Jean-Paul Marat (1743 – 1793)
Natif de Boudry, dans la principauté de Neuchâtel (prussienne à l'époque, et dont le territoire correspond à celui de l'actuel canton de Neuchâtel en Suisse), il était le fils de Jean-Baptiste Marat, un capucin défroqué d'origine sarde né à Cagliari en 1704 et dessinateur en indiennes converti au calvinisme, et de la genevoise Louise Cabrol ; il appartenait à une famille nombreuse.
Il quitta Neuchâtel et sa famille en 1759, après ses études au collège et devint précepteur des enfants d'un armateur bordelais. Après un séjour à Paris de 1762 à 1765 où il compléta ses études et acquit en autodidacte une formation de médecin, il se fixa à Londres, puis à Newcastle en 1770, où il exerça comme médecin et vétérinaire. Entre 1770 et 1772, il écrivit Les Aventures du jeune comte Potowsky, un roman épistolaire dans le goût du temps, qui demeure inédit. En 1772, il publia anonymement An Essay on the Human Soul, puis, après son retour dans la capitale britannique, en 1773, un second écrit philosophique, A Philosophical Essay on Man, qui fut réédité en 1775. Disciple de Rousseau, il attaqua plusieurs fois Helvétius, traité d'« esprit faux et superficiel », dans cet ouvrage, mais aussi Voltaire, qu'il qualifiait d'« inconséquent » et qui lui répondit par le persiflage dans un petit article paru dans le Journal de politique et de littérature le 5 mai 1777.
En mai 1774, Marat fit paraître à Londres les Chains of Slavery, qui s'inscrivait dans le contexte de la campagne électorale qui vit l'élection de John Wilkes comme alderman, puis Lord Maire de Londres.
Après un court séjour dans les Provinces-Unies (1774-1775) et l'obtention de son diplôme de médecin à l'Université de St Andrews (Écosse), le 30 juin 1775, il s'installa à Paris, où il publia en 1776 une édition française de son traité De l'homme. Le comte d’Artois lui octroya, le 24 juin 1777, le brevet de médecin de ses gardes du corps. Il ouvrit un cabinet d'expériences où il fit des recherches en physique expérimentale, en particulier sur la nature du feu, la lumière et l'électricité médicale. En août 1783, ce dernier thème lui valut d'être couronné par l'Académie de Rouen.
En 1779, Benjamin Franklin fut invité par son ami Jean-Baptiste Le Roy à assister chez le marquis Maximilien de Châteauneuf de L'Aubépine, dans son grand hôtel de la rue de Grenelle, aux expériences de Marat, qui voulait faire ses preuves aussi bien en physique qu'en médecine. En 1778, celui-ci avait présenté un mémoire sur la nature du feu, et Jean-Baptiste Le Roy qui avait été nommé membre de la commission chargée d'enquêter sur le bien-fondé des théories de Marat, avait réussi à y attirer Franklin: « Ayant exposé sa tête chauve au foyer du microscope solaire (instrument inventé par Marat), nous l'aperçûmes ceinte de vapeurs ondulantes qui se terminaient en pointes torses ; elles représentaient l'espèce de flamme que les peintres ont fait l'attribut du génie »
Ces recherches lui valurent des critiques de l'Académie des sciences de Paris.
Tombé malade en 1782, outre ses démêlés scientifiques, il connut des revers des fortunes, avant de perdre, en 1784 sa charge de médecin auprès du comte d'Artois. Dans les années 1780, Marat continua de soigner Claire de Choiseul, marquise de l'Aubépine de Châteauneuf (1751-1794) qui le soutenait financièrement et avec laquelle il aurait eu une liaison intéressée si l'on en croit les éditeurs de Jacques-Pierre Brissot.
« Quelques années aux appointements du comte d’Artois en qualité de médecin, Marat se lia, si l’on en croit le journal l’Observateur, avec le libraire Laurent qui passait pour l’âme damnée du ministre Calonne qui, à Londres, organisait la contre-révolution avec l’appui inavoué du gouvernement anglais. Le libraire Laurent aurait été même l’éditeur véritable de la feuille de Marat ».
