L’expérience source de la théorie ?
On parle souvent de l’expérience
comme de ces expérimentations qui permettent de vérifier ou de réfuter une théorie
; mais est-il inconcevable que l’expérience fasse naître la théorie ?
« Tout se ramène finalement à une idée » disait Claude
BERNARD au XIXème siècle . C’est en effet l’idée qui est à l’origine
de tout en science, que ce soit en théorie ou en pratique . La théorie semble
s’imposer devant la pratique, mais elle peut
exister sans elle : toute expérience est faite pour expérimenter quelque chose
mais chaque théorie n’a pas systématiquement besoin d’expérimentations
pour être vérifiée, et donc prendre force de loi, puisque la théorie peut
rester non vérifiée : c’est le cas de la théorie des trous noirs, et de
bien d’autres ... Si Kant écrivait « Toute connaissance débute avec
l’expérience mais n’en dérive pas » en 1787, les choses ne sont plus
tout à fait les mêmes aujourd’hui : en effet, les moyens d’expérimentations
sont nettement plus développés actuellement, si bien que l’expérience peut
supplanter la théorie, ce que François JACOB appelle un « hasard »
.
« Dans l’échange
entre la théorie et l’expérience, c’est toujours la première qui engage
le dialogue . C’est elle qui détermine la forme de la question, donc les
limites de la réponse . « Le hasard ne favorise que les esprits préparés »
disait Pasteur . Le hasard, ici, cela signifie que l’observation a été
faite par accident et non afin de vérifier la théorie . Mais la théorie était
déjà là, qui permet d’interpréter l’accident . »
F.
JACOB, La Logique du Vivant,
Gallimard .
La connaissance est destinée à être apprise, acquise ; ce n’est pas
sous forme d’expérience qu’elle le sera, mais plutôt sous celle d’un
texte proprement énoncé, donc d’une théorie, qu’elle soit antérieure ou
postérieure à l’expérimentation - hasardeuse ou non d’ailleurs - , et
ainsi toute connaissance n’est que théorie : il n’existe en astronomie
aucun phénomène qui constitue une connaissance pratique sans passer par la théorie
. « L’expérimentation est d’abord un raisonnement, dont les faits
sont solidaires . » disait à ce sujet Claude BERNARD . Pour EINSTEIN,
« la pensée pure est compétente pour comprendre le réel . »
Faut-il comprendre que la pensée place tout au niveau de l’intelligible ? Il
ne faut pas oublier que l’homme est de nature plutôt sceptique, il a besoin
de preuves et a tendance à ne croire que ce qu’il voit . Ce n’est pas ce
que lui apporte la pensée, bien au contraire, puisque c’est une activité qui
est bien distincte du monde réel . Ainsi le domaine théorique ne s’applique
jamais totalement au domaine réel : prenons un cas simple . Si l’on modélise
une expérience physique grâce à l’informatique, qui va produire des
mouvements et réactions parfaits, on ne retrouvera jamais les mêmes résultats
que si l’expérimentation est menée par l’homme . Le réel tient compte de
tellement de facteurs pour beaucoup aléatoires qu’il est impossible pour
l’homme de tous les prendre en compte afin de pouvoir comprendre ce réel rien
qu’avec sa pensée, même si l’homme concerné avait le génie d’Albert
EINSTEIN .
On parlait donc d’expérience et de théorie : il apparaît bien évident
que l’un et l’autre son indissociables, que ce soit dans un sens ou dans
l’autre . Comme l’expliquait Ferdinand de SAUSSURE pour le concept et
l’image acoustique, expérience et théorie sont les deux pages d’une
feuille, on ne peut pas les séparer . La théorie n’aurait pas d’intérêt
si elle ne se rattachait pas au réel, et par conséquent serait inconcevable
sans l’expérience . De même, le mot « expérience » vient du
verbe déponent latin « experior, experi, expertus sum » signifiant
tenter, faire l’essai de : elle consiste donc à éprouver quelque chose en le
soumettant au réel ; c’est en ce « quelque chose » qu’il faut
reconnaître la théorie .