Comparaison avec l'observation

Les question naissent bien souvent de ce qu'on les observe. La Physique a toujours été liée à la leçon de choses, et les avancées théoriques les plus audacieuses doivent y trouver une source d'humilité.
L'observation des spectres de naines blanches, selon leurs caractéristiques et les régions spectrales considérées, soulève des interrogations que la théorie développée jusque là devrait réussir à satisfaire... dans un premier temps.
Nous allons donc successivement regarder les spectres de quelques naines blanches et essayer de générer des courbes synthétiques qui reproduisent la réalité.

Lyman a en laboratoire

L'observation du profil et de l'aile lointaine de Lyman a élargies par collisions avec neutres et protons dans un plasma d'hydrogène produit par laser en laboratoire peut être comparée avec les résultats obtenus par les calculs qu'on a effectués.
Le principe de ces expériences est de créer un plasma en libérant soudainement l'énergie d'un laser YAG (typiquement 1 064 µm, 6 ns, 600 mJ) dans un volume cylindrique de quelques micromètres de diamètre et de quelques centimètres de longueur contenant 99,999 % d'hydrogène pur : le choc qui en résulte permet d'étudier par spectroscopie les collisions radiatives de l'hydrogène. Le spectre est enregistré à l'aide d'un monochromateur, avec une résolution de quelques nanosecondes. Après un temps de 4 ou 5 microsecondes, quand le plasma se refroidit et se recombine, des satellites apparaissent dans l'aile rouge de Lyman
a. Par exemple, vers 1 230 Å, un satellite est induit par collisions avec H+. La figure suivante montre que le minimum de la différence de potentiel contribuant à ce satellite correspond à une distance atome-ion de 10 Å et est une transition probable dans un plasma dense.

Différence d'énergie potentielle (en cm-1) et moment dipolaire D(r) correspondant pour le satellite à 1 230 Å de Lyman a.

Vers 1 600 Å, on observe l'un des satellites identifié comme provenant de la transition libre-libre de l'hydrogène atomique à l'état 2p rayonnant lors d'une collision avec un hydrogène à l'état fondamental 1s. La figure suivante illustre ce satellite ainsi que la nette amélioration apportée par la variation du moment dipolaire électrique décrite par Allard et al. (1999).

Comparaison de l'observation autour de 1 600 Å avec des profils théoriques tenant et ne tenant pas compte d'un moment dipolaire électrique variable. On peut voir qu'un facteur deux sur l'intensité distingue les deux approches.

La figure qui suit représente un spectre expérimental Lyman a pour une densité d'hydrogène initiale de 100 atmosphères (5,4.1021 atomes.cm-3). Les données sont corrigées en tenant compte des caractéristiques de la lumière laser incidente et de la réponse des instruments utilisés. On a extrait du spectre expérimental un rayonnement continu (en bleu clair) pour une température de 4 110 K et une densité d'hydrogène atomique de 4.1020 atomes.cm-3.
Le spectre expérimental est comparé à des profils calculés pour différentes densités d'atomes perturbateurs, à la température de 10 000 K. La théorie inclut la variation du dipôle due à la séparation atome-atome et la correction par le facteur de Boltzmann pour l'émission.

Effets des hautes densités sur des profils Lyman a

Cette figure soulève une remarque importante : les spectres de naines blanches calculés ordinairement le sont pour de faibles densités, de l'ordre de 1016 atomes.cm-3. Il vient donc que la raie centrale n'est pas calculée correctement, car le calcul résulte d'un développement en densité de la fonction d'autocorrélation. En principe, il faudrait convoluer par la raie centrale ; cette dernière étant assimilable à un pic de Dirac, unité de convolution, l'aile de raie ne se trouve absolument pas modifiée. Ainsi, dans la mesure où l'on s'intéresse uniquement aux ailes, les calculs non convolués sont acceptables. Notons par ailleurs que dans le cas de Lyman a, le centre de la raie des naines blanches est complètement masqué par l'émission géocoronale (émission puissante dans le domaine de Lyman a et de O I due à la dispersion des photons solaires sur l'exosphère terrestre constituée essentiellement d'hydrogène neutre et d'oxygène),  ce qui le rend inexploitable. Seules les raies seront donc porteuses d'informations propres.

 

Applications aux observations de G231-40

L'étoile G231-40 (WD2117+539) est une naine blanche DA froide relativement brillante (V = 12,3) et dont le spectre visible ne laisse présager d'aucun élément chimique autre que l'hydrogène. Le profil Lyman b présente cependant des structures qui ne peuvent être interprétées par la théorie d'élargissement Starck standard (VCS).
La figure suivante montre les comparaisons des profils synthétiques obtenus dans les diverses approches successives qui, selon la température, présentent les raies satellites dues aux collisions H-H+ et H-H ou uniquement celles dues à H-H+ lorsque la température effective est plus élevée.

