Compagnie de Jésus (ordre des Jésuites)

 

 

Converti après une jeunesse assez mondaine et un brillant début de carrière militaire, Ignace de Loyola (1491-1556), gentilhomme basque espagnol, ressent après divers tâtonnements un appel à aider les âmes (selon ses propres termes) et servir le Christ. Cela le conduit à faire des études de théologie à l'université de Paris, et progressivement à rassembler autour de lui des amis dans le Seigneur prêts à travailler pour la plus grande gloire de Dieu (devise qui deviendra célèbre en latin: Ad maiorem Dei gloriam ou AMDG, dans l'Église).

Ainsi, le 15 août 1534, Ignace de Loyola et six autres étudiants, dont François Xavier et Pierre Favre, le premier prêtre ordonné de la Compagnie, se retrouvent à Montmartre, et décidant de se consacrer à Dieu, de faire vœu de pauvreté et de chasteté, et fondent la Societas Iesu (s.j.), connue en français sous le nom de « Compagnie de Jésus ». Ignace a suggéré que leur fraternité prenne le titre de Compagnie de Jésus pour qu'il rappelle en permanence à ces religieux leur engagement militant et sans réserve au service du Christ. Dans la bulle pontificale de fondation en 1540, c'est pourtant, le terme latin Societas Iesu qui fut utilisé. Le terme Jésuite apparaîtra peu après en 1545 avec une connotation péjorative donnée par les Luthériens.

Ignace et ses compagnons partent en 1537 pour l'Italie afin d'obtenir la reconnaissance de leur ordre par le pape Paul III, ce qu'ils obtiennent par la bulle Regimini militantis ecclesiae en 1540. Le 21 juillet 1550, le pape Jules III dans sa bulle "Exposcit debitum" confirmera la Compagnie de Jésus.

Une réforme de l'Église, espérée et attendue depuis des années, était rendue plus urgente encore par les succès de la réforme protestante: ce fut l'objet de la convocation du Concile de Trente où les Jésuites prendront une part importante, puis du mouvement de la Contre-Réforme.

À ses débuts, la Compagnie s'occupait essentiellement d'activités missionnaires, mais elle se tourna dès 1547 vers l'enseignement, qui devint son activité principale vers la fin du XVIe siècle. Un collège fut ouvert à Rome en 1551 alors que des membres étaient déjà au Congo, au Brésil et en Angola. L'activité éducative des Jésuites s'étendit aussi dans l'Empire ottoman, avec notamment le Lycée Saint-Benoît établi en 1583.

À la mort d'Ignace de Loyola (1556), la Compagnie comptait plus d'un millier de membres. Soixante ans plus tard, elle en regroupait treize mille dans toute l'Europe.

Les Jésuites vont tenter de convertir l’Extrême-Orient et les indigènes aux Amériques.

François Xavier arrive à Goa en 1542 et au Japon le 27 juillet 1549. Le samouraï Mitsuhide Akechi leur accorde le fief de Nagasaki en 1580. Mais le Japon est alors dans une période de transition politique instable et Hideyoshi Toyotomi leur retire ce fief dès 1587 et les expulse du pays.

En 1582, commence la mission jésuite en Chine. Le père Matteo Ricci est reconnu comme un pair par les mandarins, fonctionnaires lettrés chinois et devient de fait le premier sinologue. Alexandre de Rhodes romanise l'alphabet vietnamien en 1623. Deux missionnaires jésuites, Johann Grüber et Albert Dorville atteignent Lhassa au Tibet en 1661.

Aux Amériques, les Jésuites s'installent à Mexico en 1572, àQuébec en 1625. Ils participent aux missions espagnoles de Californie. En Amérique du Sud, particulièrement au Brésil et au Paraguay, la mission jésuite suscite la réprobation des colons espagnols et portugais puisqu'elle s'oppose au système esclavagiste des encomiendas. Les Jésuites créent des réductions, centres dans lesquelles les indigènes sont alphabétisés et christianisés, et par là soustraits aux planteurs. La première est créée dès 1609 chez les Indiens guaranis (voir le film Mission dénonçant l'esclavagisme et l'impérialisme des colons face aux Indiens). On doit aussi aux Jésuites la fondation de plusieurs villes, dont São Paulo en 1554.

