Un déterminisme universel ?

 

         La notion de déterminisme nie toute forme de hasard et de liberté dans la manifestation des phénomènes, y compris chez l’homme lui-même . Tout phénomène obéit aux deux principes de finalité et de causalité : « Tout peut s’expliquer par une cause et les mêmes causes engendrent les mêmes effets . » C’est surtout dans la philosophie grecque que le concept de déterminisme s’est établi .

 

         Le concept de déterminisme est indissociable de cette entité que l’on appelle le temps : pour définir cause et effet, il faut pouvoir dater l’un et l’autre, car la cause engendrant l’effet, elle ne peut lui être postérieure . L’Univers peut-il alors être régi par ces deux principes ? Si le temps est bien omniprésent à des échelles aussi ridicules que l’échelle macroscopique, il est presque insignifiant à l’échelle terrestre, et qu’en dire pour l’échelle universelle ... sinon qu’il s’agit d’une donnée fausse ; l’Univers n’est pas soumis au temps comme les habitants de la planète Terre, puisqu’à certains endroits - notamment aux environs des trous noirs - le temps disparaît et s’inverse, c’est-à-dire qu’en toute logique les effets peuvent précéder les causes .

         C’est pourquoi le déterminisme ne peut être, comme l’explique Gaston BACHELARD, qu’un « déterminisme régional » .

 

            « Ce texte, si souvent invoqué dans les discussions philosophiques, nous paraît porter le signe d’un idéalisme intempérant .
            En fait, la pensée philosophique, comme la pensée scientifique, ne peut s’intéresser qu’à des phénomènes structurés, qu’à des systèmes qui, par une suite d’approximations bien conduites, peuvent être définis dans un isolement .
            En somme, tout déterminisme est partiel, particulier, régional . Il est saisi à un point de vus spécial, dans un ordre de grandeur désigné, dans les limites explicitement ou tacitement fixées . [...]
           Mais quand on a compris que la pensée scientifique pose le déterminisme dans toutes les régions de ses études, il ne s’ensuit pas que, selon la formule philosophique,
tout soit déterminé . »

G. BACHELARD, L’activité rationaliste de la physique contemporaine (1951) .

 

         En effet, il existe un déterminisme expérimental à la base de toute méthode scientifique, notamment en astrochimie ou bioastronomie . Il est fondé sur l’expérience qui permet, en présence d’une cause, de connaître ses effets et ainsi d’en dégager une loi . Niant le hasard, il affirme que tous les phénomènes sont déterminés de façon invariable ; le déterminisme expérimental a connu une grande faveur au XIXème siècle, surtout avec Claude BERNARD . Mais, au XXème siècle, la Théorie des Quanta énoncée par Max Planck provoque une crise du déterminisme classique, en cela qu’elle émet l’hypothèse que la lumière est composée de portions élémentaires, les photons, qu’elle n’est donc pas continue ; en effet, d’après les lois du déterminisme, tout changement se produit selon un processus continu, ce qui n’est alors plus le cas .

 

         En outre le déterminisme refuse toute forme de hasard, mais existe-t-il quelque chose de plus aléatoire que notre Univers ? Certainement pas, puisque parler de l’Univers englobe aussi notre hasard quotidien : pourquoi la vie est-elle nées sur Terre et par sur Mars ou Vénus, qui avaient des conditions initiales tout à fait favorables ? Il est impossible de déterminer le nombre de facteurs qui ont permis à la vie de naître sur Terre plutôt qu’ailleurs, et vu leur nombre, il est logique que les astronomes soient peu confiants quant à une vie extraterrestre, intelligente qui plus est .

