Nicolas Edme Restif de La Bretonne (1734 − 1806)
Né le 23 octobre 1734 à Sacy, Restif est le fils aîné d’Edme Restif et de Barbe Ferlet. Le couple a huit autres enfants, en particulier Marie-Geneviève, née le 26 décembre 1738, et Pierre, né le 21 août 1744, qui prendra la succession de son père à la ferme. Riche laboureur, Edme achète la maison et le domaine de La Bretonne, à l’est de Sacy, le 12 mars 1740 ; la famille s’y installe en 1742.
Mis en pension chez sa demi-sœur Anne à Vermenton en juillet 1745, le jeune Nicolas va ensuite à Joux, chez le maître d'école Christophe Berthier, en octobre. Le 17 octobre 1746, il part pour Bicêtre, où, sous l’autorité de son demi-frère Thomas, clerc tonsuré, il est élève à l’école des enfants de chœur de l’hôpital. Obligés de quitter Bicêtre dans le cadre de la lutte du nouvel archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, contre le jansénisme, les deux frères regagnent Auxerre le 20 décembre 1747. À la fin du mois, Nicolas est à Courgis chez son demi-frère et parrain, curé du village. Là, il tombe amoureux en secret, en 1748, de Jeannette Rousseau, fille du notaire, qu'il songera longtemps à épouser, y compris après son divorce, alors qu'elle est déjà morte. Il commence, en 1749, à tenir ses cahiers, ou Memoranda, où il rédige ses premiers essais poétiques et deux actes d’une comédie latine en prose imitée de Térence.
Renvoyé par son demi-frère en novembre 1750 pour son insoumission et parce qu'il s'intéresse trop aux jeunes filles, il rentre à Sacy, où il se consacre pendant dix-huit mois aux travaux des champs.
Restif est, de santé très délicate, destiné à l’origine à l’Église, mais il semble qu’il soit plutôt un coureur de jupons, ce qui le fait renoncer à la prêtrise.
D’abord berger dans son village, ses parents l’envoient, le 14 juillet 1751, comme apprenti typographe à Auxerre chez l’imprimeur François Fournier où il tombe amoureux de l’épouse de son patron, Marguerite Collet, née en 1724, passée dans son œuvre sous le nom de « Collette Parangon » et se lie d'amitié avec Louis-Timothée Loiseau, arrivé en apprentissage le 15 juillet 1754. Devenu ouvrier typographe, il se rend à Paris en 1755, où il devient compagnon-imprimeur et entre à l'Imprimerie royale du Louvre le 22 septembre. Rejoint par Loiseau en septembre 1756, il travaille ensuite chez l'imprimeur Hérissant, rue Notre-Dame, et prend pension chez Bonne Sellier, rue Galande. En 1757, il se fait embaucher chez André Knapen, imprimeur d'affiches, de mémoires d'avocats et de pamphlets et s'installe dans une mansarde, rue Sainte-Anne-du-Palais.
Il a prétendu s'être marié en mars 1759 avec une jeune Anglaise, Henriette Kircher, désireuse d'acquérir la nationalité française dans le cadre d'un épineux procès d'héritage. Derrière ce conte, selon Daniel Baruch, se cacherait une affaire d'espionnage. L’Irlandais Théobald Taaffe, agent de Choiseul, l'aurait engagé, dans le cadre de la répression qui frappe les milieux des libraires et des imprimeurs dans les années 1757-1759, après l'attentat de Damiens contre Louis XV et dans le cadre des luttes anti-jansénistes, pour dénoncer les imprimeries clandestines à l'origine de placards hostiles au gouvernement.
Quoi qu'il en soit, il quitte Paris pour Dijon, avant de retourner chez Fournier, à Auxerre. Le 22 avril 1760, il se marie à Auxerre avec Agnès Lebègue[8], avec laquelle il a quatre filles, Agnès, Marie, Élisabeth, dite Élise ou Babiche, et Marie-Anne, dite Marion. En juin 1761, le couple s’installe à Paris, où Restif travaille dans diverses imprimeries jusqu'en 1767. Son père meurt le 16 décembre 1763, à l'âge de 73 ans. Après cet événement, les Restif se rendent à Sacy, où son frère Pierre a succédé à Edme et où Marion voit le jour. Laissant là sa femme et sa fille, Restif retourne peu après à Paris, où il travaille chez Quillau. Le couple se retrouve en 1765 et s'installe rue de la Harpe, avec leur aînée, Agnès. En 1766, Restif rencontre Pierre-Jean-Baptiste Nougaret.
Doué d’une imagination vive et souvent extravagante, d’un esprit observateur, et en même temps, d’un tempérament qui le porte à une vie de désordres sans frein, il étudie de près les mœurs populaires qu'il reproduit plus tard dans les plus grands détails quand il se met, dans les années 1760, à écrire.
En 1767, Restif publie sa première œuvre importante, la Famille vertueuse et abandonne son métier. Cette première œuvre est suivie entre autres du Paysan perverti (1775), qui contribue à le faire connaître, la Vie de mon père (1778), les Contemporaines (1780) qui le rend célèbre, la Paysanne pervertie (1784), les Parisiennes (1787), Ingénue Saxancourt (1789) et Anti-Justine (1793).
Par ailleurs, toujours en 1767, selon plusieurs biographes, ses activités d'espions cessent de concerner le milieu de l'imprimerie; il devient « mouche », ou indicateur, de police, ce qu’il serait resté jusqu’en 1789.
Enfin, Agnès Lebègue vend en 1767 des étoffes dans la région parisienne. À partir de 1768, Restif et sa femme vivent de plus en plus séparément. Après la mort de sa mère le 6 juillet 1771, à l'âge de 68 ans, Restif vend sa part de patrimoine à son frère Pierre en 1773, tandis que sa fille Agnès est placée chez une marchande de modes, voisine de la « tante Bizet », demi-sœur de l'écrivain, et qu'Agnès Lebègue part en province avec Marion.
