La fuite des galaxies

L'obscurité du ciel nocturne ainsi que l'impermanence des étoiles et des planètes sont difficilement compatibles avec l'idée d'un Univers éternel et immuable. Cela, les astronomes le savaient déjà à la fin du XIXème siècle. Les objections à la stabilité du cosmos, formulées implicitement par les équations d'Einstein en 1915, ajoutaient leur poids au malaise ressenti face au modèle aristotélicien. Le terrain était prêt pour une révolution cosmologique profonde.
Tout au long du XXème siècle, un ensemble d'observations cruciales donnent le coup de grâce à un Univers statique. Celles-ci jouent un rôle fondamental dans l'élaboration de notre nouvelle vision du monde. Leurs résultats nous permettent de reconstituer, pas à pas, le lointain passé du cosmos. Chacune de ces observations va baliser notre itinéraire...

La première se situe dans les années 1920-1930. Elle porte sur l'étude des galaxies lointaines. C'est avec elle que nous débutons notre exploration des temps anciens. Elle nous ouvre la voie du passé.
A cette période, les astronomes démontrent définitivement que certaines "nébuleuses" du ciel ne font pas partie de notre Voie Lactée. Leurs distances se mesurent en millions d'années-lumière et les placent bien au-delà du volume de notre Galaxie. Il s'agit d'autres galaxies, plus ou moins semblables à la nôtre.
Les grands instruments astronomiques de cette époque, le télescope du mont Wilson et plus tard celui du mont Palomar, permettent la mesure de leurs vitesses ; cette mesure se fait à partir de l'effet Doppler-Fizeau. Par rapport à sa couleur réelle, la lumière d'un astre qui s'approche paraît plus bleue ; s'il s'éloigne, la lumière est plus rouge. L'astronome américain Edwin P. Hubble entreprend un programme d'étude d'un certain nombre de galaxies. Il veut déterminer à la fois les distances et les vitesses.
Des mesures analogues avaient déjà été effectuées auparavant sur les étoiles du ciel. Certaines s'approchent de nous, d'autres s'éloignent, de façon plus ou moins aléatoire. Hubble allait-il obtenir un résultat similaire sur ses galaxies ?
Dès les premières observations, la surprise fut grande. Le comportement des galaxies se montrait profondément différent de celui des étoiles. Hormis les plus rapprochées, elles s'éloignent toutes de nous. Et d'une façon très particulière : les plus lointaines se meuvent systématiquement plus vite que les plus proches. Une galaxie située à dix millions d'années-lumière s'éloigne à 200 kilomètres par seconde, tandis qu'une autre galaxie, située à cent millions d'années-lumière, nous fuit à 2 000 kilomètres par seconde...

Du point de vue d'un raisin cosmique
Tout se passe comme si l'Univers, dans son ensemble, subissait un vaste mouvement d'expansion. Une sorte de gonflement dans lequel les galaxies sont entraînées à des distances mutuelles toujours croissantes.
On compare souvent ce mouvement à celui d'un ensemble de points (représentant les galaxies) dessinés sur un ballon qu'on gonfle, même si cette comparaison porte facilement à confusion. Pour en saisir le sens précis, il faut savoir transposer une information à deux dimensions (la surface du ballon) dans un espace à trois dimensions (le monde des galaxies). On pourrait se demander à quoi peut bien correspondre le volume vide et croissant du ballon...
C'est pourquoi il est préférable - sauf pour votre ligne - de considérer l'image d'un pudding aux raisins mis au four. Chaque raisin y figure une galaxie. La géométrie à trois dimensions du pudding est bien celle des répartitions galactiques dans l'espace.
Enfourchons, par la pensée, un de ces raisins secs et observons le comportement de ses voisins : pendant la cuisson, le pudding gonfle sous l'effet de la levure. Tous les raisins s'éloignent de lui, les plus lointains plus rapidement que les plus proches. Il percevra un mouvement d'ensemble tout à fait comparable à celui des galaxies de Hubble. A condition, bien sûr, que la pâte du pudding ait été initialement bien malaxée...
Enfourchons maintenant un autre raisin : le spectacle sera le même... Ainsi en serait-il si nous étions dans une autre galaxie. Toutes les galaxies s'éloignent de nous mais nous ne sommes pas pour autant le centre du cosmos ! L'Univers est partout le même. Aucune centre du monde ne s'est jamais signalé à notre attention.
Les comparaisons ont leurs faiblesses. Si certains aspects de leur imagerie collent à la situation qu'elles prétendent illustrer, d'autres, au contraire, entraînent des confusions. Un pudding a un centre et une surface. En se gonflant, il occupe progressivement l'espace vide du four. Tel n'est pas le cas pour le monde des galaxies. Ce n'est pas dans un espace préalablement vide et inoccupé qu'il s'étend. Il n'y a pas deux espaces contigus, un premier plein de galaxies et un second vide. Le monde des galaxies est tout l'espace.
Pour notre imaginaire habituel, ce point présente quelques difficultés. Pourtant, il est fondamental. Il faut s'y adapter.

