Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1675 − 1775)

 

 

Titré dans sa jeunesse vidame de Chartres, Louis de Rouvroy reçoit une éducation soignée. Il devient à cet époque ami du duc de Chartres, le futur Régent. Autre personnage qui joue un grand rôle dans sa vie : Rancé, l’abbé de La Trappe, voisin percheron proche de son père et qui joue pour Saint-Simon le rôle de mentor en matière de religion. Il s’intéresse surtout à l’histoire et aime la lecture, en particulier celles de mémoires, qui lui donnent l’« envie d’écrire aussi [les mémoires] de ce qu’[il] verrai[t], dans le désir et l’espérance d’être de quelque chose, et de savoir le mieux qu’[il] pourrai[t] les affaires de [s]on temps. » Il commencera à écrire ses futurs Mémoires en juillet 1694. Il ne néglige pas pour autant les exercices physiques équitation et escrime et manifeste le désir de servir à l’armée. En 1691, alors qu’il a 16 ans, son père, déjà âgé (86 ans) intrigue pour le faire entrer dans les mousquetaires gris et il participe en 1692 au siège de Namur. Peu de temps après, Louis XIV lui donne la troisième compagnie de cavalerie du Royal-Roussillon.

 

En avril 1693, son père meurt et il devient duc et pair à 18 ans. Peu de temps après, Louis achète le régiment Royal-Carabiniers et devient mestre de camp. Ses responsabilités militaires passent pourtant au second plan face aux responsabilités de la pairie. Saint-Simon prend son nouveau rang très à cœur, et s’engage rapidement dans un grand procès contre le maréchal-duc de Luxembourg, qui veut faire modifier son rang parmi les pairs. Il s’indigne aussi du « rang intermédiaire » accordé aux bâtards de Louis XIV (le duc du Maine et le comte de Toulouse), qui les fait passer au-dessus des pairs. En 1695, il épouse Marie-Gabrielle de Durfort de Lorge, fille aînée du maréchal-duc de Lorge, dont la mère, née Frémont, vient d’une famille roturière mais fournit une dot importante. Le mariage semble particulièrement heureux pour l’époque. Le 8 septembre 1696 naît sa première fille Charlotte. L’enfant est contrefaite et reste toute sa vie à la charge de ses parents. Cette naissance, suivie de celles des deux fils de Saint-Simon, aussi peu reluisants intellectuellement que physiquement, blesse cruellement Saint-Simon dans son orgueil de père et de duc. Dans ses Mémoires il n’évoque qu’à peine ses enfants. En 1697 il mène sous le maréchal de Choiseul une expédition en Alsace. C’est son dernier séjour aux armées : il supporte de plus en plus mal l’obligation qui lui est faite de passer deux mois par an à son régiment. D’ailleurs, le sien est réformé et il n’est plus que « mestre de camp à la suite », sous les ordres d’un simple gentilhomme. En juillet 1698 naît le premier fils de Saint-Simon, Jacques-Louis titré vidame de Chartres. Cet enfant, encore plus petit que son père, à tel point que l’on le surnomme « basset », est une des grandes peines de son père, dont il semble n’avoir hérité ni les qualités intellectuelles ni l’honnêteté. En 1699, préoccupé par l’ampleur que prennent ses Mémoires dont son premier projet avait été qu’ils soient brûlés à sa mort, il consulte Rancé pour savoir quelle règle adopter. Ce dernier ne l’incite sans doute pas à continuer un journal mais plutôt à collecter des documents sans donner libre cours à ses émotions sur le papier, signe d’orgueil envers Dieu. Il est alors possible qu’à partir de cette date Saint-Simon constitue des dossiers documentaires, complétés de notes personnelles. Ces dossiers auquel il ajoute les anecdotes dont il se souvient sont la base des Mémoires rédigés quarante ans après. Le 12 août naît son second fils Armand-Jean qu’il titre marquis de Ruffec. En 1702, alors qu’il néglige son régiment pour la vie de Cour, Louis se voit dépassé pour une promotion par des officiers plus récents que lui dans leur grade. Parmi eux, le comte d’Ayen, futur duc de Noailles, qui fut, sa vie durant, l’ennemi juré du duc (le serpent qui tenta Ève, qui renversa Adam par elle, et qui perdit le genre humain, est l’original dont le duc de Noailles est la copie la plus exacte et la plus fidèle déclare ce dernier dans les Mémoires). Devant ce qu’il considère comme une injustice flagrante, Saint-Simon quitte l’armée prétextant des raisons de santé. Louis XIV lui tiendra longtemps rigueur de cette défection.

 

En 1702, toujours, il obtient un appartement pour lui et sa femme au château de Versailles : c’est l’ancien appartement du maréchal de Lorge, dans l’aile nord. Il l’occupera jusqu’en 1709. Désormais, il est en plein cœur de la société de cour, qu’il observe et consigne avec passion dans ses Mémoires. En 1706, son nom est proposé pour celui de l’ambassadeur à Rome, en remplacement du cardinal de Janson. Mais au dernier moment, une promotion de cardinaux ayant été faite, Louis XIV décide d’envoyer plutôt le tout nouveau cardinal de La Trémoille.

