Constantin François Chasseboeuf de la Giraudais, comte Volney (1757 − 1820)
Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais est né dans une famille du Maine, connue depuis longtemps à Craon, dans les carrières libérales. Son bisaïeul, fils d'un huissier royal, était lui-même notaire et avait un frère chirurgien. Son grand-père, François Chasseboeuf, homme de loi, procureur-syndic des habitants faisait fonction de maire ; il en pris le titre en 1741. Il perdit sa mère, Jeanne Gigault, fille du sieur de la Giraudaie (Candé) à l'âge de deux ans et fut élevé loin de son père, Jacques-René Chasseboeuf, sénéchal du prieuré de Saint-Clément de Craon - qui mourut juge-président au district, le 25 avril 1796, âgé de 68 ans - avec qui il ne s'entendit jamais. Son père se remaria avec Marie-Renée Humfray, qui s'occupa de l'orphelin.
A sept ans, son père le mit au collège d'Ancenis. Il passa ensuite à l'Oratoire d'Angers, sous le nom de Boisgiret (ou encore Boisgirais). Il fut d'abord connu sous ce patronyme, jusqu'à son départ pour l'Orient, où il choisit de prendre celui de Volney, contraction de Voltaire et de Ferney par admiration pour ce philosophe.
Pensionnaire chez un libraire de la chaussée Saint-Pierre, il y rencontra avec M. Jeudry, d'Ernée, et Yves Besnard.
« D'un caractère froid, hautain, bizarre, écrit ce dernier, Volney était le seul qui ne prît pas part à nos jeux, quoiqu'il en restât volontiers le spectatateur silencieux pendant des heures entières »
Un jour, il alla trouver Besnard pour lui demander s'il connaisait un professeur d'hébreu, voulant, disait-il, étudier cette langue pour signaler les erreurs dont fourmillaient, d'après lui, les traductions de la Bible. Il prépara en effet un travail sur ce sujet, mais qui ne trouva pas d'éditeur.
Emancipé à l'âge de dix-neuf ans, et jouissant de onze cents livres de rente provenant de la succession de sa mère, Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais se rend à Paris pour se livrer à l'étude des sciences : médecine, bien que la pratique ne l'intéresse pas, histoire et langues orientales. Bien qu'il ait commencé des études de droit, il ne souhaite pas devenir avocat, qui est souvent un titre plus qu'un métier au XVIIIe siècle.
C'est sa santé fragile qui l'avait incité à étudier la médecine. Il se lie ainsi d'amitié avec Cabanis chez la veuve d'Helvétius à Auteuil, où il rencontre Condorcet et prit part à la réception Benjamin Franklin, dont l'esprit, dégagé de préjugés et surtout de croyance exerça sur lui une profonde impression, puis chez d’Holbach, où il voit Diderot. Tout ceci le confirme dans son athéisme matérialiste ; il est étranger à toute sensibilité religieuse. Il fit à cette époque un voyage à Angers, visita Mademoiselle Vallée du Boisrenaud pour laquelle il se mit en frais d'esprit et d'amabilité, et qui le trouva souverainement déplaisant, gauche et impertinent.
Son Mémoire sur la Chronologie d’Hérodote soulève des discussions à l’Académie des inscriptions. Ayant hérité de six mille livres, il décide d'aller visiter l'Égypte et la Syrie, berceau des idées religieuses. La situation politique de l'empire Ottoman lui parut aussi un objet piquant de curiosité.
Prévoyant les fatigues et les dangers d'un tel voyage, il s'y prépare pendant une année entière, en habituant son corps aux plus violents exercices et aux plus rudes privations. Il séjourne plusieurs mois chez un oncle, à Angers, où il s'entraîne à la marche, s'endurcit à la fatigue et aux longs jeûnes. Il s'efforça aussi d'apprendre l'arabe au Collège de France. Il se met enfin en route à pied dans les derniers mois de l'année 1782, avec un havresac sur le dos, un fusil sur l'épaule et six mille livres en or cachées dans une ceinture.