Un autre contemporain qui connaissait particulièrement bien Marat et sa famille, l'ex-abbé Jean-Louis Giraud-Soulavie, un républicain qui fut envoyé comme ambassadeur « résident » à Genève en 1793 et 1794, confirme ces informations plus tard corroborées par Barère de Vieuzac :
« Marat sorti de Genève en 1782 et fanatisé à Londres où il retourna en 1790 car poursuivi par La Fayette, revint en 1791 se mettre à la tête des Cordeliers, principaux agitateurs de la populace. Ses deux collègues était Gasc, associé de d'Yvernois dans l'administration des subsides anglais, et Jannot-Lançon. C'est près de ces aventuriers que je fus envoyé par la République française et c'est contre eux que j'eus à lutter, surtout quand je leur prouvai que, sous le voile trompeur de leur démocratie, ils étaient le canal de la distribution dans Lyon des sommes envoyées par la cour de Londres aux chefs patriotes et aux chefs royalistes qui dévastèrent en 1793 ce point central de notre commerce. »
Il fut un temps pressenti, sans succès, pour fonder une académie à Madrid par le ministre Floridablanca, en 1788. Il souffrait de graves crises inflammatoires et croyait ses jours en danger. Il rédigea même son testament qu’il confia à l’horloger suisse Abraham Breguet
Le 25 juillet 1789, le comité de Constitution présentait à l’Assemblée, par la voix du député Mounier, un premier projet. À ce moment précis, Marat publie, début août, une feuille in-8° de 8 pages Le Moniteur patriote, entièrement consacrée à la critique du projet de Constitution, critique nourrie, entre autres, en référence au modèle anglais.
"Pour enchaîner les peuples, il faut les endormir." (Marat)
Le 12 septembre 1789, Marat publiait le premier numéro du Publiciste parisien, journal politique, libre et impartial journal quotidien connu sous le titre L’Ami du peuple. Il comportait normalement 8 pages in-8°, parfois 10 ou 12, quelques fois 16. De septembre 1789 à septembre 1792, Marat fera ainsi paraître près de mille numéros.
Marat fit deux voyages en Angleterre au temps de la Révolution. Le premier eut lieu dans les années 1790, et le second au printemps 1792. Lorsqu'il revint à Paris, Marat s'était détaché du duc d'Orléans, qu'il avait vivement défendu sous l'Assemblée constituante, jusqu'en juillet 1791, pour contribuer à développer désormais le mouvement encore embryonnaire de l'exagération révolutionnaire qui débuta de façon spectaculaire avec les massacres de septembre, se poursuivit toute l'année 1793 et se termina avec la fin de la Grande Terreur.
Après la journée du 10 août 1792, il appelle à la continuation de ses effets par en appelant à l’élimination des royalistes emprisonnés. À la différence de ses précédents appels au meurtre, il est cette fois suivi par une partie de la presse, notamment girondine. La publication de l’Ami du peuple cesse au 21 août, et son dernier appel au meurtre date du 19 ; il est cependant probable qu’au moins un placard anonyme du 26 août est de sa main.
A l'avant veille du 2 septembre 1792, celui-ci fut nommé adjoint au comité de surveillance de la Commune de Paris. Dans son journal, il racontait quelques de jours plus tôt que le peuple était en grande ébullition et que les responsables de la journée du 10 août 1792 étaient restés impunis[réf. souhaitée]. Il évoquait ceux et celles qui avaient assuré la défense du château des Tuileries et la protection de la famille royale. En fait, le tribunal du 17 août avait déjà commencé de fonctionner et trois serviteurs des Tuileries avaient été exécutés, en particulier Arnault de Laporte, l’intendant de la liste civile et l'écrivain Farmain du Rosoy. Les sectionnaires extrémistes trouvaient cependant que ce tribunal acquittait trop facilement, et jugeait trop lentement. À la fin août, les visites domiciliaires effectuées pour trouver des armes aboutirent à de nombreuses arrestations ; le 30 août 1792, les prisons de Paris étaient pleines.