Courbe de haut : profil Lyman b perturbé par collisions simultanées avec H et H+. La densité de perturbateurs, neutres et protons, est de 1016 cm-3.
Courbe du milieu : spectres synthétiques théoriques d'une naine blanche DA pour un modèle d'atmosphère constitué d'hydrogène pur avec log(g) = 8,0, Teff = 20 000 K et 13 000 K de haut en bas. Comparaison des spectres synthétiques calculés, en tenant compte des raies quasi-moléculaires (trait plein), et avec la théorie d'élargissement standard VCS (tirets).
Courbe du bas : spectre UV de G231-40 obtenu par FUSE comparé à deux spectres synthétiques pour log(g) = 7,85 et Teff = 15 000 K (rouge), 14 800 K (bleu).

Cette cible observée lors du premier cycle d'observation de FUSE, le 3 juillet 2001, avait déjà été observée par IUE en mars 1983 ; la figure suivante montre que les deux spectres obtenus sont en accord quant à la calibration du flux et la position des raies satellites.
Pour confronter des observations à un modèle théorique, on a fixé log(g) = 7,85 en accord avec les analyses spectroscopiques de Bergeron et al. (1992).

Spectre FUSE (1 020 - 1 187 Å) et IUE (1 150 - 1 800 Å, figure du bas) de G231-40 comparés avec deux modèles d'atmosphère de naine blanche DA, Teff = 15 000 K (trait plein) ou 14 800 K (tait pointillé) et log(g) = 7,85 ; le désaccord pour les longueurs d'onde comprises entre 1 120et 1 180 Å est essentiellement dû à une baisse de sensibilité FUSE non corrigée. L'absorption due à H- vers 1 130 Å est nettement visible.

L'opacité de H- a été rajoutée dans le modèle d'atmosphère et conduit à la structure observée à 1 130 Å, nettement visible sur le spectre de FUSE. Le modèle (Teff = 14 800 K ; log(g) = 7,85) donne un bon ajustement de cette structure, mais reproduit moins bien les déviations quasi-moléculaires.
La figure supérieure (FUSE) montre également la comparaison entre le spectre obtenu par FUSE et deux modèles pour deux températures effectives différentes, 15 000 K et 14 800 K. Le premier modèle donne  une assez bonne allure des satellites H2+ observés à 1 058 et 1 076 Å. On peut remarquer que le satellite dû à Lyman
g vers 995 Å n'est pas visible dans le spectre de l'astre, dont la température n'est pas assez élevée (par ailleurs, le flux est bien trop faible dans le spectre FUSE de cette région). Nous l'avons cependant déjà observé dans le spectre de CD38 (Wolff et al., 2001). La température efficace obtenue pour G231-40 est supérieure de 500 degrés par rapport à celle déterminée spectroscopiquement par Holberg et al. en 1998 ; cette différence pourrait être réduite si l'atmosphère était calculée de manière plus consistante, en incluant les opacités quasi-moléculaires directement. Ces opacités en effet ne modifient pas seulement le spectre émergent, mais aussi la structure atmosphérique.
Au cours de mai 2002, I. Hubeny a modifié son programme Tlusty de manière à y intégrer les fameuses raies quasi-moléculaires.

Spectre théorique (en bleu) comparé au spectre FUSE (rouge) de G231. Le modèle inclut les raies quasimoléculaires et est caractérisé par les paramètres Teff = 14 500, log(g) = 7,85.

 

Observations de la compagne de Sirius

En 1862, l'américain Alvan Clark (1804-1887) découvrit le compagnon caché de la grande Sirius, Sirius B. Après que son parallaxe et que sa distance aient été déterminées, une mesure du flux donna sa luminosité : l'analyse des caractéristiques de binarité permit d'approcher sa masse. Ces deux dernières valeurs montrèrent vite que Sirius B se trouvait bien en-dessous de la relation masse-luminosité, correcte pour les autres étoiles connues. Sa température de surface, déduite depuis sa couleur, la plaçait de même tout à fait en bas à gauche du diagramme HR, loin de la séquence principale. Comme on l'avait vu dans le premier chapitre, le calcul de sa densité ne résolut nullement le problème.
Sirius B est probablement l'une des naines blanches les plus célèbres du ciel. La figure qui suit représente une comparaison de son spectre FUSE avec un spectre théorique calculé pour les paramètres Teff = 24 790 K et log(g) = 8,38.

Sirius B est la compagne dans l'ombre de Sirius A, bien visible dans la constellation du Grand Chien (Canis Major). L'image se rapporte à une comparaison de luminosité, et non de taille.
Ajustement réalisé sur le spectre FUSE de Sirius B. Le modèle d'atmosphère a été calculé avec les paramètres Teff = 24 790 K et log(g) = 8,38.