Lui-même, dans la préface de son Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique, rend compte des impressions qu'il éprouvait :
« Lorsqu'on 1783, dit-il, je partais de et Marseille, c'était de plein gré, avec cette alacrité, cette confiance en autrui et en soi qu'inspiré la jeunesse. Je quittais gaiement un pays d'abondance et de paix !, pour aller vivre dans un pays de barbarie et de misère, sans autre motif que d'employer le temps d'une jeunesse inquiète et active à me procurer des connaissances d'un genre neuf, et à embellir par elles le reste de ma vie d'une auréole de considération et d'estime. »
Arrivé en Égypte, il ne va guère plus loin que le Caire, où il séjourne sept mois, à l'exception d'un voyage à Suez (24-26 juillet), et de quelques visites aux Pyramides. Le 26 septembre 1783, il s'embarque au Caire pour la Syrie. Il s'enferme pendant huit mois au monastère copte de Mar-Hama-el-Chouair pour y apprendre l'arabe, et se renseigner sur les moeurs des tribus. Il se joint ensuite au cheik Almed, fils de Bahir, chef de la tribu des Ouaidié. Il gagne l'estime de ses hôtes, mais rebuté par leur extrême frugalité, refuse non seulement de se fixer parmi eux comme ils l'y invitent, mais même de les suivre au-delà de quelques étapes.
Après une absence de près de quatre années, il revint en France, et publia sa relation sous le titre de Voyage en Égypte et en Syrie. Cet ouvrage, qui dès son apparition fit tomber les lettres moins véridiques de Claude-Étienne Savary sur l'Égypte, passa dès lors pour le chef-d'œuvre du genre. On accueillit, grâce à une habile réclame, l'explorateur comme un nouveau Christophe Colomb.
Cette manière de voyager, et surtout de décrire ses voyages, était celle d'Hérodote, dont Volney avait si attentivement lu les ouvrages
Quelques personnes cependant doutèrent de la fidélité de ses tableaux. Dix ans après, lorsque les Français vinrent visiter en conquérants l'Égypte, ils reconnurent pour certains dans Volney un observateur exact, éclairé, un guide sûr et le seul qui ne les ait jamais trompés.
Néanmoins, le Voyage en Égypte et en Syrie avait valu à son auteur le suffrage de l'impératrice Catherine II de Russie, qui lui envoya une médaille d'or en témoignage de sa satisfaction ; c'était en 1787.
Devenu hautain, quand ses compatriotes de Craon voulurent le fêter à son tour, il blessa tout le monde par son mutisme affecté et dédaigneux ; répondit à Rangeard, qui voulait le présenter à l'Académie d'Angers, que les obligations qu'il prévoyait ne lui permettaient pas d'accepter ce titre ; reprenait sèchement ceux de ses amis qui continuaient de lui écrire sous le nom de Chasseboeuf ; et ripostait grossièrement à ceux qui contestaient le moindre détail de ses récits.
Depuis son retour en France, guidé par ce désir d'être utile qui fut le mobile de toute sa vie, Volney aperçut tout ce qu'on pouvait faire pour perfectionner l'agriculture dans l'île de Corse . Il avait résolu d'acheter un domaine dans ce pays, et de s'y livrer à des expériences sur toutes les cultures qu'il croyait pouvoir y naturaliser. L'utilité de ses vues engagea le gouvernement français à le nommer directeur de l'agriculture et du commerce de cette île ; mais d'autres fonctions le retinrent dans sa patrie.
En 1788, Volney fit paraître des Considérations sur la guerre des Turcs avec les Russes. Les connaissances positives qu'il avait acquises dans son voyage le servirent dans cet écrit politique C'était pour certains, dix ans d'avance, faire l'histoire de l'expédition d'Égypte. Aussi quand Volney fit réimprimer ses Considérations, en 1808, cet écrit obtint le même succès que dans sa nouveauté.
On lui avait reproché vivement de n'avoir pas prévu le dangereux ascendant que l'expulsion des Turcs de l'Europe donnerait à la Russie. Ce fut là le principal argument que fit valoir contre lui le diplomate Charles de Peyssonnel dans son Examen critique des Considérations sur la guerre des Turcs. La diplomatie européenne savait fort mauvais gré à Volney de certaines révélations qui pouvaient passer alors pour indiscrètes ; aussi parodia-t-on le titre de sa brochure en l'appelant Inconsidérations.
