Anne Thérèse de Marguenat de Courcelles, marquise de Lambert (1647 − 1733)

Fille unique d'Étienne de Marguenat, seigneur de Courcelles, et de sa femme, Monique Passart († 1692), Anne-Thérèse de Marguenat de Courcelles, perdit son père, maître-des-comptes à la chambre des comptes de Paris, en 1650, alors qu'elle n'était âgée que de trois ans. Elle fut élevée par sa mère, qui se signalait par la légèreté de ses mœurs, et par le second mari de celle-ci, le poète Bachaumont, qui lui inculqua l'amour de la littérature. « Toute jeune, écrit son ami Fontenelle, elle se dérobait souvent aux plaisirs de son âge pour aller lire en son particulier, et elle s'accoutuma dès lors, de son propre mouvement, à faire des extraits de ce qui la frappait le plus. C'étaient déjà ou des réflexions fines sur le cœur humain, ou des tours d'expression ingénieux, mais le plus souvent des réflexions. »

Le 22 février 1666, elle épousa Henri de Lambert, marquis de Saint-Bris, officier distingué qui devait être lieutenant général et gouverneur du Luxembourg. Leur union fut très heureuse et ils eurent deux enfants : un fils, Henri François, et une fille, Marie-Thérèse (†1731), par son mariage comtesse de Sainte-Aulaire. La marquise de Lambert devint veuve en 1686 et éleva ses deux enfants, encore jeunes, en soutenant de longs et pénibles procès contre sa belle-famille pour sauver leur fortune.

En 1698, elle loua la moitié nord-ouest de l'hôtel de Nevers, situé rue de Richelieu, à l'angle de la rue Colbert. À partir de 1710, dans son beau salon décoré par Robert de Cotte, elle lança son célèbre salon littéraire. Selon son ami l'abbé de La Rivière : « Il lui prit une tranchée de bel esprit [...] C'est un mal qui la frappa tout d'un coup et dont elle est morte incurable. » Elle recevait deux fois par semaine : les gens de lettres les mardis et les personnes de qualité les mercredis, sans chercher cependant à établir une barrière infranchissable entre les deux mondes ; tout au contraire, elle aimait intéresser la bonne société à la littérature et montrer aux écrivains les avantages de la fréquentation du monde, et les habitués pouvaient passer sans contrainte d'un jour à l'autre.

Les mardis commençaient vers une heure de l'après-midi. Après le dîner, qui était très fin, avaient lieu des « conférences académiques » sur un thème de philosophie ou de littérature. Les discussions politiques ou religieuses étaient absolument proscrites. Chaque invité se devait d'émettre une opinion personnelle ou de lire quelques morceaux de ses dernières œuvres : dès le matin, dit l'abbé de La Rivière, « les invités préparaient de l'esprit pour l'après-midi ». La maîtresse de maison, qu'on comparait à Minerve, dirigeait ce que les plus critiques appelaient un « bureau d'esprit ». Elle encourageait les littérateurs à la meilleure tenue morale et contribuait à orienter le mouvement des idées vers les formes nouvelles : c'est de son salon que partirent les attaques de Houdar de la Motte contre la règle des trois unités, contre les vers ou contre Homère, que Mme de Lambert trouvait ennuyeux, ce qui ne l'empêchait pas de recevoir des partisans des Anciens comme Anne Dacier, le Père d'Olivet ou Valincour.

Fort peu dévote, la marquise de Lambert soutint les Lettres persanes et parvint à faire élire Montesquieu à l'Académie française. Elle fut l'une des premières femmes du monde à ouvrir sa porte aux comédiens comme Adrienne Lecouvreur ou Michel Baron.

Fontenelle et Houdar de la Motte étaient les grands hommes de son célèbre salon, où l'on pouvait croiser aussi Marie-Catherine d'Aulnoy, la poétesse Catherine Bernard, l'abbé de Bragelonne, le père Buffier, l'abbé de Choisy, Mme Dacier, le mathématicien Dortous de Mairan, Fénelon, le président Hénault, Marivaux, l'abbé Mongault, Montesquieu, l'avocat Louis de Sacy, l'un des favoris de la maîtresse de maison, le marquis de Sainte-Aulaire, la baronne Staal, Madame de Tencin qui recueillit les hôtes de la marquise à sa mort en 1733 ou encore l'abbé Terrasson.

Le salon de la marquise de Lambert passait pour l'antichambre de l'Académie française. Selon le marquis d'Argenson, « elle avait fait nommer la moitié des académiciens ».

Mme de Lambert, dit Fontenelle, « n'était pas seulement ardente à servir ses amis, sans attendre leurs prières, ni l'exposition humiliante de leurs besoins ; mais une bonne action à faire, même en faveur des personnes indifférentes, la tentait toujours vivement, et il fallait que les circonstances fussent bien contraires, si elle n'y succombait pas. Quelques mauvais succès de ses générosités ne l'avaient point corrigée, et elle était toujours également prête à hasarder de faire le bien. »