La
fuite des galaxies
L'obscurité
du ciel
nocturne ainsi que l'impermanence des étoiles et des
planètes sont difficilement compatibles avec
l'idée d'un
Univers éternel et immuable. Cela, les astronomes le
savaient
déjà à la fin du XIXème
siècle. Les
objections à la stabilité du cosmos,
formulées
implicitement par les équations d'Einstein en 1915,
ajoutaient
leur poids au malaise ressenti face au modèle
aristotélicien. Le terrain était prêt
pour une
révolution cosmologique profonde.
Tout au long du XXème siècle, un ensemble
d'observations
cruciales donnent le coup de grâce à un Univers
statique.
Celles-ci jouent un rôle fondamental dans
l'élaboration de
notre nouvelle vision du monde. Leurs résultats nous
permettent
de reconstituer, pas à pas, le lointain passé du
cosmos.
Chacune de ces observations va baliser notre itinéraire...
La première se situe dans les années 1920-1930.
Elle
porte sur l'étude des galaxies lointaines. C'est avec elle
que
nous débutons notre exploration des temps anciens. Elle nous
ouvre la voie du passé.
A cette période, les astronomes démontrent
définitivement que certaines "nébuleuses" du ciel
ne font
pas partie de notre Voie Lactée. Leurs distances se mesurent
en
millions d'années-lumière et les placent bien
au-delà du volume de notre Galaxie. Il s'agit d'autres
galaxies,
plus ou moins semblables à la nôtre.
Les grands instruments astronomiques de cette époque, le
télescope du mont Wilson et plus tard celui du mont Palomar,
permettent la mesure de leurs vitesses ; cette mesure se fait
à
partir de l'effet Doppler-Fizeau. Par rapport à sa couleur
réelle, la lumière d'un astre qui s'approche
paraît
plus bleue ; s'il s'éloigne, la lumière est plus
rouge.
L'astronome américain Edwin P. Hubble entreprend un
programme
d'étude d'un certain nombre de galaxies. Il veut
déterminer à la fois les distances et les
vitesses.
Des mesures analogues avaient déjà
été
effectuées auparavant sur les étoiles du ciel.
Certaines
s'approchent de nous, d'autres s'éloignent, de
façon plus
ou moins aléatoire. Hubble allait-il obtenir un
résultat
similaire sur ses galaxies ?
Dès les premières observations, la surprise fut
grande.
Le comportement des galaxies se montrait profondément
différent de celui des étoiles. Hormis les plus
rapprochées, elles s'éloignent toutes de nous. Et
d'une
façon très particulière : les plus
lointaines se
meuvent systématiquement plus vite que les plus proches. Une
galaxie située à dix millions
d'années-lumière s'éloigne
à 200
kilomètres par seconde, tandis qu'une autre galaxie,
située à cent millions
d'années-lumière,
nous fuit à 2 000 kilomètres par seconde...
Du point de vue d'un
raisin cosmique
Tout se passe comme si l'Univers, dans son ensemble, subissait un vaste
mouvement d'expansion. Une sorte de gonflement dans lequel les galaxies
sont entraînées à des distances
mutuelles toujours
croissantes.
On compare souvent ce mouvement à celui d'un ensemble de
points
(représentant les galaxies) dessinés sur un
ballon qu'on
gonfle, même si cette comparaison porte facilement
à
confusion. Pour en saisir le sens précis, il faut savoir
transposer une information à deux dimensions (la surface du
ballon) dans un espace à trois dimensions (le monde des
galaxies). On pourrait se demander à quoi peut bien
correspondre
le volume vide et croissant du ballon...
C'est pourquoi il est préférable - sauf pour
votre ligne
- de considérer l'image d'un pudding aux raisins mis au
four.
Chaque raisin y figure une galaxie. La géométrie
à
trois dimensions du pudding est bien celle des répartitions
galactiques dans l'espace.
Enfourchons, par la pensée, un de ces raisins secs et
observons
le comportement de ses voisins : pendant la cuisson, le pudding gonfle
sous l'effet de la levure. Tous les raisins s'éloignent de
lui,
les plus lointains plus rapidement que les plus proches. Il percevra un
mouvement d'ensemble tout à fait comparable à
celui des
galaxies de Hubble. A condition, bien sûr, que la
pâte du
pudding ait été initialement bien
malaxée...
Enfourchons maintenant un autre raisin : le spectacle sera le
même... Ainsi en serait-il si nous étions dans une
autre
galaxie. Toutes les galaxies s'éloignent de nous mais nous
ne
sommes pas pour autant le centre du cosmos ! L'Univers est partout le
même. Aucune centre du monde ne s'est jamais
signalé
à notre attention.
Les comparaisons ont leurs faiblesses. Si certains aspects de leur
imagerie collent à la situation qu'elles
prétendent
illustrer, d'autres, au contraire, entraînent des confusions.
Un
pudding a un centre et une surface. En se gonflant, il occupe
progressivement l'espace vide du four. Tel n'est pas le cas pour le
monde des galaxies. Ce n'est pas dans un espace
préalablement
vide et inoccupé qu'il s'étend. Il n'y a pas deux
espaces
contigus, un premier plein de galaxies et un second vide. Le monde des
galaxies est tout l'espace.
Pour notre imaginaire habituel, ce point présente quelques
difficultés. Pourtant, il est fondamental. Il faut s'y
adapter.
Hubble
découvre que le cosmos n'est pas statique
Pendant deux mille ans, à la suite d'Aristote, on a admis
l'idée d'un Univers statique, inchangeant dans le temps,
éternellement identique à lui-même. Le
mouvement
global des galaxies nous donne l'image contraire d'un Univers en
évolution. Les galaxies s'éloignent les unes des
autres.
La fuite des galaxies impose une conclusion étonnante : le
nombre de galaxies dans un volume donné
décroît
avec le temps. Une des propriétés fondamentales
de
l'Univers, la densité de matière cosmique, n'est
donc pas
constante : elle diminue avec le temps, et au cours des ères
le
cosmos se raréfie.
