Qu'est-ce
que "la"
Science ?
Pour le profane,
celui qui n’est pas initié, la science reste souvent ce monde froid, précis
et métallique, confondu avec celui de la technique, où se réalise chaque jour
l’impossible de la veille ...
Qu’est-ce
que la science ?
En
fait, on ne connaît pas de critères absolument définitifs qui permettraient
de séparer catégoriquement ce qui est science et ce qui ne l’est pas. Ainsi,
on définit couramment la médecine comme la science qui a pour but la
conservation ou le rétablissement de la santé ; or, il est contestable de
considérer que la médecine est une science au même titre que la chimie ou
l’astronomie : l’activité thérapeutique garde une certaine part d’empirisme,
d’intuition, qui fait que nombre de médecins désignent leur profession comme
un « art » au sens noble du terme . Dans le domaine des sciences
humaines ou sociales, les incertitudes sont encore plus grandes : par exemple la
psychanalyse paraît parfois ou abusivement simplificatrice dans ses interprétations,
ou insuffisamment imposée par des contrôles expérimentaux . En Histoire, on
retrouve également la même opposition : d’un côté une histoire « empiriste »
décrivant les faits de la manière la plus neutre possible, de l’autre des
tentatives de synthèses proches de la philosophie de l’Histoire ...
Deux exigences, l’une concernant
la théorie, l’autre l’expérimentation,
sont caractéristiques des sciences .
Importance
de la théorie
Il ne suffit pas qu’une connaissance soit exacte ou utile pour
qu’elle constitue une science ; il faut aussi qu’elle apporte un minimum
d’intelligibilité dans les phénomènes,
qu’elle y mette un certain ordre et y fasse apparaître des relations ayant
une valeur explicative . Ce contenu théorique est primordial, notamment dans la
Théorie de la Relativité . Au
contraire certains historiens se contentent de la superposition des faits, de
leur juxtaposition et de leur interprétation - ce qui offre déjà des éléments
théoriques - mais dans la mesure où ces éléments n’offrent pas d’explicitation
ou de systématisation, il n’est
pas juste de parler de science, de la même manière que le savoir-faire de
l’artisan ne contient aucun caractère scientifique . Il manque juste cette
armature, cette ossature théorique, cette systématisation . Certes les
observations empiriques sont très importantes, et cela l’Histoire le prouve :
de nombreuses sciences sont nées de préoccupations pratiques et ne se sont
constituées qu’après l’acquisition d’un domaine technique .
La science doit dépasser la simple description de l’expérience . Si
Aristote se contentait de distinguer des corps graves attirés vers la Terre et
des corps légers se mouvant en sens inverse, Galilée établissait mathématiquement
ces mouvements ... C’est pourquoi le miracle
grec des VIème et Vème siècles a contribué en partie à déclencher l’élan
théorique, puisqu’il incita à trouver une explication rationnelle plus
satisfaisante que l’explication mythologique dépassée. S’il ne reste rien
de ces idées dans les sciences modernes, l’orientation générale, elle,
demeure : la science doit élucider des mystères en découvrant les éléments
fondamentaux et leurs relations intelligibles .
Philosophie et Sciences
Le recul met en évidence l’aspect philosophique de ces spéculations
et, effectivement, il est presque impossible de séparer ce qui est philosophie
de ce qui est science . Même
chez Newton, la pensée scientifique est associée étroitement à des réflexions
métaphysiques et religieuses . Les excès même de certaines hypothèses philosophiques ont parfois été féconds : la biologie
par exemple a longtemps consisté à affirmer a priori que les phénomènes de
la vie étaient totalement inexplicables en terme de physique ou de chimie ;
mais au lieu de considérer la vie comme une entité spéciale, des
scientifiques ont essayé de comprendre et d’expliquer le fonctionnement des
organismes vivants selon les lois connues .
Cet effort de détruire la préjugé est essentiel, car toute théorie a
nécessairement besoin de pré-conceptions . Galilée ou Einstein n’ont fait progresser la
science que parce qu’ils ont eu l’audace de formuler des idées qui au départ
n’avaient rien d’évident . C’est d’ailleurs pour cette raison que les
grandes théories qui jalonnent l’Histoire ont souvent rencontré des résistances,
y compris dans les milieux scientifiques . Pour les contemporains de Darwin,
l’évolutionnisme était si peu conforme aux faits qu’ils le considérèrent
proprement scandaleux, aussi bien sur le plan religieux et moral que sur le plan
scientifique .