Hubble découvre que le cosmos n'est pas statique
Pendant deux mille ans, à la suite d'Aristote, on a admis l'idée d'un Univers statique, inchangeant dans le temps, éternellement identique à lui-même. Le mouvement global des galaxies nous donne l'image contraire d'un Univers en évolution. Les galaxies s'éloignent les unes des autres.
La fuite des galaxies impose une conclusion étonnante : le nombre de galaxies dans un volume donné décroît avec le temps. Une des propriétés fondamentales de l'Univers, la densité de matière cosmique, n'est donc pas constante : elle diminue avec le temps, et au cours des ères le cosmos se raréfie.
L'image d'un Univers changeant a rencontré, dès le départ, beaucoup de résistance. Hubble lui-même n'a jamais cru que le rougissement des galaxies impliquait leur éloignement. Comme beaucoup d'astronomes de l'époque, il a cherché d'autres interprétations.
Plusieurs hypothèses sont alors étudiées. Deux chercheurs français, Jean-Claude Pecker et Jean-Pierre Vigier, introduisent l'idée d'une "fatigue de la lumière". Pendant leur périple, les photons perdraient de l'énergie. D'autres observations, portant sur l'apparence des disques galactiques, ont montré plus tard que cette hypothèse est intenable. De plus, selon la théorie quantique, la lumière est "infatigable". Les succès extraordinaires de cette théorie nous invitent à ne pas prendre ses énoncés à la légère...

On peut comparer la démarche du scientifique à celle d'un détective. La situation présente nous en offre une illustration. Pour interpréter une observation - ici le rougissement des galaxies -, on établit d'abord une liste des interprétations possibles. Puis chacune est mise à l'épreuve. On en exige la cohérence avec les autres observations ainsi que la compatibilité avec les théories de la physique. Le "meilleur choix" se fait sur cette base éliminatoire.
Ce crible a une faiblesse : l'imagination limitée des chercheurs. Avons-nous vraiment fait le tour des possibilités ? N'y a-t-il pas un autre scénario auquel personne n'a pensé ? Comment affirmer le contraire ? Le scientifique sait qu'il lui faut vivre avec ce point faible. La science n'est jamais terminée, jamais définitive. Elle est continuellement passible d'une remise en cause. Les connaissances sont toujours provisoires...
Pour expliquer les observations de Hubble, l'élimination des hypothèses rivales a laissé place à la plus vraisemblable et la plus simple : l'éloignement mutuel des galaxies. Aucun autre scénario ne lui fait ombrage. Par la suite, la pertinence de ce choix a été largement corroborée par un ensemble de prédictions confirmées, comme nous le verrons. Aussi ce scénario est-il très généralement adopté par la communauté scientifique.
Quelques chercheurs persistent encore à le récuser. Cette résistance à adopter une hypothèse particulière tant que les autres n'ont pas été éliminées est naturelle, légitime et nécessaire. Mais l'acharnement de certains penseurs à refuser, pour des raisons dites "philosophiques", l'interprétation du rougissement en terme de mouvement des galaxies est plus étonnante. Il s'explique, je crois, par une résistance toute naturelle à un changement de paradigme.

Apologie des démarches tordues
Reprenons le problème en collant au plus près des observations de Hubble. Que nous disent-elles ? Aussi loin que nous regardions, les galaxies s'éloignent les unes des autres. Si nous fixons notre attention sur une paire de galaxies, nous voyons la distance qui les sépare s'accroître. Un trio de galaxies forme un triangle dont la surface augmente sans que ses angles changent. A partir de là, nous cherchons à nous faire une représentation mentale de la situation.
Dans le cadre de la cosmologie contemporaine, on interprète le mouvement d'éloignement des galaxies comme une expansion de l'espace géométrique lui-même. Ici, l'image du ballon peut servir. Imaginons qu'on y colle des pin's en forme de galaxies spirales. Ces pin's ne "bougent" pas par rapport à la membrane élastique où ils sont fixés. Pourtant, en s'étirant, cette membrane donne l'impression d'un mouvement d'éloignement des pin's. De même, la relativité d'Einstein nous invite à considérer les galaxies comme fixées dans un tissu spatial en expansion.

A quoi peut servir une telle interprétation ? Pourquoi introduire des notions aussi compliquées autour d'une observation apparemment simple ? Pourquoi ne pas dire que les galaxies s'éloignent, dans le sens le plus ordinaire, le plus banal du terme ?
Reposons la question autrement. Les galaxies ont-elles un mouvement "réel" ou bien sont-elles entraînées par l'étirement de l'espace ?
A priori, les deux interprétations sont possibles. Mais la seconde est infiniment plus féconde. Elle permettra, par la suite, de comprendre et d'expliquer une brochette d'observations devant lesquelles la première resterait muette. Pour le physicien, ce gain de clarté est inestimable. Ajoutons que cette interprétation ne limite plus la vitesse des galaxies. Elles peuvent aller plus vite que la vitesse de la lumière...
On touche là un aspect fondamental des théories de la physique moderne. Il est quelquefois avantageux d'adopter un point de vue en apparence inutilement compliqué. Les retombées simplificatrices de ce choix ne se manifestent qu'à un stade ultérieur de l'étude. Elles sont considérables et justifient simplement la démarche.