         La fameuse explosion dite du Big Bang - qui reste cependant une théorie,  - intéressante certes - a été suivie d’une période de 10-43 secondes, appelée temps de Planck, où l’on ne sait rien du tout sur les conditions de l’Univers, si ce n’est qu’on lui doit les lois actuelles de la physique ; la recherche a montré que ces lois auraient pu être tout autrement, mais qu’il en a été ainsi : c’est un cas où l’effet n’admet pas de cause bien définie . De la même façon, qu’y avait-il avant le Big Bang ? Cette question n’a scientifiquement aucun sens : l’espace et le temps apparurent en même temps que l’Univers - rappelons qu’ils ne le régissent pas, mais qu’ils existent néanmoins pour des échelles réduites, notamment pour l’Univers primitif, relativement petit, d’où la régionalité du déterminisme -, donc il n’y avait strictement rien, au sens où nous l’entendons, avant le Big Bang .

        

         L’objectivité de la science nécessite-t-elle d’un déterminisme universel ? Si c’était le cas auparavant, soit jusqu’au XIXème siècle, l’avènement des grandes théories physiques de Planck, Louis de Broglie ou Einstein ont rompu avec la tradition des causes et effets, puisque même la Théorie de la Relativité Générale prévoit que les effets peuvent précéder les causes ;  mais effets et causes sont toujours présents, même si ce n’est plus dans le cadre du déterminisme classique, et il semble donc qu’on ait inventé un déterminisme moderne beaucoup plus souple, mais moins objectif, puisqu’il s’agit en majorité de théories et non de lois . Les lois du déterminisme classique sont valables dans un espace déterminé et assez restreint à l’échelle de l’Univers, tandis que les théories du déterminisme moderne ont une vocation plus universelle, moins généralisantes même si elles ne restent paradoxalement que des théories, fortement imposées . Mais en passant du classique au moderne, il semble qu’une part d’objectivité ait été gommée : les lois classiques sont restreintes mais vraies et toujours vérifées ; les théories modernes sont vastes mais portent bien leur nom ...

 

Y a-t-il alors contradiction à dire que les sciences sont connaissances vraies et relatives ?

         Est-ce que les mots « vrai » et « relatif » sont vraiment antinomiques ? La vérité peut être relative, c’est-à-dire s’appliquer à un domaine particulier sans s’étendre au général ; mais si les sciences telles que l’astronomie peuvent être relatives, elles ne sont vraies que dans le cadre de cette relativité : d’où la nécessité de bien définir au départ la validité de ce qui est avancé, et notamment grâce à l’expérimentation .

         Quelques exemples pour y voir plus clair : la force de gravité qu’exerce la Terre sur ce qui l’entoure - et qui nous permet de rester au sol - est vraie, c’est une connaissance sûre, mais elle ne l’est plus à quelques années-lumière de là, puisque son action reste limitée : l’étoile Polaire par exemple ne ressent pas son action . Le Soleil brille : c’est vrai depuis la Terre, mais ce ne l’est plus de la même manière sur Pluton ou près d’une autre étoile . Le jour, le ciel est bleu . C’est vrai, mais pas pour un martien - faisons comme s’il existait ... - par exemple, qui le voit rouge . Ces connaissances empiriques sont vraies, si l’on détermine avec précision leur domaine de validité ; mais la science a toujours apporté ses explications : la couleur du ciel est due à certaines propriétés de l’atmosphère planétaire, qui absorbe ou réfléchit certaines couleurs . La donnée empirique restreinte se transforme alors en loi de la physique vraie et générale : pour toute planète dotée d’une atmosphère, la composition de cette atmosphère et la couleur de l’étoile qui l’illumine détermine la couleur du ciel de cette planète le jour .

         Prenons la définition d’un dictionnaire : la science est « un ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d’objets ou de phénomènes obéissant à des lois et vérifiées par des méthodes expérimentales . » Cela explique que la science est relative, mais aussi ce qu’elle entend par vérité : une loi est vraie du moment qu’elle est vérifiée pour l’ensemble du domaine auquel elle s’applique par une méthode expérimentale . C’est pourquoi la science est indissociable de la méthode, d’une organisation rigoureuse dans la façon de procéder aux expérimentations mais aussi aux conclusions que l’on en tirera .

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