La Révolution était dans l'air. Volney qui pronostiquait avec ses amis qu'elle parcourait l'Europe, mais que l'Italie et l'Espagne auraient leur tour avant la France, se jeta ardemment dans la mêlée dès l'annonce de la convocation des États généraux de 1789, choisissant pour son terrain la Bretagne, où le mouvement révolutionnaire était plus accentué.
Il publie à Rennes (1787-1788), en société avec M. de Monsodive, une feuille politique, intitulée La Sentinelle ; il est collaborateur du Magasin encyclopédique et de la Revue encyclopédique.
Du 10 novembre au 25 décembre 1788, en cinq pamphlets d'un style acéré, parut La Sentinelle du peuple et la brochure sur les Conditions nécessaires à la légalité des États généraux. Les derniers numéros de La Sentinelle s'occupaient de l'Anjou, ainsi que la Confession d'un pauvre roturier angevin, réponse aux Avis aux Tiers-État, de l'abbé Mongodin. Ces publications étaient anonymes. Mais en janvier ou février 1789, parut la Lettre de M. C.-F. de Volney à M. le comte de S...t (Walsh de Serrant), qui dénoncée par Bodard, procureur du roi, fut par ordre du parlement brûlée le 5 avril 1789.
Il venait d'être élu député du tiers état de la sénéchaussée d'Anjou aux États généraux de 1789, sous le nom de C.-F. Chasseboeuf de Volney
Sur une observation que fit Goupil de Préfeln, il s'empressa de donner sa démission de la place qu'il tenait du gouvernement (29 janvier 1790), professant cette maxime qu'on ne peut être mandataire de la nation et dépendant par un salaire de ceux qui l'administrent.
A la tribune de l'assemblée constituante, Volney se montra ce qu'il avait paru dans ses ouvrages, ce qu'il devait être dans toutes les circonstances de sa vie politique, sous l'anarchie populaire, sous l'empire, comme après la Restauration : ami prononcé des libertés publiques, sectateur des idées nouvelles , ennemi de tous les cultes établis, mais ennemi des excès populaires.
Volney se montra, dans l'assemblée constituante, l'adversaire zélé, de ce qui tenait à l'Ancien Régime
On le voit tenter une transaction entre ceux qui voulaient attirer à eux les députés du clergé et de la noblesse et ceux qui persistaient à passer aux voix dans la vérification des pouvoirs et s'insurger contre le huis-clos proposé par Pierre Victor Malouet .
Nommé membre de la commission d'étude de la Constitution, il ne s'inquiète pas de l'émeute, si même il ne compte pas sur son concours : il ne veut faire appel qu'aux gardes nationales et propose de soustraire les perturbateurs aux tribunaux ordinaires pour les faire juger par un jury. Les pétitions, adresses, motions diverses doivent, suivant lui, être renvoyées à une commission spéciale, pour ne pas entraver l'établissement de la Convention .
Il veut attribuer le pouvoir exécutif à l'Assemblée, regénérer par des nouvelles élections les assemblées secondaires. Il partage l'enthousiasme des électeurs de Paris qui avaient exigé la mise en liberté du baron de Besenval ; il assiste à des réunions privées dans lesquelles on discute les sujets à l'ordre du jour, donne à ses amis l'explication secrète ou l'annonce anticipée des évènements ou des votes.
Vous avez les officiers, mais nous avons les soldats avec lesquels nous buvons, riposte-t-il à un membre de la noblesse qui s'appuie sur le concours de l'armée. Nous sommes encore cinquante contre un, réplique-t-il à ceux qui lui opposaient l'union du clergé et de la noblesse.
La confiscation des biens du clergé et du domaine royal qu'il voulait faire vendre en quelques mois en les morcelant le plus possible, afin de multiplier les petits propriétaires .
La suppression de toute formule religieuse dans la proclamation des Droits de l'homme rentraient dans son programme, ainsi que le système des engagements volontaires remplaçant la conscription. Il fut un des premiers à provoquer l'organisation des gardes nationales et la division de la France en communes et en départements.