La théorie du Big Bang
Les observations de Hubble, interprétées dans le cadre de la Relativité d'Einstein, ont donné naissance à la théorie du Big Bang. Les pères fondateurs sont Alexander Friedmann, Georges Lemaître et George Gamow.
En 1922, Friedmann montre que les équations d'Einstein permettent la description d'un Univers en évolution. En 1927, l'abbé Georges Lemaître voit dans les observations de Hubble la preuve du comportement dynamique de l'Univers. Associant le formalisme mathématique de la relativité générale aux mesures des galaxies, il formule la théorie dite de "l'atome primitif", qui deviendra plus tard le Big Bang.
Einstein est loin d'être convaincu. Il persiste à refuser l'idée d'un Univers changeant. Il qualifie le travail de Lemaître d'"abominable". Mais il reviendra sur cette opinion en 1932.
Le grand mérite de George Gamow a été d'intégrer la physique nucléaire à la cosmologie évolutive. De là est née sa prédiction de l'existence du "rayonnement fossile". La découverte de ce rayonnement en 1965 constitue aujourd'hui un des meilleurs arguments en faveur de la théorie du Big Bang.
C'est l'astrophysicien Fred Hoyle qui a inventé, à titre de sarcasme, le terme "Big Bang". Vers les années 1950, avec deux autres astrophysiciens anglais, Hermann Bondi et John Lyttleton, ce chercheur formule une cosmologie nouvelle. Sa motivation : rétablir la stabilité de l'Univers. Dans cette théorie, on admet le mouvement de récession des galaxies. Mais on compense la raréfaction de l'Univers par l'hypothèse d'une création de matière. Ainsi, malgré l'expansion, la densité du cosmos (galaxies et atomes) reste inchangée. Résultat net : en dépit des apparences, l'Univers est statique et éternel.
Ce modèle dit de "l'état stationnaire" (steady state) eut vite un énorme succès. Plus tard, des observations le mirent en difficulté. Les résultats astronomiques étaient en contradiction avec ses prédictions. Pourtant, Fred Hoyle a continué à y adhérer jusqu'à sa mort. Cette obstination, de la part d'un des chercheurs les plus originaux de notre époque, illustre une fois de plus, je pense, la force du paradigme de l'Univers statique.
Au XVIème siècle, Copernic décrit d'une façon convaincante le mouvement de notre planète autour du Soleil. La Terre n'est pas le centre du monde. L'exploration des étoiles et des galaxies nous présente l'image d'un cosmos dépourvu de centre, homogène et dont tous les points sont équivalents.
Le monde accessible à nos télescopes n'est peut-être qu'une fraction infime de l'Univers entier. Le modèle du Big Bang extrapole la propriété d'homogénéité à l'ensemble de l'Univers. Les astronomes, délogés de leur position centrale par Copernic, adoptent une attitude diamétralement opposée : c'est partout pareil.

Regarder loin, c'est voir un monde différent
Selon la théorie du Big Bang, l'Univers est partout le même, à un moment donné du temps. Mais il change au cours des ères. Peut-on vérifier cette hypothèse ? La vitesse de la lumière nous vient ici en aide. En regardant au loin, on observe l'état passé de l'Univers. On peut le comparer à son état actuel.
Sur ce sujet, le télescope spatial Hubble nous apporte de nombreux renseignements. L'observation montre que la densité (correctement normalisée) de galaxies situées à huit ou dix milliards d'années-lumière est, à l'époque correspondante, beaucoup plus élevée qu'aujourd'hui. Nombreuses sont celles qui, à la suite de collisions, ont fusionné. Le message est clair : l'état du cosmos change avec le temps. Notre Univers n'est pas statique...

Les quasars apportent leur témoignage
Les quasars (quasi-stellar radiosources) forment une population de galaxies remarquables par l'éclat extraordinaire de leur noyau central. Une source située dans un volume minuscule (comparable à celui du système solaire) émet mille fois plus d'énergie que notre Voie Lactée tout entière. Il semble que chacune de ces galaxies héberge un trou noir géant au coeur de cet espace éblouissant.
Nous nous intéressons ici à la répartition des quasars dans l'Univers. Il n'en existe pas dans le voisinage de notre Galaxie.
Tous sont loin de nous, à des centaines de millions, voire des milliards d'années-lumière. Plus on s'éloigne, plus on en rencontre. Le maximum de leur population se situe entre huit et douze milliards d'années-lumière. Nous voyons ces quasars tels qu'ils se présentaient à une période où l'Univers n'avait que 10 à 20% de son âge présent.



Plus loin encore, leur population décroît rapidement. Il semble que le phénomène "quasar" corresponde à une phase juvénile dans l'évolution de certaines galaxies. Le noyau s'allume et brille de tous ses feux. Il s'éteint quand la galaxie prend de l'âge (et recommencerait quand deux galaxies entrent en collision).
Ce scénario plausible a des conséquences cosmologiques importantes. Il implique que toutes ces galaxies-quasars soient nées en même temps, peu après le Big Bang. Comment expliquer autrement la concentration des quasars dans une tranche bien délimitée de distances cosmiques ? Il implique aussi que l'état dans lequel ces galaxies se présentent à nous aujourd'hui dépende de leur distance. Ces conclusions, en parfait accord avec la théorie du Big Bang, en constituent des preuves convaincantes. Dans un Univers statique, tout serait pareil - partout et toujours - et les quasars seraient uniformément répartis dans l'espace.

Regarder loin, c'est voir chaud
Un gaz est constitué de myriades de molécules. Soumis à une compression, il se réchauffe ; sous la détente, il se refroidit. Tel est le principe des réfrigérateurs. De même, on peut considérer l'ensemble des galaxies du ciel comme un "gaz de galaxies". La théorie de la relativité d'Einstein nous permet d'en comprendre le comportement. Le mouvement de fuite mutuelle des galaxies entraîne un refroidissement du cosmos dans son ensemble. Notre Univers se raréfie et devient de plus en plus froid... D'où la conclusion incontournable : dans le passé, le cosmos était plus dense et plus chaud...
Les explorateurs, abordant les rivages inconnus, s'aventuraient à l'intérieur des terres en remontant les cours d'eau Le sens du courant leur donnait la direction. Les observations de Hubble nous indiquent la voie du passé : il faut aller vers le plus dense et le plus chaud.
Une règle simple, issue du scénario cosmologique de Friedmann-Lemaître, va nous servir de mesure. La chute de la température cosmique est proportionnelle à l'allongement des distances. En d'autres termes, la température tombe de moitié pendant que les galaxies doublent leurs distances.
Aujourd'hui, ces temps de doublement s'étendent sur des milliards d'années. Tel n'était pas le cas aux premiers instants : tout se jouait en d'infimes fractions de seconde !
De là est née l'image d'une explosion cosmique. Cette notion, très populaire chez les vulgarisateurs et leurs cinéastes, n'est pas  sans risques de confusions. Elle fait intervenir certains éléments qui sont applicables à la cosmologie et d'autres qui ne le sont pas. On peut retenir lidée d'une matière initialement chaude (l'explosif) qui se refroidit par sa violente expansion. Mais, redisons-le encore, l'image d'une matière initialement confinée en un volume minuscule, et se propageant dans un espace vide environnant, est à rejeter. Si on veut garder l'image de l'explosion, il faut la modifier. Imaginons plutôt un espace continu dont chaque point est en explosion. L'Univers est homogène et n'a pas de centre.