Les révolutionnaires se rendirent alors aux prisons, et y massacrèrent, du 2 au 6 septembre, d’abord prêtres insermentés, puis gardes suisses et gardes du corps du roi, aristocrates suspectés de complot, enfin de nombreux prisonniers de droit commun (au total, il y eut environ 1500 morts). Dès le 3 septembre, il signe, et probablement rédige, la circulaire du 3 septembre imprimée sur ses presses et envoyée aux départements et municipalités de toute la France, et appelant à la généralisation des massacres. Cette circulaire et ses écrits violents ont fortement contribué à le faire tenir pour le principal responsable des massacres, mais cette vision des choses est abandonnée par les historiens depuis les années 1930 et les ouvrages de Gottschalk et Walter.
Les commissions d'enquête parlementaire réclamées par les Girondins tardèrent à se mettre en place.
Au mois de septembre 1792 les élections de la Convention nationale qui doit succéder à la Législative ont lieu, à deux niveaux, selon les prescriptions de la Constitution de 1791.
Le 9 septembre 1792, Marat est choisi par sa section pour être député de Paris à la Convention.
Au lendemain de la mort du roi, il prit l’offensive contre la faction dite des « Hommes d’État » c'est-à-dire les partisans de Brissot qu'il dénonça sans répit. Il s'en prit particulièrement à Lebrun-Tondu qu'il accusait d'entretenir des liens avec des « agents de l'étranger », notamment Édouard de Wackiers sa famille et les représentants de la banque internationale. Depuis qu'il avait été lu à la présidence des Jacobins, le 5 avril 1793, une circulaire appelant à l'insurrection et au coup d'État fut publiée sous sa signature. « La contre-révolution, affirmait-il, est dans la Convention nationale (...) Levons-nous, oui levons-nous tous ! Mettons en état d'arrestation tous les ennemis de notre Révolution et toutes les personnes suspectes. Exterminons sans pitié tous les conspirateurs si nous ne voulons pas être exterminés nous-mêmes (...) Dumouriez marche sur Paris pour rétablir la royauté (...) Aux armes ! » Le 17 avril, Guadet donna lecture de ce manifeste et, en conclusion, demanda l’arrestation de Marat.
Le décret d’arrestation de Marat fut émis par les conventionnels à la majorité de 220 voix contre 92. Quarante-huit membres se récusèrent au motif qu’ils étaient habituellement dénoncés dans les écrits de Marat.
Décrété de prise de corps, celui-ci fut traduit au Tribunal révolutionnaire le lendemain 13 avril. Mais les amis de Marat, très actifs et influents, firent retarder le début de la procédure afin de composer un jury qui fût favorable à l'accusé. On y trouve ses amis Didier Jourdeuil et Pierre Jacques Duplain.
Confronté le 24 avril à ses accusateurs et à ses défenseurs , Marat bénéficia d’un jury qui lui était acquis d'avance. Acquitté le 24 avril, Marat, couronné de lauriers, fut porté en triomphe par les agents du mouvement de l'exagération révolutionnaire.
Marat sur la même ligne que Barère défendit la guerre à outrance et combattit toute velléité de modération, de réconciliation et de négociation avec les puissances étrangères. Il était alors perçu par Thomas Paine et les conventionnels modérés comme l'allié objectif de William Pitt qui se félicitait du « soutien » de Marat à sa politique guerrière et à son rôle actif dans la première « saignée » - la proscription des Girondins - pratiquée au sein de la Convention. Au Parlement britannique, le Premier ministre arguait de l'instabilité du gouvernement français.[réf. souhaitée] Il était imprudent, prétendait-il, de traiter avec un comité « qui est changé et renouvelé tous les quinze jours », et dont les membres à supposer qu'ils voulussent conclure un arrangement, se trouvaient dans le cas d'être guillotinés ou pendus avant l'arrangement des ratifications. Le cabinet britannique rejetait donc toute tentative d'accommodement. « Si nous traitions avec Marat, avant la fin de la négociation, il retomberait dans la lie populaire dont il est sorti et laisserait la place à un scélérat encore plus désespéré que lui ».