Dans ces régions du monde, la Compagnie lutte contre l'influence protestante. Très engagée dans la Contre-Réforme, elle s'oppose à la Révolution copernicienne et aux prises de position de Galilée par la voix de Robert Bellarmin en particulier. C'est dans les Pays-Bas espagnols (dont les protestants des Provinces-Unies ont fait sécession au cours du XVIe siècle) qu'ils sont les plus nombreux proportionnellement à la population. On leur attribue le tracé de la première Frontière linguistique, séparant Wallons et Flamands dans ce qui deviendra la Belgique.

Mais le protestantisme ou la nouvelle science ne sont pas ses seules sources d'inquiétude. La Compagnie doit faire face à de violentes persécutions dues à sa nouveauté, à son soutien inconditionnel au pape, à l'efficacité de son organisation centralisée, et à ses positions théologiques. Bien qu'elle soit influente auprès des souverains d'Europe et de la haute noblesse, que ses plus hauts dignitaires confessent, les intérêts économiques des colons finiront par l'emporter : l'ordre est dissous sur les terres espagnoles et portugaises en 1767.

En 1580, les Jésuites installèrent une Maison Professe à Paris, dans le quartier du Marais, qui accueillit les meilleurs théologiens et scientifiques.

On décida de construire une grande chapelle à côté de la maison professe, l'église Saint-Louis (aujourd'hui église Saint-Paul Saint-Louis). En mai 1641, le cardinal de Richelieu donna la première messe dans cette église. La noblesse venait écouter les sermons des prédicateurs. Madame de Sévigné allait à toutes les messes dans cette église pour écouter les sermons du père Louis Bourdaloue, célèbre prédicateur. On y entendait aussi la musique des grands compositeurs français de l'époque, Marc-Antoine Charpentier et Jean-Philippe Rameau notamment, qui y furent maîtres de musique.

En 1656-1657, à la demande des jansénistes, Blaise Pascal attaqua les Jésuites dans Les Provinciales sur la question de la casuistique. Marc Fumaroli nota à ce sujet[réf. nécessaire] :

« La modernité jésuite, à l'épreuve de la France, apparut à la fois choquante et démodée, et la fidélité jésuite à Aristote, à Cicéron, à saint Thomas, sembla impure et équivoque. Bien qu’ils fussent en fait, par leur encyclopédisme, les derniers tenants de l'Antiquité vivante, les jésuites passèrent pour traîtres à l'Antiquité. Bien qu'ils fussent par leur adaptation aux réalités du monde de la Renaissance, les premiers historiens, sociologues et ethnologues du catholicisme, ils furent tenus pour ses pires réactionnaires… »

En 1614, un jésuite polonais, chassé de sa congrégation, publie pour se venger le livret Monita secreta societatis Jesu, un faux livre d'instructions aux jésuites' sur la manière de se comporter pour augmenter le pouvoir et les richesses de la Compagnie. Ce mythe va imprégner les esprits, et notamment les esprits libéraux des XVIIIe et XIXe siècle.

En 1704 et 1742, le pape interdit les rites chinois empreints de syncrétisme que les missionnaires jésuites respectaient en Asie.

En France, les Jésuites ont à subir les attaques des jansénistes gallicans et parlementaires, puis de l'athéisme des philosophes de l’Encyclopédie auxquels ils répondent avec leur Journal de Trévoux et leur Dictionnaire de Trévoux, pour finir par être interdits et bannis de France en 1763-1764, et leurs deux cents collèges fermés. Ils venaient d'être chassés du Portugal en 1759, et le seront encore d'Espagne en 1767. Cependant le roi Stanislas, avant 1766, les accueille dans son duché de Lorraine resté théoriquement indépendant du royaume de France.

L'opposition contre eux est tellement répandue, que le pape Clément XIV en vint, en 1773, à prendre la décision de supprimer l'ordre partout dans le monde, sauf en Russie où la tsarine Catherine II avait interdit la promulgation de la bulle papale et en Prusse où le roi protestant Frédéric II, eut l'habileté de marquer sa désapprobation au pape, tout en profitant de l'aubaine que constituait tous ces savants et ces professeurs pour organiser l'enseignement et la recherche dans ses États.