Arrêtons un instant pour percevoir sur la figure suivante le chamin parcouru jusqu'ici.



Panorama des composantes de la matière cosmique
Le ciel fourmille de galaxies, d'étoiles et de nébuleuses. Ces corps sont formés d'atomes émetteurs de lumière, grâce à laquelle ils nous sont visibles.
Les observations astronomiques montrent que la quantité moyenne de matière lumineuse (ou densité lumineuse) est très faible. Elle correspond environ à la masse d'un proton dans un volume de trente mètres cubes. Par comparaison, dans le même volume d'air atmosphérique, le nombre de protons est de plus d'un million de milliards de milliards ! Le ciel est vraiment pauvre en matière !
Mais cette estimation est-elle complète ? D'immenses populations d'astres sombres, invisibles à nos télescopes, hantent peut-être les espaces cosmiques. Comment savoir ?
La force de gravité nous vient en aide. Son influence est universelle : tous les corps y sont soumis, et ses effets se manifestent sur la matière environnante. Par exemple, un trou noir n'émet par définition pas de lumière ; pourtant, il se laisse débusquer par les perturbations orbitales que son champ de gravité provoque sur les astres de son voisinage.

Les étoiles tournent trop vite
Les manifestations de la gravité nous apprennent que l'ensemble de tous les atomes qui nous sont visibles (étoiles, etc.) ne constitue qu'un demi de 1% de la densité totale de l'Univers... mais comment le sait-on ?
Les mesures du mouvement des étoiles autour de la Galaxie sont notre première source de renseignements. Par rapport à la masse galactique visible, elles tournent beaucoup trop vite.
Pour bien saisir la nature du problème, considérons d'abord le mouvement des corps dans notre cortège planétaire. Sur la figure suivante, on a indiqué les vitesses de rotation des planètes en fonction de leur distance au Soleil.


Ces vitesses d'échelonnent entre 40 km/s pour Mercure, la plus rapprochée de l'astre central, jusqu'à 4 km/s pour la lointaine Pluton.
Ces vitesses s'accompagnent d'une force centrifuge qui compense l'attraction solaire et permet à la planète de se stabiliser sur son orbite. Plus on s'éloigne, plus l'attraction solaire est faible et plus la vitesse orbitale diminue. Pluton, cent fois plus éloignée que Mercure, se déplace dix fois plus lentement.

Notre Galaxie présente une situation analogue. Les étoiles tournent autour du centre galactique. Ce mouvement de rotation leur permet de résister à l'attraction qui, autrement, les projetterait contre le noyau central. Ainsi notre Soleil se tient à environ 25 000 années-lumière du centre, dont il fait le tour en 200 millions d'années.
A partir de la masse galactique visible, on calcule la vitesse requise pour qu'une étoile se maintienne sur son orbite stable. Puis on compare avec les données astronomiques. Surprise : comme le montre la figure suivante, les plus lointaines ont des vitesses observées bien supérieures aux valeurs calculées...



Ces observations inattendues suggèrent l'existence d'une composante de matière sombre, dispersée dans le volume de la Galaxie, surtout vers sa périphérie. Une sorte de "halo" galactique. Son champ d'attraction expliquerait pourquoi les étoiles lointaines se déplacent si vite. On estime sa masse à environ dix fois celle de toutes les étoiles visibles. D'où l'idée que 90% de la masse galactique "gravite" - les étoiles en sentent la présence - mais ne "brille" pas.
De quoi ce halo est-il constitué ? Il pourrait s'agir d'une population importante d'astres si faibles qu'ils échappent à nos instruments. Certaines observations récentes montrent que les astres faibles (naines brunes, par exemple) sont trop rares pour constituer la matière sombre.
Il pourrait aussi s'agir de nouvelles particules élémentaires, encore inconnues, et dénommées particules exotiques. Depuis quelques années, plusieurs expériences de laboratoire tentent de détecter et d'identifier ces particules. Les théoriciens, de leur côté, suggèrent l'existence de particules hypothétiques qui pourraient bien jouer le rôle de matière exotique. Aujourd'hui, à part quelques résultats encore contestés, rien ne se profile à l'horizon des laboratoires, mais les explorations se poursuivent et le moral est bon.