Depuis le 3 juin 1793, Marat ne se présente plus à la Convention. L’évolution de sa maladie l’empêche de paraitre en public. D’après le docteur Souberbielle, l’origine du mal était herpétique. Le docteur Cabanès a avancé la probabilité d’une forme grave d’eczéma ou des conséquences d’un diabète. À partir du 20 juin, son état s’aggrave et l’oblige à prendre continuellement des bains pour le soulager.
Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armont, issue de la noblesse de Caen et descendante en droite ligne de Pierre Corneille, prend connaissance des événements révolutionnaires en rencontrant plusieurs députés girondins qui se sont réfugiés à Caen après leur mise en accusation par la Convention.
Le 11 juillet 1793, elle arrive à Paris dans l’intention d’assassiner Marat dans l’assemblée, mais doit revoir ses plans en ayant appris son absence à la Convention. Le 12 juillet, Marat reçoit la visite de députés jacobins, dont le peintre Jacques Louis David, qui sont les derniers à le voir vivant. Le 13 juillet Charlotte Corday se présente une première fois au domicile du tribun en fin de matinée mais Simone Évrard sa compagne refuse de la laisser entrer, elle essaye une deuxième fois d’entrer en contact sans succès, mais elle fait communiquer une lettre qu’elle a écrite donnant des informations sur un prétendu complot. À la troisième tentative, c’est Marat lui-même qui demandera qu’on la laisse entrer. Après un entretien qui, selon Simone Évrard dure environ un quart d’heure, Charlotte Corday sort un couteau et frappe Marat à la poitrine, le trajet de la lame qui traverse le poumon droit, l’aorte et le cœur, entraine sa mort.
Charlotte Corday est arrêtée sur les lieux du meurtre et, après son jugement par le Tribunal révolutionnaire, exécutée le 17 juillet 1793.
Le peintre et conventionnel Jacques-Louis David est chargé d’orchestrer les funérailles de Marat qui, surtout uni à Lepeletier de Saint-Fargeau, est présenté comme martyr de la Liberté, avec toute la phraséologie chère à l’époque. Cet épisode de communication intense ne durera que quelques mois, mais a eu un fort impact, y compris historiographique. Le 15 juillet, David prépare l’exposition du corps aux Cordeliers, mais l’état de décomposition, dû à une chaleur intense, ne permet pas de montrer Marat au public, le peintre décide de le recouvrir entièrement d’un drap, sauf la plaie causée par l’assassinat. Grand organisateur des fêtes, David prévoit pour le mardi 16 juillet 1793 un impressionnant cortège qui part vers 18 heures. Le convoi part de la rue des Cordeliers, passe par la rue de Thionville, le Pont-Neuf, le quai de la Ferraille et remonte jusqu’au Théâtre-Français, pour se rendre aux Cordeliers, où a lieu l’inhumation. Un peuple immense défila toute la nuit, à la lueur des flambeaux. Le Club des Cordeliers a demandé à déposer dans le lieu de ses séances le « cœur » de Marat. Dans les semaines qui suivent, des centaines d’hommages seront faits à l’Ami du peuple à travers la France et des statues des « martyrs » sont inaugurées un peu partout.
Marat est « panthéonisé » le 5 septembre 1794, mais dès le 8 février 1795, un nouveau décret précise que l’image d’aucun citoyen ne figurera plus dans l’Assemblée ou en un lieu public quelconque que dix ans après sa mort; ses restes sont inhumés dans le cimetière (disparu aujourd'hui) de Sainte-Geneviève, près l'église Saint-Etienne-du-Mont, le 26. Le tableau est rendu à son auteur qui le conservera jusqu’en 1820 date à laquelle il fut confié à Antoine-Jean Gros qui le cache à Paris jusqu'à la mort de David.
Suite à l’assassinat, plusieurs villes de France, comme Saint-Nazaire ou Le Havre se baptisèrent Marat. Ce fut l’affaire de quelques mois. On trouve, aujourd’hui encore, quelques traces de ces dénominations, des rues (Ivry-sur-Seine, Décines-Charpieu) portent son nom.
En 1921, le régime soviétique baptisera un cuirassé du nom de Marat, le prénom Marat est utilisé en Russie (par exemple, Marat Safin), et on repère des Marat (nom propre) en France, en Sardaigne (pays d’origine), en Italie, en Espagne.