Jacques de Vaucanson (1709−1782)
Les dispositions de Jacques de Vaucanson, dixième enfant d’une famille de gantiers de Grenoble, pour la mécanique se révélèrent de très bonne heure et d’une manière significative. Conduit par sa mère, tous les dimanches, chez certaines vieilles dames, celles-ci avaient l’habitude de s’en débarrasser en le reléguant dans une chambre non habitée et qui avait pour principal meuble une grande et antique horloge. Frappé du mouvement égal et constant du pendule, l’enfant voulut en pénétrer la cause, et il y parvint au point d’exécuter, à l’aide de son couteau et de quelques morceaux de bois, une horloge qui ne laissait pas de marcher avec quelque régularité.
Il commence par réparer les horloges et les montres de son quartier. Il est élève au Collège de Juilly de 1717 à 1721, et souhaite suivre sa vocation religieuse. L’Église étant alors distante des sciences et techniques, il préfère finalement renoncer. Il suit alors à Paris, de 1728 à 1731, des études de mécanique, physique, anatomie et musique.
Il tente de reproduire mécaniquement les principales fonctions de l’organisme humain, encouragé par les chirurgiens Claude-Nicolas Le Cat et François Quesnay qui souhaitent de cette façon mieux comprendre ces fonctions. Il ne réussit pas à mener à bien ses constructions.
À partir de 1733 ou 1735 et jusqu’en 1737 ou 1738, il construit son premier automate, le flûteur automate, qui joue de la flûte traversière. Il semblait être grandeur nature, habillé en sauvage et jouant assis sur un rocher. Il fait forte impression au public, qui peut le voir à la foire de Saint-Germain, puis à l’hôtel de Longueville. La grande partie du mécanisme de l’automate était placée dans un piédestal ; celui-ci, entrainé par un poids, consistait en un cylindre de bois couvert de picots, qui, par l’intermédiaire de quinze leviers et de chaînes et de câbles, pouvait modifier le débit d’air, la forme des lèvres, et les mouvements des doigts. L’air était généré par neuf soufflets de puissances différentes, une sorte de langue artificielle ouvrait ou fermait le passage. La flûte n’est pour l’automate qu’un instrument remplaçable par un autre, et ce sont les mouvements des lèvres, doigts, et le contrôle du souffle qui lui permettent de jouer de la musique, comme un humain. Le flûteur automate a disparu au début du XIXe siècle.
Son deuxième automate est lui aussi un joueur de flûte et de tambourin, de taille humaine, habillé en berger provençal. Mais son instrument, un galoubet, est plus complexe à utiliser : l’instrument nécessite des modulations d’un souffle puissant, des doigtés complexes (les trois trous de la flûte doivent être à moitié découverts pour jouer la bonne note), et des mouvements précis de la langue. Jacques de Vaucanson en dit qu’il joue mieux du galoubet que des êtres humains : « L’Automate surpasse en cela tous nos joueurs de tambourin, qui ne peuvent remuer la langue avec assez de légèreté, pour faire une mesure entière de doubles croches toutes articulées. Ils en coulent la moitié & mon Tambourin joue un air entier avec des coups de langue à chaque note ». Ce Joueur de Tambourin, qui a lui aussi disparu au début du XIXe siècle siècle, est présenté en même temps que son troisième ouvrage.
Il construit ensuite son automate le plus sophistiqué : un canard digérateur, exposé en 1844 au Palais-Royal, qui peut manger et digérer, cancaner et simuler la nage. Le mécanisme, placé dans l’imposant piédestal, était laissé visible par tous, dans le but de montrer la complexité du travail accompli. La digestion de l’animal en était le principal exploit : il semble rendre ce qu’il a avalé après une véritable digestion. Ce point est soupçonné d’être une exagération de la part de Vaucanson, et Jean-Eugène Robert-Houdin, entre autres, le dénonce comme une mystification. Il reste possible que cette mystification n’ait eu lieu que pour les répliques du canard de Vaucanson, réalisées plus tard. Quel que soit le fonctionnement de cette digestion, le reste du mécanisme reste très complexe, les ailes étant par exemple reproduites os par os. Des témoignages attestent que les mouvements du canard étaient d’un « réalisme quasi naturaliste ».
Cet automate est acheté en 1840 par Georges Tiets, mécanicien, mais il brûle en 1879 lors de l’incendie du musée de Nijni Novgorod. Il n’en reste que quelques photographies du milieu du XIXe siècle.
Il tente de construire un nouvel automate, « dans l’intérieur duquel devait s’opérer tout le mécanisme de la circulation du sang », mais celui-ci ne sera jamais fini. Il semble qu’un des écueils ait été la fabrication de l’appareil circulatoire en caoutchouc, matière qui devait alors provenir de Guyane. L’invention du concept de tuyau en caoutchouc lui est parfois attribuée.
Vaucanson n’était âgé que de 32 ans, lorsque Frédéric II, qui cherchait à s’entourer de tous les grands hommes en Europe, lui fit faire des offres brillantes, mais Vaucanson ne voulut pas quitter la France. Peu de temps après, le cardinal de Fleury l’en récompensa en l’attachant à l’administration et en lui confiant le poste d’inspecteur général des manufactures de soie en 1741, le roi souhaitant réorganiser cette industrie, ce qui entrainera l’arrêt de ses travaux sur les automates.
De mai à octobre 1742, Jacques Vaucanson, accompagné d’un spécialiste lyonnais de la soie, le sieur Montessuy, inspecte les manufactures de France, mais aussi d’Italie. S’ensuivent des perfectionnements sur les diverses machines, dont le moulin à organsiner, qui fonctionne à l’aide d’une chaîne sans fin appelée « chaîne Vaucanson », pour laquelle il invente une machine de fabrication.
Entre autres, de 1745 à 1755, il y perfectionne les métiers à tisser de Bouchon et Falcon, en les automatisant par hydraulique et en les commandant par des cylindres analogues à ceux de ses automates. Ces modifications inspireront ensuite Joseph Marie Jacquard, qui créera ses célèbres métiers Jacquard quelques années après. Jean-Eugène Robert-Houdin raconte que ses perfectionnements de machines entraînant une simplification de travail firent à Vaucanson des ennemis parmi les ouvriers lyonnais de la soie, qui se croyaient seuls capables d’exécuter certaines étoffes dont le dessin était alors à la mode. Pour se venger de ceux-ci qui l’avaient poursuivi à coups de pierres, à Lyon, il dit : « Vous prétendez, leur dit-il, que seuls vous pouvez faire ce dessin… Eh bien, je le ferai faire par un âne ! » Et il construisit une machine, avec laquelle un âne exécutait une étoffe à fleurs, qu’on voit encore aujourd’hui au Conservatoire des arts et métiers, telle qu’elle fut construite, avec une partie du dessin exécuté. Ses travaux ont permis de mécaniser la manufacture royale de soie de la famille Deydier, près d'Aubenas et Pélussin, où la technologie italienne des moulins à soie avait été importée au 16e siècle par la famille Benay.
En 1746, Jacques de Vaucanson entre à l’Académie des sciences française.
Il meurt le 21 novembre 1782, à Paris, en léguant ses machines au roi, legs qui sera une des bases de la collection du Conservatoire national des arts et métiers. Sa fille Victoire Angélique de Vaucanson, qui épousera le comte François de Montrognon Salvert, est la seule descendante de l’inventeur.