Les amas de galaxies semblent trop légers
La matière sombre se manifeste encore sur une plus grande échelle. Le problème des amas de galaxies nous en offre un exemple.
Une image préliminaire va nous éclairer : un caillou, lancé par un enfant, s'élève dans le ciel bleu. Comme il est attiré par la Terre, sa vitesse diminue progressivement ; il finit par s'arrêter et revient vers le sol. On pourrait calculer la masse de la Terre en mesurant la décélération du caillou.
Sur un astre moins massif, le caillou lancé avec la même force  pourrait ne pas retomber au sol : il s'échapperait dans le système solaire. Par exemple, sur Phobos, un satellite de Mars dont le rayon ne dépasse pas trente kilomètres.
Une notion utile ici : la vitesse d'échappement. C'est une vitesse minimale qu'il faut donner à un projectile pour l'extraire du champ d'attraction dans lequel il se trouve plongé. A la surface de la Terre, la vitesse d'échappement (on dit aussi vitesse de libération) est de 11 km/s ; sur la Lune, 80 fois moins massive que la Terre, cette vitesse n'est plus que de 2 km/s. A la surface de Phobos, elle ne dépasse pas 10 m/s (soit 3,6 km/h) : un enfant pourrait en éjecter un caillou.
Dans un amas, un nombre considérable (plusieurs milliers) de galaxies coexistent en un volume relativement restreint. On évalue la masse de l'amas en faisant la somme des masses des galaxies individuelles. Puis on calcule la vitesse d'échappement qui permettrait à une galaxie de s'extraire du champ de gravité de l'amas et de s'enfuir dans l'espace intergalactique.
En parallèle, on mesure la vitesse des galaxies dans cet amas. Nouvelle surprise : ces vitesses observées sont largement supérieures aux vitesses d'échappement calculées : l'amas devrait "s'évaporer" en peu de temps !
Une solution s'impose : les amas sont plus massifs que nous le pensons ou, plus précisément, que nous sommes en mesure de l'évaluer à partir de ces qui brille. Ils contiennent une composante sombre et attractive environ cinquante fois plus massive que leur composante lumineuse (étoiles). Les nouvelles vitesses d'échappement, calculées en tenant compte de cette composante, sont maintenant supérieures aux vitesses mesurées. Les amas ne risquent plus de s'évaporer.

Mirages gravitationnels
Une découverte récente, basée sur la théorie de la relativité d'Einstein, confirme la présence de matière sombre : les mirages gravitationnels.
Quand la lumière passe près d'un astre, sa trajectoire en est déviée. Prenons l'exemple d'un quasar qui, dans notre ciel, serait situé tout juste derrière une galaxie. Son image, déformée par la galaxie intermédiaire, nous arrive sous la forme d'un "anneau d'Einstein". On en connaît de nombreux exemples. Ces observations, répétées sur plusieurs quasars différents, montrent que les masses réelles des galaxies intermédiaires sont environ plusieurs dizaines de fois plus élevées que leurs masses visibles.
Des études récentes à l'aide des déformations lumineuses des images des galaxies lointaines nous permettent de reconnaître les contours des masses de matière sombre. Si nous ne savons pas encore ce qu'elle est, nous commençons à savoir où elle se trouve.
Les meilleurs estimations à l'échelle des amas et des superamas indiquent que la densité de cette matière sombre est environ soixante fois plus grande que celle de la matière lumineuse. Elle équivaudrait à la masse d'une population d'environ deux protons par mètre-cube.

La découverte de l'énergie sombre
Non seulement les galaxies s'éloignent les unes des autres - cela, on le savait grâce à Hubble depuis 1928 -, mais elles vont de plus en plus vite ! Il s'agit là d'une des plus grandes découvertes cosmologiques de ces dernières années.
Cette information étonnante nous a été fournie par l'observation d'étoiles éclatées en supernovae alors que l'Univers n'avait que la moitié de son âge présent. Pour rendre compte de leurs distances, il faut supposer l'existence d'une force de répulsion qui éloigne les galaxies les unes des autres.
Pour expliquer cette force répulsive, on est amené à invoquer la présence d'une nouvelle composante du cosmos, distribuée de façon homogène dans l'espace, appelée "énergie sombre" (ou "quintessence" pour certains). Plus étonnant encore, cette composante sombre domine la densité de l'Univers ; elle est deux fois plus importante que la matière sombre (attirante). Nous verrons plus tard comment les études récentes des fluctuations du rayonnement fossile confirment magnifiquement l'existence de cette composante.
Si cette composante répulsive est si puissante, il serait légitime de se demander pourquoi les corps continuent à s'attirer : la Lune et la Terre ; le Soleil et les planètes. La réponse est simple : c'est que, contrairement à la force d'attraction liée à la matière, qui diminue rapidement avec la distance entre les objets (loi de Newton), les effets de cette force de répulsion augmentent avec la distance et ne deviennent importants qu'à des centaines de millions d'années-lumière. Aux éloignements typiques des planètes et des étoiles, la composante matérielle attractive domine entièrement le comportement des astres. Entre la Lune et la Terre, entre la Terre et le Soleil, la répulsion est parfaitement négligeable.
Jusqu'à ce jour, la nature de cette composante cosmique nous est encore largement inconnue. Il y a quelques hypothèses, que l'on développera ultérieurement...

Sur la courbure de l'espace : la densité critique
La surface de la Terre a longtemps paru plane aux êtres humaines. L'astronome Aristarque de Samos en a mesuré la courbure quelques siècles avant J.-C. L'histoire vaut la peine d'être racontée.
Une rumeur, provenant de Thèbes (maintenant Assouan), en Egypte, voulait que la lumière du Soleil y pénètre jusqu'au fond des puits le 21 juin à midi. Tel n'était pas le cas à Alexandrie, où vivait Aristarque. Il en conclut que la Terre était ronde. Un voyage à Thèbes lui permit de vérifier le bien fondé de cette rumeur : mesurant l'angle du Soleil le 21 juin à Alexandrie, ainsi que la distance Alexandrie-Thèbes, Aristarque calcula, le premier, le rayon de la Terre. Son estimation est alors correcte à 10%, un résultat tout à fait remarquable pour l'époque. Les observations satellites, en photographiant la Terre depuis l'espace; se sont chargées de dissiper les derniers doutes quant au caractère sphérique de notre planète.
Il faut maintenant mentionner une conséquence étonnante de la théorie de la relativité générale d'Einstein : l'espace dans lequel nous vivons n'est pas nécessairement un espace plat ! Il peut avoir une courbure. La théorie admet tous les cas de figure. Cette courbure, bien spur, échappe à notre imagination : nous n'avons aucun moyen de nous la représenter.
Pourtant, la théorie d'Einstein en admet la possibilité, laissant aux scientifiques la tâche de déterminer la valeur numérique de cette courbure (comme on mesure le rayon d'une sphère).
L'espace peut-être courbe de deux façons différentes. Il peut être soit fermé comme une sphère, soit ouvert comme un tajine marocain.