Dans les débats qui s'élevèrent lorsqu'on agita la proposition d'accorder au roi l'exercice du droit de paix et de guerre, Volney se déclara pour la négative et finit par proposer l'article suivant, qui fut adopté :
« Jusqu'ici, vous avez délibéré pour la France, dans la France ; aujourd'hui vous délibérez dans l'univers pour l'univers. La nation française s'interdit dès ce moment d'entreprendre aucune guerre tendant à accroître son territoire. »
Son intime liaison avec Cabanis lui procura des rapports fréquents avec Mirabeau, Volney fut l'un des pourvoyeurs de l'éloquence du tribun
Il fut nommé secrétaire le 23 novembre 1790. Il protesta le 20 octobre 1790 contre l'interprétation donnée à son absence le jour où fut posée la question du blâme des ministres. sa carrière législative se termina avec celle de l'Assemblée nationale.
Après la clôture de la session, Volney fit une démarche qui lui attira les éloges du parti dominant et les sarcasmes du parti contraire. L'impératrice Catherine s'étant déclarée l'ennemie de la France, il renvoya à Melchior Grimm la médaille d'or qu'il avait reçue de cette princesse cinq ans auparavant.
« Si je l'obtins de son estime, je la lui rends pour la conserver, disait-il dans la lettre qui accompagnait le renvoi »
Grimm lui adressa de Coblence (1er janvier 1792) une réponse toute remplie de sarcasmes d'injustes personnalités, et écrite d'un style tellement piquant qu'on a pu l'attribuer à Rivarol.
En 1792, il accompagna Carlo Andrea Pozzo di Borgo en Corse ; où il était appelé par des habitants qui y exerçaient une grande influence, et qui invoquaient le secours de ses lumières. Il espérait y réaliser, comme simple particulier, les projets d'amélioration agricole que quatre ans auparavant il s'était flatté d'y opérer comme administrateur.
Il fit faire, à ses frais, des essais de culture dans le domaine de la Confina, domaine qu'il avait acheté nationalement, situé près d'Ajaccio qu'il appelait ses Petites-Indes.
Tout promettait a ses efforts les plus heureux résultats, lorsque les troubles que Pascal Paoli suscita, dans, cette île, obligèrent Volney à s'éloigner. Pour lui, au bout d'un an, ses illusions étaient tombées. Son domaine fut mis à l'encan par ce même Paoli, qui lui avait donne naguère les assurances de son amitié. Les tracasseries, les chicanes, les menaces, lui rendirent le séjour de l'île de plus en plus insupportable.
Pendant son séjour en Corse, Volney fit la connaissance de Napoléon Bonaparte, qui n'était encore qu'officier d'artillerie.
À son retour à Paris, au mois de mars 1793, Volney eût à satisfaire aux questions du conseil exécutif et du comité de défense générale sur les moyens militaires et sur les dispositions politiques des habitants de la Corse Il trouva en France la Terreur, et ne se prononça pour aucun parti. Il proposait aux Belges, aux Corses et autres peuples qui voudraient jouir des bienfaits de la Révolution, des fonctionnaires français. Il blâma le fédéralisme.
Il offrit aux Girondins, comme consolation à sa condamnation du fédéralisme, sa Loi naturelle, ou Catéchisme du citoyen français (in-16, 1793), un traité de morale. Dans la collection des œuvres de Volney, le second titré de cet ouvrage important, malgré son peu d'étendue, a fait place à celui-ci : Principes physiques de la morale. En effet, l'auteur a su démontrer que la morale est une science, pour ainsi dire physique et matérielle, soumise aux règles et aux calculs des sciences exactes, et qu'elle n'a d'autre but que la conservation et le perfectionnement de l'espèce humaine.
Un biographe a dit que ce fut pour prouver qu'il n'était point digne de la qualification d'hérétique que Volney, à son retour de Corse, publia ce petit ouvrage. Il est plus juste d'observer que cette production n'établit rien ni pour ni contre la catholicité de Volney ; mais elle prouve du moins qu'il n'était point athée, car le premier caractère qu'il reconnaît à la loi naturelle est d'être « l'ordre constant et régulier par lequel DIEU régit l'univers ».
Il partit pour l'ouest de la France avec mission de prendre des renseignements sur l'agriculture, le commerce et les arts, dans les départements de la Manche, l'Ille-et-Vilaine, la Loire-Inférieure, le Maine-et-Loire et la Mayenne. Il devait aussi s'occuper de rendre l'Oudon navigable jusqu'à Segré.