L'image d'un Univers changeant a rencontré, dès
le
départ, beaucoup de résistance. Hubble
lui-même n'a
jamais cru que le rougissement des galaxies impliquait leur
éloignement. Comme beaucoup d'astronomes de
l'époque, il
a cherché d'autres interprétations.
Plusieurs hypothèses sont alors
étudiées. Deux
chercheurs français, Jean-Claude Pecker et Jean-Pierre
Vigier,
introduisent l'idée d'une "fatigue de la
lumière".
Pendant leur périple, les photons perdraient de
l'énergie. D'autres observations, portant sur l'apparence
des
disques galactiques, ont montré plus tard que cette
hypothèse est intenable. De plus, selon la
théorie
quantique, la lumière est "infatigable". Les
succès
extraordinaires de cette théorie nous invitent à
ne pas
prendre ses énoncés à la
légère...
On peut comparer la démarche du scientifique à
celle d'un
détective. La situation présente nous en offre
une
illustration. Pour interpréter une observation - ici le
rougissement des galaxies -, on établit d'abord une liste
des
interprétations possibles. Puis chacune est mise
à
l'épreuve. On en exige la cohérence avec les
autres
observations ainsi que la compatibilité avec les
théories
de la physique. Le "meilleur choix" se fait sur cette base
éliminatoire.
Ce crible a une faiblesse : l'imagination limitée des
chercheurs. Avons-nous vraiment fait le tour des
possibilités ?
N'y a-t-il pas un autre scénario auquel personne n'a
pensé ? Comment affirmer le contraire ? Le scientifique sait
qu'il lui faut vivre avec ce point faible. La science n'est jamais
terminée, jamais définitive. Elle est
continuellement
passible d'une remise en cause. Les connaissances sont toujours
provisoires...
Pour expliquer les observations de Hubble, l'élimination des
hypothèses rivales a laissé place à la
plus
vraisemblable et la plus simple : l'éloignement mutuel des
galaxies. Aucun autre scénario ne lui fait ombrage. Par la
suite, la pertinence de ce choix a été largement
corroborée par un ensemble de prédictions
confirmées, comme nous le verrons. Aussi ce
scénario
est-il très généralement
adopté par la
communauté scientifique.
Quelques chercheurs persistent encore à le
récuser. Cette
résistance à adopter une hypothèse
particulière tant que les autres n'ont pas
été
éliminées est naturelle, légitime et
nécessaire. Mais l'acharnement de certains penseurs
à
refuser, pour des raisons dites "philosophiques",
l'interprétation du rougissement en terme de mouvement des
galaxies est plus étonnante. Il s'explique, je crois, par
une
résistance toute naturelle à un changement de
paradigme.
Apologie des
démarches tordues
Reprenons le problème en collant au plus près des
observations de Hubble. Que nous disent-elles ? Aussi loin que nous
regardions, les galaxies s'éloignent les unes des autres. Si
nous fixons notre attention sur une paire de galaxies, nous voyons la
distance qui les sépare s'accroître. Un trio de
galaxies
forme un triangle dont la surface augmente sans que ses angles
changent. A partir de là, nous cherchons à nous
faire une
représentation mentale de la situation.
Dans le cadre de la cosmologie contemporaine, on interprète
le
mouvement d'éloignement des galaxies comme une expansion de
l'espace géométrique lui-même. Ici,
l'image du
ballon peut servir. Imaginons qu'on y colle des pin's en forme de
galaxies spirales. Ces pin's ne "bougent" pas par rapport à
la
membrane élastique où ils sont fixés.
Pourtant, en
s'étirant, cette membrane donne l'impression d'un mouvement
d'éloignement des pin's. De même, la
relativité
d'Einstein nous invite à considérer les galaxies
comme
fixées dans un tissu spatial en expansion.
A quoi peut servir une telle interprétation ? Pourquoi
introduire des notions aussi compliquées autour d'une
observation apparemment simple ? Pourquoi ne pas dire que les galaxies
s'éloignent, dans le sens le plus ordinaire, le plus banal
du
terme ?
Reposons la question autrement. Les galaxies ont-elles un mouvement
"réel" ou bien sont-elles entraînées
par
l'étirement de l'espace ?
A priori, les deux interprétations sont possibles. Mais la
seconde est infiniment plus féconde. Elle permettra, par la
suite, de comprendre et d'expliquer une brochette d'observations devant
lesquelles la première resterait muette. Pour le physicien,
ce
gain de clarté est inestimable. Ajoutons que cette
interprétation ne limite plus la vitesse des galaxies. Elles
peuvent aller plus vite que la vitesse de la lumière...
On touche là un aspect fondamental des théories
de la
physique moderne. Il est quelquefois avantageux d'adopter un point de
vue en apparence inutilement compliqué. Les
retombées
simplificatrices de ce choix ne se manifestent qu'à un stade
ultérieur de l'étude. Elles sont
considérables et
justifient simplement la démarche.
La théorie du
Big Bang
Les observations de Hubble, interprétées dans le
cadre de
la Relativité d'Einstein, ont donné naissance
à la
théorie du Big Bang. Les pères fondateurs sont
Alexander
Friedmann, Georges Lemaître et George Gamow.
En 1922, Friedmann montre que les équations d'Einstein
permettent la description d'un Univers en évolution. En
1927,
l'abbé Georges Lemaître voit dans les observations
de
Hubble la preuve du comportement dynamique de l'Univers. Associant le
formalisme mathématique de la relativité
générale aux mesures des galaxies, il
formule la
théorie dite de "l'atome primitif", qui deviendra plus tard
le
Big Bang.
Einstein est loin d'être convaincu. Il persiste à
refuser
l'idée d'un Univers changeant. Il qualifie le travail de
Lemaître d'"abominable". Mais il reviendra sur cette opinion
en
1932.