Quel est la courbure de l'Univers dans lequel nous vivons ? Selon la théorie du Big Bang, elle est déterminée par la densité de matière et d'énergie qu'il contient. Si cette densité est faible, l'espace sera dit "ouvert" ; si elle est élevée, il sera dit "fermé". A la frontière entre ces deux familles de courbures se situe un espace de courbure nulle, dit "plat" ou encore "euclidien" : on dira qu'il a la "densité critique". Dans notre Univers, cette densité critique correspond à l'équivalent de six protons par mètre-cube.
Or la somme des densités de la matière sombre et de l'énergie sombre évaluée par les observations décrites précédemment donne une valeur très voisine de la densité critique. D'où la conclusion largement répétée dans les médias : nous vivons, semble-t-il, dans un Univers plat.
En peu de mots, les mesures de ces toutes dernières années - aussi bien la mesure de la distance des supernovae lointaines par lesquelles nous avons découvert l'existence de l'énergie sombre que des observations du rayonnement fossile - nous montrent que la courbure de notre Univers est très faible, sinon nulle. Nous vivons dans un espace plat, où les parallèles ne se rencontrent jamais.

Retour à la constante cosmologique
Notons que l'existence d'une énergie sombre dans le cosmos n'est en conflit avec aucune des lois de la physique connues aujourd'hui. En fait, elle était même prévisible dans le cadre de la théorie de la relativité d'Einstein, où elle est représentée sous la forme d'une "constante cosmologique". Telle est la puissance des modèles mathématiques. Ils peuvent incorporer l'existence de phénomènes inconnus et qui ne seront modifiés que beaucoup plus tard. L'existence de l'antimatière en est un exemple célèbre. Elle était déjà inscrite dans l'équation par laquelle le physicien Paul Dirac présentait en 1932 la physique quantique.
La constante cosmologique est née, rappelons-le, des efforts d'Einstein pour stabiliser l'Univers. Il s'agit, au départ, d'un terme mathématique légitime dans le cadre des équations du Big Bang. Mais à quoi correspondrait-elle dans la réalité ? Quel serait son effet sur le cosmos ?
Elle se comporterait comme une composante de matière d'un type tout à fait particulier. Sa présence se manifesterait par une force qui influencerait l'expansion du cosmos. Selon sa valeur numérique, elle pourrait être négative (correspondant à une influence attractive) ou positive (correspondant à une influence répulsive). Les nouvelles mesures de la distance des supernovae lointaines nous donnent son signe (positif, elle serait donc répulsive) ainsi que son intensité : les deux tiers de la densité totale.
Pourtant, une question reste en suspens : l'accélération observée est-elle vraiment due à l'effet de la constante cosmologique telle que prévue par la théorie de la Relativité ? Ou bien s'agit-il d'un tout autre phénomène, analogue dans ses effets mais de nature différente ? Cette question prendra toute son ampleur quand nous essaierons de voir l'avenir de l'Univers. La réponse est liée à l'observation de nombreuses supernovae situées à des distances différentes. De telles mesures sont en cours.

Sur l'âge de l'Univers
Les observations du mouvement des galaxies nous suggèrent un calcul simple : mesurons la vitesse et la distance des galaxies. Combien de temps ont-elles mis pour atteindre cette distance en s'éloignant à cette vitesse ? La réponse nous permet une évaluation approximative de l'âge de l'Univers.
Historiquement, la question a subi plusieurs rebondissements. Les premières mesures de Hubble, vers 1930, faisaient apparaître une contradiction entre la géologie et la théorie du Big Bang. L'âge du cosmos estimé au moyen de ces esures (environ deux milliards d'années) était nettement inférieur à celui du système solaire (quatre milliards et demi d'années). Par la suite, grâce à une réévaluation de l'échelle des distances, cette contradiction a disparu.
Certaines étoiles de notre Galaxie brillent depuis treize à quatorze milliards d'années. Ces estimations nous viennent de l'étude des amas dits "globulaires" dont les étoiles sont nées en même temps, peu après la formation de notre Voie Lactée; Il a été confirmé récemment par la détection de l'uranium et du thorium dans une étoile de toute première génération. Ces éléments radioactifs à longue durée de vie sont des indicateurs idéaux de l'âge des objets dans lesquels leurs abondances sont mesurées.
La théorie du Big Bang est-elle compatible avec un âge aussi grand ? L'idée sous-jacente est bien sûr qu'aucune étoile ne peut être plus vieille que l'Univers ! Les modèles détaillés incorporant les effets de l'énergie sombre, aujourd'hui, sont parfaitement compatibles (treize à quinze milliards d'années) avec l'âge des plus vieilles étoiles.
En fait, cette compatibilité entre la fourchette des âges délimitée par l'étude des étoiles et l'observation du mouvement des galaxies peut être considérée comme un argument de plus en faveur du Big Bang. Or, rin ne la garantissait a priori. Il suffit de détecter une étoile dont l'âge serait, disons de cinquante milliards d'années pour remettre en cuase la théorie du Big Bang. Jusqu'ici, on n'en a jamais observé.