Au milieu de ses travaux législatifs, Volney concourut, en 1790, pour un prix qu'avait proposé l'Académie des inscriptions sur la Chronologie des douze siècles antérieurs au passage de Xerxès en Grèce ; et, quoique aucun autre ouvrage n'eût été envoyé, il n'obtint pas le prix.
Le 13 septembre 1791, le Moniteur annonçait l'apparition d'un ouvrage intitulé les Ruines, ou Méditations sur les révolutions des empires, ouvrage bien propre à intéresser la curiosité, disait la réclame. Le 25 septembre, le volume placé sur le bureau de l'Assemblée nationale, était déposé aux archives, et le 12 octobre, le Moniteur insérait le chapitre des Ruines où, sous forme de vision, l'auteur prétend rendre compte des évènements contemporains.
L'idée première de cet ouvrage avait été conçue dans le cabinet de Benjamin Franklin. L'auteur se met en scène sur les ruines de Palmyre ; et là il se livre à de profondes méditations sur la destruction de tant d'empires à qui leur puissance colossale semblait promettre une éternelle durée, et qui n'en ont pas moins obéi à cette loi de la nature qui veut que tout périsse.
Dans ce même ouvrage, Volney établit la nécessité de la tolérance religieuse, reconnue aujourd'hui par tous les esprits éclairés. Lorsque ensuite il parle de la diversité des opinions religieuses, si opposées en apparence.
Enfin, l'on a reproché à l'auteur des Ruines d'avoir attribué aux différentes religions des caractères auxquels leurs sectateurs ne les reconnaîtraient pas toujours. Les Ruines n'en passent pas moins pour une des productions les plus remarquables de la littérature moderne du XIXe siècle.
Volney fut invariablement attaché aux doctrines qu'il avait émises en 1789, il aimait le régime républicain, il blâmait seulement la licence et les crimes de 1793. Il osa se prononcer contre les événements de mai. Incarcéré alors comme royaliste, lui que naguère on avait accusé d'être un jacobin. Bien qu'ardent républicain, il est emprisonné à La Force pendant la Terreur. Il parvient à se faire transférer à la pension Belhomme sous prétexte de maladie, puis dans celle de Picpus, dont il est libéré en septembre 1794, au bout d'un an, suite à la chute de Robespierre.
À cette époque fut instituée cette École normale destinée à former des professeurs, à établir les meilleures méthodes et l'unité des doctrines (1794).
Volney fut appelé à la chaire d'histoire ; et ses leçons, qui attiraient un immense concours d'auditeurs, sont devenues un des plus beaux titres de sa gloire littéraire. Il professa que la certitude historique est presque impossible, même pour la réalité de l'existence de Jésus-Christ, dit-il ailleurs, et qu'en toute matière, il faut garder le chemin ouvert à un changement d'opinion. L'École fut éphémère.
Forcé d'interrompre son cours par la suppression de l'École normale (1795), Volney, trop jeune encore pour se condamner au repos (il avait à peine trente-huit ans), disciple de Franklin, résolut d'aller visiter les États-Unis, et y observer avant Tocqueville, une véritable expérience de la liberté.
Washington le reçut avec honneur et donna publiquement à Volney d'honorables marques de sa confiance et de son amitié. Il eut également une querelle littéraire à son arrivée. Le docteur Joseph Priestley, qui était alors dans ce pays, avait publié un pamphlet dans lequel il prend Volney à partie, le traitant d'athée, d'ignorant, de chinois, d'hottentot. Volney répondit avec une politesse ironique, rappelant les témoignages d'estime qu'il avait reçus de son contradicteur, et se gardant d'ailleurs de discuter aucun point de doctrine.
Il n'en fut pas de même de John Adams qui fut élu, en 1797, président des États-Unis. L'auteur des Ruines avait critiqué franchement le livre de la Défense des constitutions des États-Unis, que ce magistrat avait publié quelques mois avant sa promotion.