Le grand mérite de George Gamow a été
d'intégrer la physique nucléaire à la
cosmologie
évolutive. De là est née sa
prédiction de
l'existence du "rayonnement fossile". La découverte de ce
rayonnement en 1965 constitue aujourd'hui un des meilleurs arguments en
faveur de la théorie du Big Bang.
C'est l'astrophysicien Fred Hoyle qui a inventé,
à titre
de sarcasme, le terme "Big Bang". Vers les années 1950, avec
deux autres astrophysiciens anglais, Hermann Bondi et John Lyttleton,
ce chercheur formule une cosmologie nouvelle. Sa motivation :
rétablir la stabilité de l'Univers. Dans cette
théorie, on admet le mouvement de récession des
galaxies.
Mais on compense la raréfaction de l'Univers par
l'hypothèse d'une création de matière.
Ainsi,
malgré l'expansion, la densité du cosmos
(galaxies et
atomes) reste inchangée. Résultat net : en
dépit
des apparences, l'Univers est statique et éternel.
Ce modèle dit de "l'état stationnaire" (steady
state) eut
vite un énorme succès. Plus tard, des
observations le
mirent en difficulté. Les résultats astronomiques
étaient en contradiction avec ses prédictions.
Pourtant,
Fred Hoyle a continué à y adhérer
jusqu'à
sa mort. Cette obstination, de la part d'un des chercheurs les plus
originaux de notre époque, illustre une fois de plus, je
pense,
la force du paradigme de l'Univers statique.
Au XVIème siècle, Copernic décrit
d'une
façon convaincante le mouvement de notre planète
autour
du Soleil. La Terre n'est pas le centre du monde. L'exploration des
étoiles et des galaxies nous présente l'image
d'un cosmos
dépourvu de centre, homogène et dont tous les
points sont
équivalents.
Le monde accessible à nos télescopes n'est
peut-être qu'une fraction infime de l'Univers entier. Le
modèle du Big Bang extrapole la
propriété
d'homogénéité à l'ensemble
de l'Univers.
Les astronomes, délogés de leur position centrale
par
Copernic, adoptent une attitude diamétralement
opposée :
c'est partout pareil.
Regarder loin, c'est voir
un monde différent
Selon la théorie du Big Bang, l'Univers est partout le
même, à un moment donné du temps. Mais
il change au
cours des ères. Peut-on vérifier cette
hypothèse ?
La vitesse de la lumière nous vient ici en aide. En
regardant au
loin, on observe l'état passé de l'Univers. On
peut le
comparer à son état actuel.
Sur ce sujet, le télescope spatial Hubble nous apporte de
nombreux renseignements. L'observation montre que la densité
(correctement normalisée) de galaxies situées
à
huit ou dix milliards d'années-lumière est,
à
l'époque correspondante, beaucoup plus
élevée
qu'aujourd'hui. Nombreuses sont celles qui, à la suite de
collisions, ont fusionné. Le message est clair :
l'état
du cosmos change avec le temps. Notre Univers n'est pas statique...
Les quasars apportent
leur témoignage
Les quasars (quasi-stellar radiosources) forment une population de
galaxies remarquables par l'éclat extraordinaire de leur
noyau
central. Une source située dans un volume minuscule
(comparable
à celui du système solaire) émet mille
fois plus
d'énergie que notre Voie Lactée tout
entière. Il
semble que chacune de ces galaxies héberge un trou noir
géant au coeur de cet espace éblouissant.
Nous nous intéressons ici à la
répartition des
quasars dans l'Univers. Il n'en existe pas dans le voisinage de notre
Galaxie.
Tous sont loin de nous, à des centaines de millions, voire
des
milliards d'années-lumière. Plus on
s'éloigne,
plus on en rencontre. Le maximum de leur population se situe entre huit
et douze milliards d'années-lumière. Nous voyons
ces
quasars tels qu'ils se présentaient à une
période
où l'Univers n'avait que 10 à 20% de son
âge
présent.
Plus loin encore, leur population décroît
rapidement. Il
semble que le phénomène "quasar" corresponde
à une
phase juvénile dans l'évolution de certaines
galaxies. Le
noyau s'allume et brille de tous ses feux. Il s'éteint quand
la
galaxie prend de l'âge (et recommencerait quand deux galaxies
entrent en collision).
Ce scénario plausible a des conséquences
cosmologiques
importantes. Il implique que toutes ces galaxies-quasars soient
nées en même temps, peu après le Big
Bang. Comment
expliquer autrement la concentration des quasars dans une tranche bien
délimitée de distances cosmiques ? Il implique
aussi que
l'état dans lequel ces galaxies se présentent
à
nous aujourd'hui dépende de leur distance. Ces conclusions,
en
parfait accord avec la théorie du Big Bang, en constituent
des
preuves convaincantes. Dans un Univers statique, tout serait pareil -
partout et toujours - et les quasars seraient uniformément
répartis dans l'espace.
Regarder loin, c'est voir
chaud
Un gaz est constitué de myriades de molécules.
Soumis
à une compression, il se réchauffe ; sous la
détente, il se refroidit. Tel est le principe des
réfrigérateurs. De même, on peut
considérer
l'ensemble des galaxies du ciel comme un "gaz de galaxies". La
théorie de la relativité d'Einstein nous permet
d'en
comprendre le comportement. Le mouvement de fuite mutuelle des galaxies
entraîne un refroidissement du cosmos dans son ensemble.
Notre
Univers se raréfie et devient de plus en plus froid...
D'où la conclusion incontournable : dans le
passé, le
cosmos était plus dense et plus chaud...
Les explorateurs, abordant les rivages inconnus, s'aventuraient
à l'intérieur des terres en remontant les cours
d'eau Le
sens du courant leur donnait la direction. Les observations de Hubble
nous indiquent la voie du passé : il faut aller vers le plus
dense et le plus chaud.
Une règle simple, issue du scénario cosmologique
de
Friedmann-Lemaître, va nous servir de mesure. La chute de la
température cosmique est proportionnelle à
l'allongement
des distances. En d'autres termes, la température tombe de
moitié pendant que les galaxies doublent leurs distances.