Installé en 1776 au 44, rue de Bièvre (actuellement, n° 16-20), chez Mme Debée, dans un logement que lui laisse sa femme, il y rencontre en 1780 la jeune Sara, fille de sa logeuse, qui lui inspire notamment La Dernière aventure d'un homme de quarante-cinq ans (1783). En 1778, Agnès revient vivre auprès de son père, tandis que Marion est placée jusqu'en 1783. En 1779, Restif rencontre Beaumarchais, qui lui aurait proposé la direction de l'impression des œuvres de Voltaire à Kehl et avec lequel il entretient des relations aussi étroites que peu connues entre 1785 et 1791, peut-être liées à la succession du duc de Choiseul, l'homme d'affaires étant le principal syndic des créanciers.
La même année, comme il parcourt les rues de Paris et de l’île Saint-Louis, la nuit, se surnommant lui-même « le hibou », il commence à écrire sur les ponts et les murs. Après le mariage, le 1er mai 1781, d'Agnès Restif avec Charles-Marie Augé, un fils voit le jour le 28 décembre. Cependant, Restif quitte Sara et la rue de Bièvre, et s'installe 10, rue des Bernardins, où sa fille Marion vient le rejoindre le 2 janvier 1785. Puis, le 21 juillet, après une première fugue le 31 janvier, Agnès fuit le domicile conjugal et vient elle aussi s'installer chez son père. Peu après, le 26 novembre, Restif et sa femme se séparent définitivement.
Le 22 décembre 1786, « à sept heures du soir », Restif entreprend la rédaction des Nuits de Paris, qui témoigne, selon les spécialistes, de son emploi de « mouche » au service de la police royale; en effet, le texte fourmille d’indications de ses liens avec la police qu’il semble en mesure d’appeler à tout moment ; il se promène armé d'un bâton, de pistolets et vêtu d'un manteau bleu, uniforme des policiers ; il menace ceux qu’il interpelle d’en appeler à l’autorité, se rend sans cesse au corps de garde, etc.
En 1782, il fait la connaissance de Louis-Sébastien Mercier et de Grimod de La Reynière (avec lequel il rompt en 1792). Le 8 juin 1787, il se rend pour la première fois chez Fanny de Beauharnais, où il rencontre Cazotte et Cubières. En 1788, après une querelle avec le procureur Poincloud, « principal locataire », il s'installe au 11, rue de la Bûcherie, où il demeure jusqu'en 1797, avant de déménager au n° 9 de la même rue (actuellement, le n° 16), son dernier domicile.
À l’avènement de la Révolution, il est arrêté, le 14 juillet et le 29 octobre 1789, et conduit au corps de garde sur dénonciation d'Augé, qui l'accuse d'être un espion du roi. En 1790, il aménage chez lui une petite imprimerie; il imprime d'ailleurs une pièce de Mercier pour Bonneville, du Cercle social en 1792. En 1791, sa fille Marion épouse son cousin, le fils de Pierre, né en 1769, qui travaille avec Restif. Le 11 janvier 1794 est prononcé le divorce d'Agnès Restif et Augé, suivi le 15 juillet par la mort de l'époux de Marion, la laissant seule avec trois enfants. Puis, le 17 août, Agnès Lebègue met au monde un fils, né de sa liaison avec Louis Vignon. De son côté, séparé définitivement de sa femme depuis le 26 novembre 1785, il divorce le 4 février 1794. La même année, il décide d’écrire son autobiographie, Monsieur Nicolas, huit volumes échelonnés entre 1794 et 1797.
Durant la Terreur, il frôle l’arrestation. Témoin des événements de la Révolution, il fit paraître le Palais-Royal (1790), Les Nuits de Paris (1793). Malgré ses amitiés aristocratiques, ses écrits sont prudemment réorientés dans le sens du nouveau pouvoir.
Ruiné par la chute de l’assignat, et l’écriture le faisant à peine vivre, la Convention lui octroie en 1795 2 000 francs sur la somme allouée par le Gouvernement aux hommes de lettres dans le besoin. En avril-mai, il est hospitalisé pour une crise urinaire.
En 1796, il tente en vain de se faire admettre à l'Institut, mais reçoit un secours de cinq livres de pain par jour. Après l'installation de Marion et de ses trois filles chez lui en 1797, il participe à un concours ouvert par l’assemblée administrative de l’Allier et se voit nommer au poste de professeur d’histoire à l’école centrale de Moulins le 14 floréal an VI (3 mai 1798). Toutefois, ayant obtenu, le 20 avril 1798, un poste de premier sous-chef à la deuxième section de la deuxième direction au ministère de la Police générale, section des lettres interceptées, c'est-à-dire le Cabinet noir, rémunéré 4 000 francs par an, il reste à Paris. Toutefois, sous le Consulat, son service est supprimé, et il perd son emploi le 24 prairial an X (13 juin 1802), même s’il touche son traitement jusqu’au 12 août. Le 2 juillet les Posthumes et L'Enclos des oiseaux sont saisis chez lui. En 1803, il sollicite pension et secours, mais ne se voit accorder que 50 francs, qu'il ne reçoit d'ailleurs qu'en 1804. Après une nouvelle demande de secours en 1805, il meurt dans la misère le 3 février 1806. Ses restes sont inhumés le 5 février au cimetière Sainte-Catherine (actuellement, n° 58 à 66 du boulevard Saint-Marcel).
Agnès Lebègue meurt chez sa fille aînée le 29 août 1808, Agnès Restif en 1812, Marion en 1836. Le fils d'Augé devient imprimeur, celui de Vignon écrivain.