Glaner
Avant de poursuivre le voyage, glanons quelques résultats numériques qui vont nous familiariser avec le scénario du Big Bang.
Le rayonnement fossile nous apprend que la température actuelle du cosmos est de 2,7 K (soit environ -270°C). Supposons une galaxie bleue avec une longueur d'onde d'environ trois dixièmes de micron (300 nm). Si ce rayonnement nous arrive avec une longueur d'onde deux fois plus grande (600 nm, elle serait rouge), c'est que nous la voyons telle qu'elle était à une époque où la température du cosmos était plus élevée qu'aujourd'hui (5,5 K), et la densité moyenne huit fois plus élevée qu'aujourd'hui. Elle était alors deux fois plus proche de nous ; elle est maintenant à une dizaine de milliards d'années-lumière, elle était à 5 milliards d'années-lumière quand elle a émis sa lumière bleue. L'Univers avait alors un peu plus de 5 milliards d'années. Elle s'éloigne de nous à 60% de la vitesse de la lumière.
La figure qui suit montre d'autres exemples numériques. Elle illustre un fait important : les galaxies lointaines baignaient dans un rayonnement plus chaud quand elles ont émis les photons que nous recevons maintenant. On a pu récemment mesurer la température de ce rayonnement pour une galaxie située à huit milliards d'années-lumière : la température mesurée (8,8 K) est telle que prévue par la théorie et confirme une fois de plus le scénario du Big Bang.



Quel est l'avenir du monde ?
Le cosmos va-t-il continuer à se refroidir indéfiniment, approchant indéfiniment du zéro absolu  ? Ou bien, à l'instar du caillou lancé par l'enfant et qui revient vers le sol, va-t-il inverser son mouvement ? L'expansion se transformera-t-elle en une contraction générale ramenant les galaxies les unes vers les autres, entraînement un réchauffement futur du cosmos ? La théorie du Big Bang admet les deux scénarios. Mais dans lequel notre Univers est-il inscrit ?
La question de l'avenir de l'Univers est intimement liée à la fois à la densité de matière gravitante et à la densité d'énergie sombre. Les deux interviennent, mais d'une façon très différente.
La matière gravitante (sombre et lumineuse) ralentit le mouvement d'expansion de l'Univers. Dans un monde à faible densité, les galaxies s'éloigneraient sans arrêt, et l'Univers se raréfierait indéfiniment. A l'inverse, dans un Univers très dense, le mouvement des galaxies en viendrait à s'inverser et l'espace à se recontracter. Si la matière gravitante avait la densité critique, l'Univers s'étalerait, mais en ralentissant progressivement, sans pour autant jamais se recontracter. La température tendrait vers le zéro absolu, mais de plus en plus lentement, ne l'atteignant qu'après une période infinie.
La figure suivante montre les trajectoires suivie par des univers hypothétiques de densité gravitante différente, en l'absence d'une composante d'énergie sombre répulsive. L'axe vertical décrit l'étalement de l'espace (par exemple la distance entre deux particules) en fonction du temps.


Un Univers de faible densité (la courbe la plus à gauche) s'étale très rapidement et ne revient jamais sur lui-même. Les courbes successives, de gauche à droite, montrent l'effet du ralentissement - dû à la gravité - dans des univers de plus en plus denses. L'espace s'étale de plus en plus lentement. Au-delà de la densité critique, l'étalement finit par s'arrêter et se transforme en une contraction. Cette contraction s'accompagne d'un réchauffement, jusqu'à un état final appelé Big Crunch. Ces derniers univers ont une durée de vie finie, comprise entre le Big Bang et le Big Crunch. Plus l'Univers est dense, plus courte est cette durée.

Telle était la situation au milieu des années 1990. A cette époque, on avait déjà une bonne estimation de la densité de matière sombre (30% de la densité critique). Le futur (expansion infinie, pas de réchauffement) était inscrit dans la courbe indexée "un tiers de la densité critique" de la figure précédente.
C'est là que la découverte de l'énergie sombre modifie nos prévisions sur l'avenir de l'Univers. Son effet sur l'expansion est portée sur la figure suivante.



On constate que la courbe d'expansion s'inverse vers le haut. Les galaxies, au lieu de s'éloigner de plus en plus lentement (décélération due à la seule gravité), gagnent maintenant de la vitesse. De toute évidence, on est de plus en plus loin du Big Crunch. Mais se pose une question fondamentale quant à la nature et surtout à l'histoire de cette énergie sombre : change-t-elle de valeur au cours du temps ?
Suppososns d'abord qu'elle ne change pas. Alors, l'accélération va se poursuivre indéfiniment. Les galaxies vont s'éloigner de plus en plus vite, et évidemment... pas de Big Crunch. Pour les observateurs terrestres, les galaxies lointaines vont progressivement atteindre des vitesses telles que leur lumière ne pourra plus nous parvenir. Notre ciel se videra de galaxies et nous ne verrons plus que les membres de notre groupe local, les nuages de Magellan, la galaxie d'Andromède.... Finie, l'astronomie extragalactique ! Les télescopes ne sont enverront plus les belles images que nous procure aujourd'hui le télescope spatial Hubble. Dans l'Univers, nous serons plus seuls que jamais.
Mais l'énergie sombre a-t-elle toujours eu son intensité présente ? Et quel est son avenir ? Changera-t-elle de valeur, et en quel sens ? Notre ignorance brouille toutes les cartes quand nous nous interrogeons sur l'avenir de l'Univers.


Questions variées
L'Univers naissant avait-il la dimension d'un point ?
Il importe ici de distinguer l'Univers "observable" et l'Univers entier. L'Univers observable est celui que nos télescopes peuvent atteindre aujourd'hui. Son rayon est d'environ quinze milliards d'années-lumière. Il contient plus de cent millions de galaxies comme la nôtre, soit environ 1080 nucléons.
Plus on recule vers le passé, plus cette masse de matière se trouve confinée dans un espace restreint. Selon la théorie, elle était au départ contenue dans un volume minuscule.
Notons que cet Univers observable n'est vraisemblablement qu'une partie infime de l'Univers entier. Aussi convient-il, avant de poursuivre la discussion, d'aborder un autre problème : celui de la dimension de l'Univers tout entier.