Aujourd'hui, ces temps de doublement s'étendent sur des
milliards d'années. Tel n'était pas le cas aux
premiers
instants : tout se jouait en d'infimes fractions de seconde !
De là est née l'image d'une explosion cosmique.
Cette notion, très populaire chez les vulgarisateurs et
leurs cinéastes, n'est pas sans risques de
confusions. Elle fait intervenir certains
éléments qui sont applicables à la
cosmologie et d'autres qui ne le sont pas. On peut retenir
lidée d'une matière initialement chaude
(l'explosif) qui se refroidit par sa violente expansion. Mais,
redisons-le encore, l'image d'une matière initialement
confinée en un volume minuscule, et se propageant dans un
espace vide environnant, est à rejeter. Si on veut garder
l'image de l'explosion, il faut la modifier. Imaginons plutôt
un espace continu dont chaque point est en explosion. L'Univers est
homogène et n'a pas de centre.
Arrêtons un instant pour percevoir sur la figure suivante le
chamin parcouru jusqu'ici.
Panorama des composantes de la matière cosmique
Le ciel fourmille de galaxies, d'étoiles et de
nébuleuses. Ces corps sont formés d'atomes
émetteurs de lumière, grâce
à laquelle ils nous sont visibles.
Les observations astronomiques montrent que la quantité
moyenne de matière lumineuse (ou densité
lumineuse) est très faible. Elle correspond environ
à la masse d'un proton dans un volume de trente
mètres cubes. Par comparaison, dans le même volume
d'air atmosphérique, le nombre de protons est de plus d'un
million de milliards de milliards ! Le ciel est vraiment pauvre en
matière !
Mais cette estimation est-elle complète ? D'immenses
populations d'astres sombres, invisibles à nos
télescopes, hantent peut-être les espaces
cosmiques. Comment savoir ?
La force de gravité nous vient en aide. Son influence est
universelle : tous les corps y sont soumis, et ses effets se
manifestent sur la matière environnante. Par exemple, un
trou noir n'émet par définition pas de
lumière ; pourtant, il se laisse débusquer par
les perturbations orbitales que son champ de gravité
provoque sur les astres de son voisinage.
Les étoiles tournent trop vite
Les manifestations de la gravité nous apprennent que
l'ensemble de tous les atomes qui nous sont visibles
(étoiles, etc.) ne constitue qu'un demi de 1% de la
densité totale de l'Univers... mais comment le sait-on ?
Les mesures du mouvement des étoiles autour de la Galaxie
sont notre première source de renseignements. Par rapport
à la masse galactique visible, elles tournent beaucoup trop
vite.
Pour bien saisir la nature du problème,
considérons d'abord le mouvement des corps dans notre
cortège planétaire. Sur la figure suivante, on a
indiqué les vitesses de rotation des planètes en
fonction de leur distance au Soleil.

Ces vitesses
d'échelonnent entre 40 km/s pour Mercure, la plus
rapprochée de l'astre central, jusqu'à 4 km/s
pour la lointaine Pluton.
Ces vitesses s'accompagnent d'une force centrifuge qui compense
l'attraction solaire et permet à la planète de se
stabiliser sur son orbite. Plus on s'éloigne, plus
l'attraction solaire est faible et plus la vitesse orbitale diminue.
Pluton, cent fois plus éloignée que Mercure, se
déplace dix fois plus lentement.
Notre Galaxie présente une situation analogue. Les
étoiles tournent autour du centre galactique. Ce mouvement
de rotation leur permet de résister à
l'attraction qui, autrement, les projetterait contre le noyau central.
Ainsi notre Soleil se tient à environ 25 000
années-lumière du centre, dont il fait le tour en
200 millions d'années.
A partir de la masse galactique visible, on calcule la vitesse requise
pour qu'une étoile se maintienne sur son orbite stable. Puis
on compare avec les données astronomiques. Surprise : comme
le montre la figure suivante, les plus lointaines ont des vitesses
observées bien supérieures aux valeurs
calculées...
Ces observations inattendues suggèrent l'existence d'une
composante de matière sombre, dispersée dans le
volume de la Galaxie, surtout vers sa périphérie.
Une sorte de "halo" galactique. Son champ d'attraction expliquerait
pourquoi les étoiles lointaines se déplacent si
vite. On estime sa masse à environ dix fois celle de toutes
les étoiles visibles. D'où l'idée que
90% de la masse galactique "gravite" - les étoiles en
sentent la présence - mais ne "brille" pas.
De quoi ce halo est-il constitué ? Il pourrait s'agir d'une
population importante d'astres si faibles qu'ils échappent
à nos instruments. Certaines observations
récentes montrent que les astres faibles (naines brunes, par
exemple) sont trop rares pour constituer la matière sombre.
Il pourrait aussi s'agir de nouvelles particules
élémentaires, encore inconnues, et
dénommées particules exotiques. Depuis quelques
années, plusieurs expériences de laboratoire
tentent de détecter et d'identifier ces particules. Les
théoriciens, de leur côté,
suggèrent l'existence de particules hypothétiques
qui pourraient bien jouer le rôle de matière
exotique. Aujourd'hui, à part quelques résultats
encore contestés, rien ne se profile à l'horizon
des laboratoires, mais les explorations se poursuivent et le moral est
bon.
Les amas de galaxies semblent trop légers
La matière sombre se manifeste encore sur une plus grande
échelle. Le problème des amas de galaxies nous en
offre un exemple.
Une image préliminaire va nous éclairer : un
caillou, lancé par un enfant, s'élève
dans le ciel bleu. Comme il est attiré par la Terre, sa
vitesse diminue progressivement ; il finit par s'arrêter et
revient vers le sol. On pourrait calculer la masse de la Terre en
mesurant la décélération du caillou.
Sur un astre moins massif, le caillou lancé avec la
même force pourrait ne pas retomber au sol : il
s'échapperait dans le système solaire. Par
exemple, sur Phobos, un satellite de Mars dont le rayon ne
dépasse pas trente kilomètres.