En effet, le président du congrès ne pardonna point à son détracteur. Volney, qui avait pris la résolution de se fixer aux États-Unis, se vit obligé de les quitter au printemps de 1798. Une épidémie d'animosité s'était élevée contre les Français, comme il le dit lui-même, et tout faisait prévoir une rupture ouverte entre les deux républiques.
II est à remarquer qu'alors même que Volney se trouvait en butte aux persécutions du congrès relativement à l'occupation de la Louisiane, il était exposé à la haine des diplomates français, qui lui reprochaient de professer l'opinion que la Louisiane ne convenait sous aucun rapport à la France.
Il ne donna qu'en 1803 son Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique, avouant qu'il n'osait publier l'étude des moeurs, de la législation et de la politique de ce pays qui aurait pu susciter la haine et la persécution .
À son retour en France avant le 17 juillet 1798, son père étant mort pendant son séjour en Amérique, il acheta une maison de campagne aux environs de Paris, du produit de la vente de ses biens hérités en Mayenne .
En son absence, il avait été nommé par le Directoire le 6 décembre 1795 membre de l’Institut dans la classe des Sciences morales et politiques qui venait d'être formé ; et, jusqu'au rétablissement de l'Académie française, il se trouva associé à la classe des sciences morales et politiques, section de l'analyse des sensations et des idées. Il avait été aussi, élu par ses compatriotes de la Mayenne et de Maine-et-Loire aux élections de vendémiaire an IV, mais, avisé ou non de ce choix, il n'en tint aucun compte, soit pour l'accepter, soit pour le refuser. On lui donna un remplaçant le 10 avril 1797.
Volney fit venir Napoléon Bonaparte (qu'il avait rencontré en Corse) à déjeuner chez lui avec Louis-Marie de La Révellière-Lépeaux : la conversation de Bonaparte frappa ce directeur, qui le présenta le lendemain au directeur Paul Barras, par la protection duquel l'officier destitué recouvra son grade.
Volney était celui qui, au commencement de l'année 1794, avait détourné le futur empereur, alors privé de son grade, d'aller chercher du service soit en Turquie, soit en Russie. Bonaparte avait tout tenté pour être réintégré : rien n'avait réussi. Lors de l'expédition d'Egypte, Volney dans un article du 26 brumaire an VI, devinant les projets du conquérant, prévoyait de sa part une marche à travers la Syrie sur Constantinople . Il inséra même dans le Moniteur du 7 frimaire an VII, un article qui mystifia jusqu'à des historiens sérieux .
Au 18 brumaire, il seconda de tous ses efforts les résultats de cette journée. On peut penser même qu'il fut du nombre des personnages qui préparèrent ce coup d'État ; il était alors fort lié avec le général Bonaparte.
Après le 18 brumaire, Bonaparte eut la pensée de se donner Volney comme troisième Consul, puis comme ministre de l'Intérieur. Volney refusa, et se laissa seulement nommer sénateur . Il refusa, mais resta le confident, l'ami, le médecin même du Premier Consul. Membre du sénat dès la création de ce corps, vice-président un peu plus tard, il fréquentait la Malmaison et les Tuileries.
La dissidence de leurs opinions éclata principalement à l'occasion du clergé, auquel le premier consul se préparait à rendre une partie de son influence. Quelque temps après, Volney, dans un conseil secret, ne se prononça pas moins fortement contre l'expédition de Saint-Domingue, dont il prévoyait tous les désastres. Il ne tarda point à s'apercevoir que sa franchise déplaisait et qu'on ne l'accueillait plus aux Tuileries avec la même cordialité ; mais il ne s'en inquiéta point. Enfin, lorsque Bonaparte voulut échanger la dignité consulaire contre la couronne impériale, l'austère sénateur se permit de lui dire que mieux vaudrait ramener les Bourbons.
Il envoya même sa démission de membre du sénat ; mais cette démission, qui fit tant de bruit en Europe, ne fut point acceptée. Cédant aux sollicitations affectueuses du nouveau souverain, obéissant d'ailleurs à un sénatus-consulte qui portait que le sénat ne recevrait la démission d'aucun de ses membres, Volney continua de siéger dans cette assemblée ; mais il fit constamment partie, avec Lanjuinais, Cabanis, Destutt de Tracy, Collaud, Garat, etc., de cette faible minorité qui s'opposait vainement.
