Pourquoi voulons-nous savoir ?

         Les sciences tiennent aujourd’hui une place prépondérante dans notre société ; elles sont même devenues un moyen publicitaire pour montrer la fiabilité d’un produit . Plus que jamais une blouse blanche est respectée, mais cela reflète aussi bien notre envie de connaissance et en même temps nos énormes lacunes ou nos préjugés ...

 

         Car beaucoup croient encore que le scientifique se réduit au savant fou en blouse blanche, lancé dans ses expériences géniales et dangereuses ... Mais il n’en est bien sûr pas de même en réalité : en fait, on est en droit de se demander ce qu’est un scientifique . A cette question, on pourrait simplement répondre que c’est celui qui s’adonne à une science particulière, qui y consacre sa vie tant par goût que par nécessité . Mais dans quel but ? D’ou peut provenir ce goût, cet engouement de la masse elle-même pour les sciences et les connaissances qu’elles renferment ?

         La curiosité est dans la nature de l’homme : c’est ce qui lui a certainement permis d’avancer et d’évoluer depuis son apparition ; c’est donc avant tout dans un but de satisfaire une curiosité naturelle que l’on veut savoir . L’important n’est pas de savoir si ce que l’on sait est vrai ou faux, l’important est de croire que l’on sait : Epicure écrivait : « Mieux vaut, pour notre vie et notre salut, une hypothèse fausse, ou plusieurs hypothèses, que pas d’explication du tout . » Tout cela est-il en contradiction avec la pensée de Socrate et de sa maïeutique, ce fameux « ignorant au carré » qui voulait montrer aux gens qu’ils ne savaient pas tant que cela ? Dans le fond, on ne peut pas le dire, puisque s’interroger sur ses connaissances, voire les détruire et avec elles le mur des préjugés, c’est se donner à nouveau l’envie de savoir, d’acquérir de nouvelles connaissances . Les gens cultivés sont là pour en témoigner : plus on en sait sur un sujet bien particulier, plus on s’aperçoit que l’on en sait peu . Savoir, ce serait donc se rassurer un instant, celui où l’on acquiert le savoir, et  s’inquiéter le suivant, dès lors qu’on l’utilise pour réfléchir .

         Par ailleurs, quitte à savoir, autant savoir pour quelque chose, c’est-à-dire assurer une utilité pratique à nos connaissances : Descartes parle d’une philosophie trop « spéculative » comparée à l’utilité des sciences, qui sont pour lui les outils « pour nous rendre maîtres et possesseurs de la nature » . La science semble aujourd’hui ne pas pouvoir se passer d’une certaine utilité, et ce à cause de notre système capitaliste actuel - tout ce qui existe doit être rentable - qui barre bien souvent (et surtout pécuniairement) la route du progrès scientifique . Il est bien loin le temps où le bel esprit scientifique vivait de lui-même, de ses rentes - car c’est le cas de nombreux hommes de science, qui étaient nobles ou bourgeois: qui ne connaît pas le génial baron Frankenstein ? - ; aujourd’hui le scientifique se sert de son savoir pour vivre tant bien que mal, s’il veut rester au sein de cette société .

         Qu’est-ce que la connaissance apporte à celui qui la désire ? Tout d’abord simultanément la satisfaction d’avoir satisfait un désir et un désir encore plus grand, une sorte d’insassiété ; mais la curiosité n’est pas le seul sentiment que l’on veut alors assouvir : posséder la connaissance, c’est devenir quelqu’un, quelqu’un qui est reconnu et respecté parmi ses semblables qui ne possèdent, eux, peut-être pas ce savoir . Dans notre société, acquérir la connaissance c’est toujours - bien que d’autres éléments aient la primauté, comme l’argent ou la politique - acquérir du pouvoir . Le sage est toujours plus respecté que le novice... Cette volonté de savoir vient donc de ce que la société a modelé par ses lois, sa morale, et on retrouve le fait que la science est bien indissociable du contexte social et historique . C’est la valeur que l’on a donné au savoir au cours de notre évolution qui détermine notre envie de le posséder .

 

         Besoin est de distinguer deux choses : d’une part, celui qui veut connaître pour son plaisir, pour s’adonner à une passion mais en y impliquant son temps libre seulement : il s’agit on pourrait dire de l’homme scientifiquement cultivé ; d’autre part, celui qui construit sa vie sociale et personnelle le plus souvent autour de la science, qui vit ou subsiste grâce à elle : c’est le scientifique tel qu’on l’entend aujourd’hui . Paradoxalement, ce n’est pas le second qui a fait avancer une science telle que l’astronomie : au sein de celle-ci, on distingue les astronomes professionnels et les astronomes amateurs . Ces derniers sont à l’origine des trois-quarts des découvertes récentes puisque, étant plus nombreux que les astronomes professionnels (plusieurs milliers contre environ huit cents), ils permettent les découvertes les plus passionnantes et les plus imprévues surtout - une fois sur deux, la découverte est hasard