Une notion utile ici : la vitesse d'échappement. C'est une
vitesse minimale qu'il faut donner à un projectile pour
l'extraire du champ d'attraction dans lequel il se trouve
plongé. A la surface de la Terre, la vitesse
d'échappement (on dit aussi vitesse de
libération) est de 11 km/s ; sur la Lune, 80 fois moins
massive que la Terre, cette vitesse n'est plus que de 2 km/s. A la
surface de Phobos, elle ne dépasse pas 10 m/s (soit 3,6
km/h) : un enfant pourrait en éjecter un caillou.
Dans un amas, un nombre considérable (plusieurs milliers) de
galaxies coexistent en un volume relativement restreint. On
évalue la masse de l'amas en faisant la somme des masses des
galaxies individuelles. Puis on calcule la vitesse
d'échappement qui permettrait à une galaxie de
s'extraire du champ de gravité de l'amas et de s'enfuir dans
l'espace intergalactique.
En parallèle, on mesure la vitesse des galaxies dans cet
amas. Nouvelle surprise : ces vitesses observées sont
largement supérieures aux vitesses d'échappement
calculées : l'amas devrait "s'évaporer" en peu de
temps !
Une solution s'impose : les amas sont plus massifs que nous le pensons
ou, plus précisément, que nous sommes en mesure
de l'évaluer à partir de ces qui brille. Ils
contiennent une composante sombre et attractive environ cinquante fois
plus massive que leur composante lumineuse (étoiles). Les
nouvelles vitesses d'échappement, calculées en
tenant compte de cette composante, sont maintenant
supérieures aux vitesses mesurées. Les amas ne
risquent plus de s'évaporer.
Mirages gravitationnels
Une découverte récente, basée sur la
théorie de la relativité d'Einstein, confirme la
présence de matière sombre : les mirages
gravitationnels.
Quand la lumière passe près d'un astre, sa
trajectoire en est déviée. Prenons l'exemple d'un
quasar qui, dans notre ciel, serait situé tout juste
derrière une galaxie. Son image,
déformée par la galaxie intermédiaire,
nous arrive sous la forme d'un "anneau d'Einstein".
On en connaît de nombreux exemples. Ces observations,
répétées sur plusieurs quasars différents,
montrent que les masses réelles des galaxies
intermédiaires sont environ plusieurs dizaines de fois plus
élevées que leurs masses visibles.
Des études récentes à l'aide des
déformations lumineuses des images des galaxies lointaines nous
permettent de reconnaître les contours des masses de
matière sombre. Si nous ne savons pas encore ce qu'elle est,
nous commençons à savoir où elle se trouve.
Les meilleurs estimations à l'échelle des amas et des
superamas indiquent que la densité de cette matière
sombre est environ soixante fois plus grande que celle de la
matière lumineuse. Elle équivaudrait à la masse
d'une population d'environ deux protons par mètre-cube.
La découverte de l'énergie sombre
Non seulement les galaxies s'éloignent les unes des autres -
cela, on le savait grâce à Hubble depuis 1928 -, mais
elles vont de plus en plus vite ! Il s'agit là d'une des plus
grandes découvertes cosmologiques de ces dernières
années.
Cette information étonnante nous a été fournie par
l'observation d'étoiles éclatées en supernovae
alors que l'Univers n'avait que la moitié de son âge
présent. Pour rendre compte de leurs distances, il faut supposer
l'existence d'une force de répulsion qui éloigne les
galaxies les unes des autres.
Pour expliquer cette force répulsive, on est amené
à invoquer la présence d'une nouvelle composante du
cosmos, distribuée de façon homogène dans
l'espace, appelée "énergie sombre" (ou "quintessence"
pour certains). Plus étonnant encore, cette composante sombre
domine la densité de l'Univers ; elle est deux fois plus
importante que la matière sombre (attirante). Nous verrons plus
tard comment les études récentes des fluctuations du
rayonnement fossile confirment magnifiquement l'existence de cette
composante.
Si cette composante répulsive est si puissante, il serait
légitime de se demander pourquoi les corps continuent à
s'attirer : la Lune et la Terre ; le Soleil et les planètes. La
réponse est simple : c'est que, contrairement à la force
d'attraction liée à la matière, qui diminue
rapidement avec la distance entre les objets (loi de Newton), les
effets de cette force de répulsion augmentent avec la distance
et ne deviennent importants qu'à des centaines de millions
d'années-lumière. Aux éloignements typiques des
planètes et des étoiles, la composante matérielle
attractive domine entièrement le comportement des astres. Entre
la Lune et la Terre, entre la Terre et le Soleil, la répulsion
est parfaitement négligeable.
Jusqu'à ce jour, la nature de cette composante cosmique nous est
encore largement inconnue. Il y a quelques hypothèses, que l'on
développera ultérieurement...
Sur la courbure de l'espace : la densité critique
La surface de la Terre a longtemps paru plane aux êtres humaines.
L'astronome Aristarque de Samos en a mesuré la courbure quelques
siècles avant J.-C. L'histoire vaut la peine d'être
racontée.
Une rumeur, provenant de Thèbes (maintenant Assouan), en Egypte,
voulait que la lumière du Soleil y pénètre
jusqu'au fond des puits le 21 juin à midi. Tel n'était
pas le cas à Alexandrie, où vivait Aristarque. Il en
conclut que la Terre était ronde. Un voyage à
Thèbes lui permit de vérifier le bien fondé de
cette rumeur : mesurant l'angle du Soleil le 21 juin à
Alexandrie, ainsi que la distance Alexandrie-Thèbes, Aristarque
calcula, le premier, le rayon de la Terre. Son estimation est alors
correcte à 10%, un résultat tout à fait
remarquable pour l'époque. Les observations satellites, en
photographiant la Terre depuis l'espace; se sont chargées de
dissiper les derniers doutes quant au caractère sphérique
de notre planète.