 

Observations de CD-38º 10980

CD-38º est une naine blanche assez chaude (Teff = 24 000 K et log(g) = 8,10) où apparaissent les raies satellites dues aux collisions H-H+ dans l'aile de Lyman b et de Lyman g.
Ne disposant pas des moments de transition dipolaire en fonction de la distance internucléaire, les premiers profils Lyman
g ont été calculés dans l'approximation du moment dipolaire constant pendant la collision. Cette première approche permet toutefois d'identifier la structure à 995 Å qui est en fait la superposition de deux raies satellites situées respectivement à 991 et à 996 Å.

Comparaison des spectres théoriques à 25 000, 24 000 et 23 000 K (de haut en bas), pour log(g) = 8,10, avec le spectre FUSE de la naine CD38.

Un bon fit est obtenu pour les paramètres Teff = 24 200 K et log(g) = 8,05.

Comparaison du spectre théorique à 24 200 K pour log(g) = 8,05 avec le spectre FUSE de la naine CD38.


Observations de G117-B15A et de G226-29

Les étoiles ZZ Ceti sont des naines blanches de type DA variables. Cela mis à part, elles ne diffèrent pas des autres DA de haute température, et il est envisageable que l'état ZZ Ceti ne soit qu'une étape dans le long refroidissement des naines blanches.
De manière générale, les étoiles variables ont toujours été utiles pour l'étude de la structure et de l'évolution stellaires ; en effet, les périodes et positions d'instabilité renseignent sur les structures mécaniques et thermiques des couches profondes de l'astre. Les ZZ Ceti ne font pas exception à la règle.

Le mouvement propre de la naine blanche ZZ Ceti G117-B15A a été identifié par Giclas et al. (1971) et sa périodicité découverte par McGraw et Robinson (1976) ; sa structure complexe a été déchiffrée par Kepler et al. (1982), qui découvrit en fait six périodes distinctes. G117 a été observée le 11 novembre 1992 à l'aide du spectrographe FOS embarqué sur le télescope spatial Hubble. En raison de la faible ouverture et de l'aberration sphérique de HST, le flux absolu de l'observation FOS est incertain ; une comparaison avec le spectre IUE montre qu'un facteur multiplicatif 1,63 est nécessaire pour ramener le spectre FOS au niveau de flux du spectre IUE.
La figure suivante représente le spectre FOS observé en comparaison avec un spectre théorique calculé à l'aide de Tlusty et Synspec.

Spectre théorique (bleu) comparé au spectre HST (rouge) pour la naine blanche G117-B15A. Le modèle inclut les raies quasimoléculaires et est caractérisé par les paramètres Teff = 12 250 K et log(g) = 8,0.

L'étoile ZZ Ceti G226-29 a également été observée par HST et son équipement FOS. Voici le spectre obtenu, comparé avec une spectre synthétique.

Spectre théorique (bleu) comparé au spectre HST (rouge) pour G226-29. Le modèle inclut les raies quasimoléculaires et est caractérisé par les paramètres Teff = 11 750 K et log(g) = 8,1.

Les naines G117 et G226 sont caractérisées par des températures effectives assez basses, de l'ordre de 12 000 K. On s'attend bien sûr à observer des structures spectrales différentes de celles notées parmi les naines DA plus chaudes comme CD38 par exemple ; la figure suivante montre l'évolution des structures satellitaires avec la température.

Deux spectres théoriques correspondant à des températures effectives différentes et log(g) = 8,0. En rouge, à 20 000 K, les satellites H2+ et H- apparaissent nettement ; en bleu, à 13 000 K, les satellites dus à H2+ s'estompent et apparaît à un nouveau satellite dû à H2, non encore observé dans les spectres des naines DA aujourd'hui.

Les paramètres physiques qui permettent de caractériser l'étoile, Teff et log(g), peuvent alors nous conduire à des prédictions intéressantes. Dans le cas des ZZ Ceti G117 et G226, naines assez froides, les spectres théoriques annoncent la présence de satellites vers 1 060, 1 080 et 1 150 Å. Ces astres n'ont pas encore été observés dans cette région du spectre...
Les figures suivantes représentent les spectres de naines blanches ayant les mêmes caractéristiques que celles pris pour ajuster G117 et G226, dans le domaine où les satellites apparaissent.

G117-B15A

G226-29

Prévision de l'allure des spectres de G117-B15A et de G226-29 dans les domaines de longueur d'onde allant de 1 000 à 1 200 Å. Les satellites à 1 060, 1 080 et 1 150 Å doivent être nettement visibles.

La prédiction de telles structures stimule et permet la demande de temps d'observation FUSE, pour vérifier par l'observation que la physique du problème est bel et bien comprise. Une fois n'étant pas coutume, cette étude ne se termine pas sur un classique - mais salvateur - accord avec l'expérience, sorte de happy-end, mais sur une prédiction théorique. Reste à savoir si l'on peut se permettre de jouer les apprentis-sorciers à ce point. La réponse viendra avec les prochaines observations de FUSE, que ce travail aura, nous l'espérons, permis de demander et d'obtenir.