En revanche, on a également ainsi la preuve que la science n’est un
enregistrement passif des phénomènes mais une activité inventive,
constructive : c’est ce que l’on peut voir dans la physique moderne : à
proprement parler, les microphysicien (ou physicien de l’atome) produisent les
phénomènes qu’ils étudient (les particules) grâce à des appareils
sophistiqués qui eux-mêmes sont inséparables d’un ensemble théorique élaboré
.
Nécessité
de l’expérimentation
Il ne suffit pas cependant de formuler une théorie pour faire oeuvre de
science : il faut soumettre celle-ci à l’expérimentation . Ainsi, d’un côté
le chercheur se risque à des hypothèses théoriques, et de l’autre il doit
les vérifier par des méthodes aussi critiques que possible .
La méthode expérimentale est en effet critique
: elle consiste à mettre au point des procédures qui permettent d’accepter
ou de rejeter tout ou partie de la théorie étudiée . Il y a donc équilibre
entre l’imagination capable de procéder à des abstractions, des inventions,
et l’expérimentation jouant le rôle de contrepoids . Ainsi la Relativité Générale
n’était qu’une spéculation géniale tant qu’on ne possédait aucune
confirmation expérimentale ; la mesure de la déviation de la lumière par le
Soleil lui a apporté une nouvelle crédibilité, une sorte d’authenticité
expérimentale .
Cette expérimentation peut prendre de diverses formes : dans le cas précédents,
la conjoncture (en l’occurrence une éclipse de Soleil) a permis de rendre
possible une observation portant sur une conséquence précise impliquée par la
théorie ; il y a aussi la possibilité de recréer en laboratoire les
conditions idéales .
Ce souci du contrôle expérimental distingue la science de la
philosophie . La philosophie toutefois a en commun avec les sciences d’être
un ensemble de théories et, selon l’état des connaissances aux diverses époques,
une même théorie peut être scientifique, philosophique ou les deux à la fois
. La science n’a pu se constituer à part de la philosophie que lorsque les
contrôles expérimentaux rigoureux ont été possibles : c’est pourquoi la
physique n’apparaît qu’avec la deuxième moitié du deuxième millénaire,
et qu’elle était auparavant une branche de la philosophie (d’où le mot
« métaphysique », après la physique) . La théorie doit donc être
réalisable dans la pratique, et l’expérimentation doit être assujettie à
des méthodes de travail extrêmement rigoureuses .
Sciences
et vérité
Il semble difficile de nier que les savants poursuivent une explication
vraie de la réalité, mais il est important d’être bien conscients de l’inachèvement
des sciences : malgré les
grandes réalisations pratiques qu’elles permettent, on n’est jamais sûrs
que les théories soient vraies de façon définitive . Le propre de la science
est d’émettre des conjectures susceptibles d’être confrontées à la réalité
de l’expérimentation . Mais cette confrontation permet seulement -et dans le
meilleur des cas - d’affirmer que la théorie n’est pas fausse . Longtemps
la mécanique newtonienne resta conforme aux faits, jusqu’à ce qu’Einstein
démontre qu’elle le resterait dans une certaine mesure (plus si les phénomènes
se déroulent à une vitesse voisine de la vitesse de la lumière) .
Importance
du contexte social
Les préconceptions du chercheur l’amènent à sélectionner tels faits
plutôt que tels autres et à organiser le réel selon des concepts et des schémas
qui recèlent une part de convention . S’il est ridicule de nier les réussites
scientifiques, il est dangereux de transformer en dogmes
intangibles les connaissances acquises à une époque donnée .
Les sciences se constituent toujours dans un climat
historique déterminé dont il est impossible de faire abstraction ; les
scientifiques sont tributaires des idées et préjugés de leur époque
(retourner à Galilée), et leur génie réside dans la remise en question, dans
la destruction du mur des préjugés pour rebâtir un édifice encore plus
solide et droit . La théorie darwinienne s’est ainsi vue contestée car elle
s’opposait aux idées bibliques ; de nos jours, les rapports entre la science
et le société se sont encore compliqués en particulier après l’usage de la
bombe atomique . Mais notons que ce ne sont pas les scientifique qui décident
des applications de leurs travaux ; malgré tout, ils ont quand même une
certaine responsabilité sociale et politique par le rôle qu’ils tiennent
dans le développement militaire ou industriel .