Il faut maintenant mentionner une conséquence étonnante
de la théorie de la relativité générale
d'Einstein : l'espace dans lequel nous vivons n'est pas
nécessairement un espace plat ! Il peut avoir une courbure. La
théorie admet tous les cas de figure. Cette courbure, bien spur,
échappe à notre imagination : nous n'avons aucun moyen de
nous la représenter.
Pourtant, la théorie d'Einstein en admet la possibilité,
laissant aux scientifiques la tâche de déterminer la
valeur numérique de cette courbure (comme on mesure le rayon
d'une sphère).
L'espace peut-être courbe de deux façons
différentes. Il peut être soit fermé comme une
sphère, soit ouvert comme un tajine marocain.
Quel est la courbure de l'Univers dans lequel nous vivons ? Selon la
théorie du Big Bang, elle est déterminée par la
densité de matière et d'énergie qu'il contient. Si
cette densité est faible, l'espace sera dit "ouvert" ; si elle
est élevée, il sera dit "fermé". A la
frontière entre ces deux familles de courbures se situe un
espace de courbure nulle, dit "plat" ou encore "euclidien" : on dira
qu'il a la "densité critique". Dans notre Univers, cette
densité critique correspond à l'équivalent de six
protons par mètre-cube.
Or la somme des densités de la matière sombre et de
l'énergie sombre évaluée par les observations
décrites précédemment donne une valeur très
voisine de la densité critique. D'où la conclusion
largement répétée dans les médias : nous
vivons, semble-t-il, dans un Univers plat.
En peu de mots, les mesures de ces toutes dernières
années - aussi bien la mesure de la distance des supernovae
lointaines par lesquelles nous avons découvert l'existence de
l'énergie sombre que des observations du rayonnement fossile -
nous montrent que la courbure de notre Univers est très faible,
sinon nulle. Nous vivons dans un espace plat, où les
parallèles ne se rencontrent jamais.
Retour à la constante cosmologique
Notons que l'existence d'une énergie sombre dans le cosmos n'est
en conflit avec aucune des lois de la physique connues aujourd'hui. En
fait, elle était même prévisible dans le cadre de
la théorie de la relativité d'Einstein, où elle
est représentée sous la forme d'une "constante
cosmologique". Telle est la puissance des modèles
mathématiques. Ils peuvent incorporer l'existence de
phénomènes inconnus et qui ne seront modifiés que
beaucoup plus tard. L'existence de l'antimatière en est un
exemple célèbre. Elle était déjà
inscrite dans l'équation par laquelle le physicien Paul Dirac
présentait en 1932 la physique quantique.
La constante cosmologique est née, rappelons-le, des efforts
d'Einstein pour stabiliser l'Univers. Il s'agit, au départ, d'un
terme mathématique légitime dans le cadre des
équations du Big Bang. Mais à quoi correspondrait-elle
dans la réalité ? Quel serait son effet sur le cosmos ?
Elle se comporterait comme une composante de matière d'un type
tout à fait particulier. Sa présence se manifesterait par
une force qui influencerait l'expansion du cosmos. Selon sa valeur
numérique, elle pourrait être négative
(correspondant à une influence attractive) ou positive
(correspondant à une influence répulsive). Les nouvelles
mesures de la distance des supernovae lointaines nous donnent son signe
(positif, elle serait donc répulsive) ainsi que son
intensité : les deux tiers de la densité totale.
Pourtant, une question reste en suspens : l'accélération
observée est-elle vraiment due à l'effet de la constante
cosmologique telle que prévue par la théorie de la
Relativité ? Ou bien s'agit-il d'un tout autre
phénomène, analogue dans ses effets mais de nature
différente ? Cette question prendra toute son ampleur quand nous
essaierons de voir l'avenir de l'Univers. La réponse est
liée à l'observation de nombreuses supernovae
situées à des distances différentes. De telles
mesures sont en cours.
Sur l'âge de l'Univers
Les observations du mouvement des galaxies nous suggèrent un
calcul simple : mesurons la vitesse et la distance des galaxies.
Combien de temps ont-elles mis pour atteindre cette distance en
s'éloignant à cette vitesse ? La réponse nous
permet une évaluation approximative de l'âge de l'Univers.
Historiquement, la question a subi plusieurs rebondissements. Les
premières mesures de Hubble, vers 1930, faisaient
apparaître une contradiction entre la géologie et la
théorie du Big Bang. L'âge du cosmos estimé au
moyen de ces esures (environ deux milliards d'années)
était nettement inférieur à celui du
système solaire (quatre milliards et demi d'années). Par
la suite, grâce à une réévaluation de
l'échelle des distances, cette contradiction a disparu.
Certaines étoiles de notre Galaxie brillent depuis treize
à quatorze milliards d'années. Ces estimations nous
viennent de l'étude des amas dits "globulaires" dont les
étoiles sont nées en même temps, peu après
la formation de notre Voie Lactée; Il a été
confirmé récemment par la détection de l'uranium
et du thorium dans une étoile de toute première
génération. Ces éléments radioactifs
à longue durée de vie sont des indicateurs idéaux
de l'âge des objets dans lesquels leurs abondances sont
mesurées.
La théorie du Big Bang est-elle compatible avec un âge
aussi grand ? L'idée sous-jacente est bien sûr qu'aucune
étoile ne peut être plus vieille que l'Univers ! Les
modèles détaillés incorporant les effets de
l'énergie sombre, aujourd'hui, sont parfaitement compatibles
(treize à quinze milliards d'années) avec l'âge des
plus vieilles étoiles.
En fait, cette compatibilité entre la fourchette des âges
délimitée par l'étude des étoiles et
l'observation du mouvement des galaxies peut être
considérée comme un argument de plus en faveur du Big
Bang. Or, rin ne la garantissait a priori. Il suffit de détecter
une étoile dont l'âge serait, disons de cinquante
milliards d'années pour remettre en cuase la théorie du
Big Bang. Jusqu'ici, on n'en a jamais observé.
Glaner
Avant de poursuivre le voyage, glanons quelques résultats
numériques qui vont nous familiariser avec le scénario du
Big Bang.