 

En 1709, il perd son logement. Pontchartrain lui en prête un autre, situé au 2e étage de l’aile droite des ministres, puis en 1710, Saint-Simon — ou plutôt sa femme, nommée femme d’honneur de la duchesse de Berry — obtient un grand appartement, attribué auparavant à la duchesse Sforza et à la duchesse d'Antin. Le nouvel appartement possède en outre des cuisines, ce qui permettra à Saint-Simon de donner fréquemment soupers et dîners, et d’enrichir encore ses Mémoires.

 

En 1711, Monseigneur, fils de Louis XIV, meurt. Saint-Simon, ami du duc de Bourgogne, premier dans la ligne de succession, espère accéder au pouvoir par son intermédiaire, mais en 1712, le duc de Bourgogne meurt à son tour. Pour se consoler, Saint-Simon se lance dans l’écriture de projets de réforme dans la lignée du libéralisme aristocratique. Il rêve d’une monarchie moins absolue, mais n’est pas pour autant un chantre de l’égalitarisme : il veut redonner à la noblesse, strictement hiérarchisée, un rôle politique majeur, voire hégémonique. Ses écrits, signés ou non, se diffusent à la cour et il y devient une sorte de personnage. Parallèlement, il continue à se quereller pour des questions de préséance et à fulminer contre les bâtards, le duc du Maine au premier chef, surtout après l’édit de 1714 insérant les bâtards dans la ligne de succession.

 

La réflexion politique de Saint-Simon est fondée sur le rôle qu’il accorde au groupe des pairs de France auquel il appartient. Pour lui, ce groupe, expression la plus haute de la noblesse et donc de la société française, a le rôle et la fonction naturelle de conseiller du roi. Le système ministériel, ébauché dès le règne de Henri IV mais mis en place avec force sous Louis XIV, est chargé de tous les maux, puisque substituant au « gouvernement de conseil » du roi et de ses nobles, d’ailleurs largement fantasmé par Saint-Simon, un « gouvernement d’exécution » où le roi décide seul et fait exécuter ses ordres par des ministres et secrétaires d’État, « gens de peu », roturiers ou de fraîche noblesse. Saint-Simon n’ose-t-il reprocher au roi, dans une lettre anonyme composée après la mort du duc de Bourgogne, d’avoir eu un règne « pour soi tout seul » ?

 

En septembre 1715, Louis XIV s’éteint. Le duc d’Orléans, ami d’enfance de Saint-Simon, devient régent. Pour Saint-Simon, c’est le moment de faire triompher ses théories politiques. Membre du conseil de régence, il est à l’origine du système de la polysynodie, instituant à la place des ministères des conseils où domine l’aristocratie. Pour Saint-Simon, ce rôle est le seul digne d’un pair de France, conseiller né du roi, mais non fonctionnaire, même de haut vol. Ainsi il refuse la présidence du conseil des Finances, qu’il confie même à un de ses ennemis jurés, le duc de Noailles. En revanche, il accepte les honneurs les plus prestigieux de la cour : le justaucorps à brevet et les grandes entrées chez le roi. Il se fait également attribuer une croix de Saint-Louis, normalement réservée aux militaires. L’honnêteté de Saint-Simon l’empêche aussi de profiter de ce passage au pouvoir pour résoudre sa difficile situation financière. En revanche, il répare son orgueil brisé en participant à l’éviction des bâtards de leur rang de princes du sang.

 

Peu apte aux manœuvres politiques, il est de plus en plus supplanté par le cardinal Dubois, ancien précepteur du Régent et futur premier ministre. Philippe d’Orléans lui conserve son amitié et lui prête même en 1719 le château de Meudon, honneur considérable, suivi de plusieurs propositions de poste que Saint-Simon refuse sous des prétextes divers. En 1721, il accepte néanmoins l’ambassade en direction de l’Espagne, pays qu’il admire beaucoup, dans le but de marier Louis XV à une infante d’Espagne, mais cet épisode doré qui le voit revenir grand d'Espagne est son chant du cygne : quand il en rentre en 1722, c’est Dubois qui est nommé premier ministre. En 1723, la mort du Régent lui fait perdre tout accès au pouvoir et en le privant de son dernier ami, l’éloigne de la Cour.

 

Saint-Simon se retire alors dans son château de La Ferté-Vidame, où il mène une vie de gentilhomme campagnard, relativement soucieux des conditions de vie de ses paysans, et tentant de moderniser leurs techniques. Il se fera même maître de forges. Il se consacre également à la rédaction de traités historico-généalogiques. Il lit le Journal de Dangeau et, à partir de 1739, il rassemble ses notes et s’attelle à la rédaction proprement dite de ses Mémoires. En 1749, il achève leur rédaction, les faisant s’arrêter en 1723, à la mort du Régent. Il envisage un moment une suite, qui ne sera jamais écrite. Il meurt en 1755.