La bulle débutait par la clause ad perpetuam rei memoriam et on pouvait y lire : « Il est à peu près impossible que, la société des jésuites subsistant, l'Église puisse jouir d'une paix véritable et permanente ».

L'Ordre fut rétabli en 1814, mais les attaques continuèrent tout au long du XIXe siècle :

En France, les Jésuites furent bannis à nouveau en 1880, puis à nouveau avec les autres congrégations en 1901.

En Suisse, c'est seulement en 1973 que fut abrogée l'interdiction constitutionnelle de l'activité des Jésuites. L'interdiction remontait à 1848 et fut à l'origine de la Guerre du Sonderbund et de la Suisse moderne. Avec le Kulturkampf pour toile de fond, le bannissement des Jésuites avait été confirmé par les articles d'exception lors de la révision constitutionnelle de 1874.

Ces bannissements n'empêchèrent pas la Compagnie d'investir de nouveaux champs. Les missions reprirent en Amérique du Nord ou à Madagascar. Les Jésuites y fondèrent des universités au cours du XIXe siècle.

Neuf prêtres jésuites, dont cinq français, font partie des Justes parmi les Nations. Maurice Schumann déclara à la BBC au sujet de Pierre Chaillet : « Vous avez été notre 18 juin spirituel ! ».

Ils lancèrent par ailleurs des revues intellectuelles comme Études en France, Relations au Québec et la Civiltà Cattolica en Italie. Après la Seconde Guerre mondiale, les Jésuites allèrent finalement au Tchad ou au Japon.
 

Ignace de Loyola avait insisté pour que les membres de la Compagnie aient un bon niveau de culture générale. Très vite l'enseignement est devenu une activité importante : en 1548, à Messine (Sicile), s'ouvre la première maison de formation pour jeunes appelée "collège". En 1551, c'est la création du Collège Romain à Rome. À la mort du fondateur (1556), les Jésuites dirigent 45 collèges ; en 1580, il existe 144 collèges jésuites, dont 14 en France . L'expérience vécue dans les premiers collèges sera codifiée en une sorte de charte de l'éducation : le Ratio Studiorum.

Voltaire, qui a souvent prêché le pour et le contre et que Faguet a qualifié de « chaos d'idées claires », a écrit contre les Jésuites de nombreux passages que tout le monde connaît. Il a également écrit celui-ci que l'on connaît moins :

« J'ai été élevé pendant sept ans chez des hommes qui se donnent des peines gratuites et infatigables à former l'esprit et les mœurs de la jeunesse. Depuis quand veut-on que l'on soit sans reconnaissance pour ses maîtres ? Quoi! il sera dans la nature de l'homme de revoir avec plaisir une maison où l'on est né, le village où l'on a été nourri par une femme mercenaire, et il ne serait pas dans notre cœur d'aimer ceux qui ont pris un soin généreux de nos premières années ? Si des Jésuites ont un procès au Malabar avec un capucin, pour des choses dont je n'ai point connaissance, que m'importe ? Est-ce une raison pour moi d'être ingrat envers ceux qui m'ont inspiré le goût des belles-lettres, et des sentiments qui feront jusqu'au tombeau la consolation de ma vie ? Rien n'effacera dans mon cœur la mémoire du père Porée, qui est également cher à tous ceux qui ont étudié sous lui. Jamais homme ne rendit l'étude et la vertu plus aimables. Les heures de ses leçons étaient pour nous des heures délicieuses ; et j'aurais voulu qu'il eût été établi dans Paris, comme dans Athènes, qu'on pût assister à de telles leçons; je serais revenu souvent les entendre. J'ai eu le bonheur d'être formé par plus d'un Jésuite du caractère du père Porée, et je sais qu'il a des successeurs dignes de lui. Enfin, pendant les sept années que j'ai vécu dans leur maison, qu'ai-je vu chez eux? La vie la plus laborieuse, la plus frugale, la plus réglée ; toutes leurs heures partagées entre les soins qu'ils nous donnaient et les exercices de leur profession austère. J'en atteste des milliers d'hommes élevés par eux comme moi; il n'y en aura pas un seul qui puisse me démentir... »
    — Lettre au père de Latour; à Paris, le 7 février 1746.

 

Sources