Le rayonnement fossile nous apprend que la température actuelle
du cosmos est de 2,7 K (soit environ -270°C).
Supposons une galaxie bleue avec une longueur d'onde d'environ
trois dixièmes de micron (300 nm). Si ce rayonnement nous arrive
avec une longueur d'onde deux fois plus grande (600 nm, elle serait
rouge), c'est que nous la voyons telle qu'elle était à
une époque où la température du cosmos
était plus élevée qu'aujourd'hui (5,5 K), et la
densité moyenne huit fois plus élevée
qu'aujourd'hui. Elle était alors deux fois plus proche de nous ;
elle est maintenant à une dizaine de milliards
d'années-lumière, elle était à 5 milliards
d'années-lumière quand elle a émis sa
lumière bleue. L'Univers avait alors un peu plus de 5 milliards
d'années. Elle s'éloigne de nous à 60% de la
vitesse de la lumière.
La figure qui suit montre d'autres exemples numériques. Elle
illustre un fait important : les galaxies lointaines baignaient dans un
rayonnement plus chaud quand elles ont émis les photons que nous
recevons maintenant. On a pu récemment mesurer la
température de ce rayonnement pour une galaxie située
à huit milliards d'années-lumière : la
température mesurée (8,8 K) est telle que prévue
par la théorie et confirme une fois de plus le scénario
du Big Bang.
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Quel est l'avenir du monde ?
Le cosmos va-t-il continuer à se refroidir indéfiniment,
approchant indéfiniment du zéro absolu ? Ou bien,
à l'instar du caillou lancé par l'enfant et qui revient
vers le sol, va-t-il inverser son mouvement ? L'expansion se
transformera-t-elle en une contraction générale ramenant
les galaxies les unes vers les autres, entraînement un
réchauffement futur du cosmos ? La théorie du Big Bang
admet les deux scénarios. Mais dans lequel notre Univers est-il
inscrit ?
La question de l'avenir de l'Univers est intimement liée
à la fois à la densité de matière
gravitante et à la densité d'énergie sombre. Les
deux interviennent, mais d'une façon très
différente.
La matière gravitante (sombre et lumineuse) ralentit le
mouvement d'expansion de l'Univers. Dans un monde à faible
densité, les galaxies s'éloigneraient sans arrêt,
et l'Univers se raréfierait indéfiniment. A l'inverse,
dans un Univers très dense, le mouvement des galaxies en
viendrait à s'inverser et l'espace à se recontracter. Si
la matière gravitante avait la densité critique,
l'Univers s'étalerait, mais en ralentissant progressivement,
sans pour autant jamais se recontracter. La température tendrait
vers le zéro absolu, mais de plus en plus lentement, ne
l'atteignant qu'après une période infinie.
La figure suivante montre les trajectoires suivie par des univers
hypothétiques de densité gravitante différente, en
l'absence d'une composante d'énergie sombre répulsive.
L'axe vertical décrit l'étalement de l'espace (par
exemple la distance entre deux particules) en fonction du temps.

Un
Univers de faible densité (la courbe la plus à gauche)
s'étale très rapidement et ne revient jamais sur
lui-même. Les courbes successives, de gauche à droite,
montrent l'effet du ralentissement - dû à la
gravité - dans des univers de plus en plus denses. L'espace
s'étale de plus en plus lentement. Au-delà de la
densité critique, l'étalement finit par s'arrêter
et se transforme en une contraction. Cette contraction s'accompagne
d'un réchauffement, jusqu'à un état final
appelé Big Crunch. Ces derniers univers ont une durée de
vie finie, comprise entre le Big Bang et le Big Crunch. Plus l'Univers
est dense, plus courte est cette durée.
Telle était la situation au milieu des années 1990. A
cette époque, on avait déjà une bonne estimation
de la densité de matière sombre (30% de la densité
critique). Le futur (expansion infinie, pas de réchauffement)
était inscrit dans la courbe indexée "un tiers de la
densité critique" de la figure précédente.
C'est là que la découverte de l'énergie sombre
modifie nos prévisions sur l'avenir de l'Univers. Son effet sur
l'expansion est portée sur la figure suivante.
On constate que la courbe d'expansion s'inverse vers le haut. Les
galaxies, au lieu de s'éloigner de plus en plus lentement
(décélération due à la seule
gravité), gagnent maintenant de la vitesse. De toute
évidence, on est de plus en plus loin du Big Crunch. Mais se
pose une question fondamentale quant à la nature et surtout
à l'histoire de cette énergie sombre : change-t-elle de
valeur au cours du temps ?
Suppososns d'abord qu'elle ne change pas. Alors,
l'accélération va se poursuivre indéfiniment. Les
galaxies vont s'éloigner de plus en plus vite, et
évidemment... pas de Big Crunch. Pour les observateurs
terrestres, les galaxies lointaines vont progressivement atteindre des
vitesses telles que leur lumière ne pourra plus nous parvenir.
Notre ciel se videra de galaxies et nous ne verrons plus que les
membres de notre groupe local, les nuages de Magellan, la galaxie
d'Andromède.... Finie, l'astronomie extragalactique ! Les
télescopes ne sont enverront plus les belles images que nous
procure aujourd'hui le télescope spatial Hubble. Dans l'Univers,
nous serons plus seuls que jamais.
Mais l'énergie sombre a-t-elle toujours eu son intensité
présente ? Et quel est son avenir ? Changera-t-elle de valeur,
et en quel sens ? Notre ignorance brouille toutes les cartes quand nous
nous interrogeons sur l'avenir de l'Univers.
Questions variées
L'Univers naissant avait-il la dimension d'un point ?
Il importe ici de distinguer l'Univers "observable" et l'Univers
entier. L'Univers observable est celui que nos télescopes
peuvent atteindre aujourd'hui. Son rayon est d'environ quinze milliards
d'années-lumière. Il contient plus de cent millions de
galaxies comme la nôtre, soit environ 1080 nucléons.
Plus on recule vers le passé, plus cette masse de matière
se trouve confinée dans un espace restreint. Selon la
théorie, elle était au départ contenue dans un
volume minuscule.
Notons que cet Univers observable n'est vraisemblablement qu'une partie
infime de l'Univers entier. Aussi convient-il, avant de poursuivre la
discussion, d'aborder un autre problème : celui de la dimension
de l'Univers tout entier.
L'Univers est-il infini ?
Cet question hante l'esprit humain depuis des millénaires.
Giordano Bruno affirmait l'infinitude du cosmos. Selon le philosophe
Emmanuel Kant, il est impossible de répondre par oui ou par non.
Pour beaucoup d'auteurs, cette question est inconvenante. Elle ne
devrait même pas être posée...
Reconnaissons d'abord un fait évident : ici, l'observation
directe n'est d'aucun secours. Le nombre d'étoiles, de galaxies
détectées par nos télescopes, pour grand qu'il
soit, ne sera jamais infini. On ne peut observer que du "fini". Aussi
faut-il faire appel à d'autres méthodes d'enquête.
Une théorie à succès est une mine de
renseignements pour le physicien. Il peut lui poser des questions qui
échappent à l'observation directe. La théorie du
Big Bang se prête à cette démarche. Le structure
mathématique de cette théorie s'étend
au-delà des données d'observation sur lesquelles elle a
été établie. On pourrait parler d'observation
indirecte ; ce mode de connaissance ne vaut pas plus, bien sûr,
que la théorie sur laquelle il s'appuie. Prudence, donc...
Disons d'abord que la question de la dimension primordiale de l'Univers entier dépend de nombreux acteurs mal connus.
Le plus important sur ce plan est de nature topologique : il concerne
sa géométrie globale. Vue au ras du sol, le Terre est
plate. Mais vue d'un satellite, elle est sphérique. De
même, notre Univers pourrait être chiffonné (cf.
Jean-Pierre Luminet, L'Univers chiffonné, Paris, Odile Jacob
2001). Notre ignorance à ce sujet nous empêche,
aujourd'hui, de répondre à la question de l'infinitude
possible de l'Univers, mais peut-être y arriverons-nous plus tard.
Un Univers de densité inférieure ou égale à
la densité critique peut être de dimension infinie. Dans
ce cas, il a toujours été infini. Il n'a jamais
été concentré dans un minuscule volume. Chaque
point de son volume infini a été autrefois
extrêmement chaud et dense.
De même, un Univers de densité supérieure à
la densité critique peut être de dimension finie. Dans ce
cas, son volume entier aurait été concentré en un
volume infime;, renfermé sur lui-même, sans bords. Mais,
répétons-le une fois de plus, ce petit volume
n'était pas englobé dans un espace vide de plus grande
dimension. Il n'y avait pas d'autre espace que celui de l'Univers.
L'espace (s'il est fini) s'accroît tout au long de l'expansion.
Il pourrait passer par un maximum pour se recontracter ensuite. la
température grimperait à nouveau.
Et après ? Aurions-nous une séquence de cycles comme dans
la mythologie hindouiste ? Pouvons-nous imaginer une série
infinie d'expansions et de contractions, dans le passé comme
dans l'avenir ? Certains auteurs le prétendent.
Si l'Univers devient de moins en moins dense, où va la matière ?
Si l'Univers est fini, son volume s'accroît, et la matière
se dilue en conséquence. S'il est infini, la quantité de
matière est infinie tout comme l'énergie. Dans l'infini,
il y a toujours de la place.
Les galaxies elles-mêmes sont-elles en expansion ? Les étoiles ? Les planètes ?
Après une période d'expansion initiale, les volumes
contenant la matière des futures galaxies (ou, plus exactement,
des futurs amas de galaxies) finissent par se stabiliser. Les astres
qui s'y forment, étoiles et planètes, ne participent plus
au mouvement d'expansion. Les forces internes qui assurent la
stabilité de ces astres neutralisent le mouvement d'expansion en
leur sein. Depuis cette époque, seules les distances entre les
amas de galaxies augmentent avec le temps.
Univers stériles et fertiles
Comment le cosmos aurait-il évolué si les densités
de la matière gravitante et de l'énergie sombre avaient
été différentes ?
Rappelons que la formation des galaxies est provoquée par
l'attraction de la matière sur elle-même. Elle implique un
mouvement de condensation locale, à contre-courant de
l'expansion. Des univers de faible densité de matière
gravitante s'étaleraient trop rapidement pour donner naissance
à des galaxies. Leurs substances homogènes se dilueraient
sans que des agrégats de matière aient le temps de s'y
établir et de croître. Aucune étoile ne s'y
condenserait ; aucun atome ne s'y produirait. Seuls subsisteraient
l'hydrogène et l'hélium primordiaux. La vie, du moins
sous la forme que nous connaissons, ne pourrait s'y développer.
Cet univers serait stérile.
A l'inverse, des univers très denses (et sans énergie
sombre) s'ouvriraient et se refermeraient après une durée
limitée. Cette durée pose problème.
L'élaboration de la vie demande beaucoup de temps. Il faut de
nombreuses générations d'étoiles pour engendrer
les éléments chimiques. Ensuite, une longue
période de gestation de la vie dans une nappe aquatique. Un
univers dont la durée de vie ne dépasserait pas un
milliard d'années se recontracterait vraisemblablement bien
avant la naissance des premières fleurs des champs. Notre
Univers se situe bien entre ces deux extrêmes.
De même, si l'énergie sombre avait été
beaucoup plus dense, l'accélération de l'expansion se
serait produite bien avant que les galaxies ne puissent se former.
Résultat : à nouveau un univers stérile.
Faut-il s'en étonner ? Au sens propre du terme,
certainement pas. Si tel n'était pas le cas, nous
n'existerions pas. Pourtant, ces faits sont importants. Ce sont autant
de "coïncidences heureuses" qui nous relient au cosmos et à
son évolution.