L'Univers est-il infini ?
Cet question hante l'esprit humain depuis des millénaires. Giordano Bruno affirmait l'infinitude du cosmos. Selon le philosophe Emmanuel Kant, il est impossible de répondre par oui ou par non. Pour beaucoup d'auteurs, cette question est inconvenante. Elle ne devrait même pas être posée...
Reconnaissons d'abord un fait évident : ici, l'observation directe n'est d'aucun secours. Le nombre d'étoiles, de galaxies détectées par nos télescopes, pour grand qu'il soit, ne sera jamais infini. On ne peut observer que du "fini". Aussi faut-il faire appel à d'autres méthodes d'enquête.
Une théorie à succès est une mine de renseignements pour le physicien. Il peut lui poser des questions qui échappent à l'observation directe. La théorie du Big Bang se prête à cette démarche. Le structure mathématique de cette théorie s'étend au-delà des données d'observation sur lesquelles elle a été établie. On pourrait parler d'observation indirecte ; ce mode de connaissance ne vaut pas plus, bien sûr, que la théorie sur laquelle il s'appuie. Prudence, donc...
Disons d'abord que la question de la dimension primordiale de l'Univers entier dépend de nombreux acteurs mal connus.
Le plus important sur ce plan est de nature topologique : il concerne sa géométrie globale. Vue au ras du sol, le Terre est plate. Mais vue d'un satellite, elle est sphérique. De même, notre Univers pourrait être chiffonné (cf. Jean-Pierre Luminet, L'Univers chiffonné, Paris, Odile Jacob 2001). Notre ignorance à ce sujet nous empêche, aujourd'hui, de répondre à la question de l'infinitude possible de l'Univers, mais peut-être y arriverons-nous plus tard.
Un Univers de densité inférieure ou égale à la densité critique peut être de dimension infinie. Dans ce cas, il a toujours été infini. Il n'a jamais été concentré dans un minuscule volume. Chaque point de son volume infini a été autrefois extrêmement chaud et dense.
De même, un Univers de densité supérieure à la densité critique peut être de dimension finie. Dans ce cas, son volume entier aurait été concentré en un volume infime;, renfermé sur lui-même, sans bords. Mais, répétons-le une fois de plus, ce petit volume n'était pas englobé dans un espace vide de plus grande dimension. Il n'y avait pas d'autre espace que celui de l'Univers.
L'espace (s'il est fini) s'accroît tout au long de l'expansion. Il pourrait passer par un maximum pour se recontracter ensuite. la température grimperait à nouveau.
Et après ? Aurions-nous une séquence de cycles comme dans la mythologie hindouiste ? Pouvons-nous imaginer une série infinie d'expansions et de contractions, dans le passé comme dans l'avenir ? Certains auteurs le prétendent.

Si l'Univers devient de moins en moins dense, où va la matière ?
Si l'Univers est fini, son volume s'accroît, et la matière se dilue en conséquence. S'il est infini, la quantité de matière est infinie tout comme l'énergie. Dans l'infini, il y a toujours de la place.

Les galaxies elles-mêmes sont-elles en expansion ? Les étoiles ? Les planètes ?
Après une période d'expansion initiale, les volumes contenant la matière des futures galaxies (ou, plus exactement, des futurs amas de galaxies) finissent par se stabiliser. Les astres qui s'y forment, étoiles et planètes, ne participent plus au mouvement d'expansion. Les forces internes qui assurent la stabilité de ces astres neutralisent le mouvement d'expansion en leur sein. Depuis cette époque, seules les distances entre les amas de galaxies augmentent avec le temps.


Univers stériles et fertiles
Comment le cosmos aurait-il évolué si les densités de la matière gravitante et de l'énergie sombre avaient été différentes ?
Rappelons que la formation des galaxies est provoquée par l'attraction de la matière sur elle-même. Elle implique un mouvement de condensation locale, à contre-courant de l'expansion. Des univers de faible densité de matière gravitante s'étaleraient trop rapidement pour donner naissance à des galaxies. Leurs substances homogènes se dilueraient sans que des agrégats de matière aient le temps de s'y établir et de croître. Aucune étoile ne s'y condenserait ; aucun atome ne s'y produirait. Seuls subsisteraient l'hydrogène et l'hélium primordiaux. La vie, du moins sous la forme que nous connaissons, ne pourrait s'y développer. Cet univers serait stérile.
A l'inverse, des univers très denses (et sans énergie sombre) s'ouvriraient et se refermeraient après une durée limitée. Cette durée pose problème. L'élaboration de la vie demande beaucoup de temps. Il faut de nombreuses générations d'étoiles pour engendrer les éléments chimiques. Ensuite, une longue période de gestation de la vie dans une nappe aquatique. Un univers dont la durée de vie ne dépasserait pas un milliard d'années se recontracterait vraisemblablement bien avant la naissance des premières fleurs des champs. Notre Univers se situe bien entre ces deux extrêmes.
De même, si l'énergie sombre avait été beaucoup plus dense, l'accélération de l'expansion se serait produite bien avant que les galaxies ne puissent se former. Résultat : à nouveau un univers stérile.
Faut-il s'en étonner ? Au sens propre du terme, certainement pas. Si tel n'était pas le cas, nous n'existerions pas. Pourtant, ces faits sont importants. Ce sont autant de "coïncidences heureuses" qui nous relient au cosmos et à son évolution.