulièrement. Ses positions sont toujours très proches de celles des hôtes de Mme Helvétius, qui tenait salon à Auteuil, et où l’on défendait le principe d’une monarchie constitutionnelle. En relation avec le marquis de Condorcet et son épouse née Sophie de Grouchy, elle rejoint les Girondins en 1792. Elle fréquente les Talma, le marquis de Villette et son épouse, également Louis-Sébastien Mercier et Michel de Cubières, secrétaire général de la Commune après le 10 août, qui vivait maritalement avec la comtesse de Beauharnais, auteur dramatique et femme d’esprit. Avec eux, elle devient républicaine comme d’ailleurs beaucoup de membres de la société d’Auteuil qui pratiquement tous s’opposèrent à la mort de Louis XVI. Le 16 décembre 1792, Mme de Gouges s’offre pour assister Malesherbes dans la défense du roi devant la Convention, mais sa demande est rejetée avec mépris. Elle considérait que les femmes étaient capables d’assumer des tâches traditionnellement confiées aux hommes et régulièrement, pratiquement dans tous ses écrits, elle demandait que les femmes soient associées aux débats politiques et aux débats de société. Ainsi, elle écrit : « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle devrait aussi avoir le droit de monter à la tribune. » La première, elle obtient que les femmes soient admises dans une cérémonie à caractère national, « la fête de la loi » du 3 juin 1792 puis à la commémoration de la prise de la Bastille le 14 juillet 1792.

 

Olympe de Gouges défend avec ardeur les droits des femmes. S’étant adressée à Marie-Antoinette pour protéger « son sexe » qu’elle disait malheureux, elle rédige la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, calquée sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans laquelle elle affirme l’égalité des droits civils et politiques des deux sexes, insistant pour qu’on rende à la femme des droits naturels que la force du préjugé lui avait retiré. À cette époque, le suffrage est censitaire car il faut payer trois journées de travail pour voter. Seuls les privilégiés peuvent voter : la majorité du peuple français, dont les hommes, ne vote donc pas. Elle demande la suppression du mariage et l’instauration du divorce qui est adopté quelques mois plus tard. Elle émet à la place l’idée d’un contrat signé entre concubins et milite pour la libre recherche de la paternité et la reconnaissance des enfants nés hors mariage.

Elle est aussi une des premières à théoriser, dans ses grandes lignes, le système de protection maternelle et infantile que nous connaissons aujourd’hui par la création de maternités. De plus, elle recommande la création d’ateliers nationaux pour les chômeurs et de foyers pour mendiants qui se rapprochent des foyers d’hébergements actuels.

 

En 1793, elle s’en prit vivement à ceux qu’elle tenait pour responsables des atrocités des 2 et 3 septembre 1792 (« le sang, même des coupables, souille éternellement les Révolutions », disait-elle), désignant particulièrement Marat, l’un des signataires de la circulaire du 3 septembre 1792 proposant d’étendre les massacres de prisonniers dans toute la France. Soupçonnant Robespierre d’aspirer à la dictature, elle l’interpella dans plusieurs écrits ce qui lui valut une dénonciation de Bourdon de l'Oise au club des Jacobins. Dans ses écrits du printemps 1793, elle dénonça inlassablement la montée en puissance de la dictature montagnarde, partageant l’analyse de Vergniaud sur les dangers de dictature qui se profilaient, surtout avec la mise en place d’un Comité de salut public, le 6 avril 1793, qui s’arrogeait le pouvoir d’envoyer les députés en prison. Après la mise en accusation du parti girondin tout entier à la convention, le 2 juin 1793, elle adressa au président de la Convention une lettre pleine d’énergie et de courage, s’indignant de cette mesure attentatoire aux principes démocratiques (9 juin 1793). Ce courrier fut censuré en cours de lecture. S’étant mise en contravention avec la loi de mars 1793 sur la répression des écrits remettant en cause le principe républicain (elle avait rédigé une affiche à caractère fédéraliste ou girondin sous le titre « Les Trois urnes ou le Salut de la patrie, par un voyageur aérien »), elle fut arrêtée et déférée au tribunal révolutionnaire le 6 août 1793 qui l’inculpa.

 

Malade des suites d’une blessure infectée à la prison de l’abbaye de Saint-Germain-des-Près, réclamant des soins, elle fut envoyée à l’infirmerie de la petite Force, rue Pavée dans le Marais, partageant la cellule d’une condamnée à mort en sursis, Madame de Kolly, qui se prétendait enceinte. En octobre suivant, elle obtint son transfert dans la maison de santé de Marie-Catherine Mahay, sorte de prison pour riches où le régime était plus libéral et où elle eut semble-t-il, une liaison avec un des prisonniers. Il lui aurait alors été facile de s’évader mais, désirant se justifier des accusations pesant contre elle, elle réclama publiquement son jugement dans deux affiches très courageuses qu’elle réussit à faire sortir clandestinement de prison et imprimer pour qu’elles fussent largement diffusées (« Olympe de Gouges au Tribunal révolutionnaire » et « Une patriote persécutée », son dernier texte, très émouvant).

 

Traduite au Tribunal au matin du 2 novembre, soit quarante-huit heures après l’exécution de ses amis Girondins, elle fut interrogée sommairement. Elle fut privée d’avocat et, malgré cela, conservant tout son à propos, elle se défendit avec beaucoup d’adresse et d’intelligence. Condamnée à la peine de mort pour avoir tenté de rétablir un gouvernement autre que un et indivisible, elle fut conduite à l’Hospice du Tribunal où les médecins se montrèrent dans l’incapacité de dire si elle était ou non enceinte. Dans le doute, Fouquier-Tinville et tous les historiens qui comme Michelet ont pris la « conviction » de l’accusateur public pour argent comptant, ont décidé qu’il n’y avait pas grossesse. Le jugement était désormais exécutoire et Olympe de Gouges profita des quelques instants qui lui restaient pour écrire une très belle lettre à son fils. Il ne la reçut jamais car elle fut interceptée par Fouquier-Tinville qui collectionnait les lettres d’adieu des condamnés à mort. D’après un inspecteur de police en civil, le citoyen Prévost, présent à l’exécution, et d’après le Journal de Perlet ainsi que d’autres témoignages, elle est montée sur l’échafaud avec infiniment de courage et de dignité contrairement à ce que raconte au XIXe siècle l’auteur des mémoires apocryphes de Sanson et quelques historiens dont Jules Michelet.

 

Sa dernière lettre est pour son fils, l’adjudant général Aubry de Gouges, qui, par crainte d’être inquiété, la renia dans une « profession de foi civique ». Dans sa Déclaration des Droits de la Femme, elle avait écrit de façon prémonitoire « la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ». Le procureur de la Commune de Paris, Pierre-Gaspard Chaumette, applaudissant à l’exécution de plusieurs femmes et fustigeant leur mémoire, évoqua cette « virago, la femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes (...) Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois. Et, dit-il aux républicaines, vous voudriez les imiter ? Non ! Vous sentirez que vous ne serez vraiment intéressantes et dignes d’estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. » Ce morceau d’anthologie de la prose anti-féministe, chef d’œuvre de démagogie où les notions de nature et de respect dont détournées, qui coïncide avec l’interdiction pour les femmes de s’associer et de se rassembler et avec la suppression des « académies » où s’ébauchaient de puis peu, dans les arts et les lettres un début de reconnaissance de leur créativité, ouvrit pour les Françaises une longue période de non droits et d’infantilisation.

 

 

 

Sources