Il est pour un temps vice-président du Sénat conservateur, où il s'oppose à la politique de Bonaparte et à son Concordat. Il forme avec d'autres « idéologues » l'opposition à l'empereur. Il était du club des Encyclopédistes qui se réunissaient chez Madame Helvétius, puis chez Cabanis, faisant de l'opposition en chambre et des épigrammes.
L'empereur l'honore cependant et lui concède le titre de comte de l'Empire. Volney se laissa aussi décorer du titre de commandeur de la Légion d'honneur; mais, peu touché de tous ces honneurs, en quelque sorte obligés, il ne pardonna pas.
II se tint le plus souvent étranger, sous l'Empire, au mouvement des affaires publiques et ne paraissait au sénat que très rarement. Il habitait à Paris, rue de la Rochefoucauld, une maison de style égyptien [41]. C'est là que Volney n'était plus qu'homme de lettres. Il passait ses journées livré à l'étude la plus opiniâtre. L'examen et la justification de la Chronologie d'Hérodote, de nombreuses et profondes recherches sur l'histoire des peuples les plus anciens, occupèrent alors ce savant, qui avait observé leurs monuments et leurs traces dans les pays qu'ils avaient habités.
Il donne sa démission de sénateur, et se retire de la scène politique sous l'Empire. Il est élu en 1803 à l'Académie française au quatorzième fauteuil précédemment occupé par l’abbé de Radonvilliers.
Guère porté sur le beau sexe, resté célibataire jusqu'en 1810, il épouse sur le tard une cousine mademoiselle Gigault avec qui il vivra « dans une entente polie. ». Depuis son mariage, il avait dû renoncer à son habitation de la rue de la Rochefoucauld. Il fit l'acquisition d'un hôtel situé rue de Vaugirard, remarquable surtout par l'agrément d'un jardin fort étendu. Il restait bourru et maussade pour le reste du monde. Volney avait adhéré, le 1er avril 1814, à la déchéance de l'empereur, dont il prévoyait depuis longtemps la chute ; il se trouva, le 4 juin suivant, appelé à la pairie par Louis XVIII. Il eut quelques inquiétudes au retour du prisonnier de l'Ile d'Elbe et s'achemina à petites journées vers l'Anjou, mais, vite rassuré, revint dans la capitale.
Il ne fut point au nombre des pairs nommés par Napoléon Ier pendant les Cent-Jours ; aussi continua-t-il, après la seconde restauration, de siéger dans la chambre héréditaire. Il ne parut jamais à la tribune, la faiblesse de son organe ne le lui permettant pas ; mais, dans ses votes, il se montra fidèle aux principes qu'il avait professés toute sa vie.
Ses relations les plus fréquentes étaient avec La Mettrie, Lanjuinais dont il raillait la dévotion, Boissy d'Anglas, Daunou, de Broglie, Chaptal. Son intérieur était des plus modestes et ses goûts forts simples [53]. Il en était venu à détester presque également le gouvernement républicain, le gouvernement impérial et la royauté, mais avec modération.
Au reste, la dignité dont il était revêtu ne laissa pas de donner une importance toute particulière à un ouvrage qu'il publia en 1819, lorsqu'il fut un moment question du sacre de Louis XVIII. Ce livre avait pour titre : Histoire de Samuel, inventeur du sacre des rois, suivie d'une série de questions de droit public sur la cérémonie de l'onction royale.
Dans ses dernières années, un de ses amis le félicitait sur sa lettre à Catherine II :
« Et moi je m'en suis repenti, dit-il avec la sincérité d'un vrai philosophe. Si, au lieu d'irriter ceux des rois qui avaient montré des dispositions favorables à la philosophie, nous eussions maintenu ces dispute sitions par une politique plus sage et une conduite plus modérée, la liberté n'eût pas éprouvé tant d'obstacles, ni coûté tant de sang. »
Il avait à peine 63 ans lorsqu'il mourut, le 26 avril 1820 sans avoir demandé les secours de la religion. Ses obsèques, qui eurent lieu à Saint-Sulpice, furent honorées des cérémonies de cette religion catholique dont il avait si souvent attaqué les dogmes et dont il ne réclama point les consolations, il fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise.