Par une belle nuit d'été... que voyez-vous dans les étoiles ?


Forces et particules dans l'Univers

Le rayonnement fossile nous a permis d'explorer le passé du cosmos jusqu'à des températures de plusieurs dizaines de milliers de degrés. Nous avons étudié le comportement des photons, des électrons et des protons au moment de la formation des premiers atomes d'hydrogène.
Quand, en 1915, Einstein formule la théorie de la Relativité générale, une partie majeure de la Physique d'aujourd'hui est encore inconnue. On ne connaît alors que deux forces, la gravité (relative à la masse des corps) et la force électromagnétique (relative à la charge électrique des corps) ; la physique quantique n'a pas encore été formulée, et on ignore l'existence d'un grand nombre de particules élémentaires. Les progrès de la Physique, tout au long du XXème siècle, vont avoir un impact majeur sur la cosmologie.
Poursuivant notre voyage dans le passé à la recherche des fossiles cosmologiques, nous allons maintenant recontrer un ensemble d'éléments dont il faudra impérativement tenir compte. Dans le territoire où nous nous engageons règne une faune de particules plus ou moins étranges. Il convient de faire connaissance ; nous apprendrons leur rôle dans l'organisation du cosmos.
La matière qui nous est familière - étoiles, nébuleuses, planètes, molécules, atomes - est constituée de protons, de neutrons et d'électrons. Protons et neutrons (globalement appelés nucléons) sont eux-mêmes composés de quarks.
Les quarks existent en six "saveurs" notées u, d, s, c, t, b. Le proton est fait de deux quarks de saveur u et d'un quark de saveur d ; le neutron est constitué de deux quarks d et d'un quark u. Chaque quark possède également une autre propriété, qu'on nomme "couleur". Il y en a trois, dénotées conventionnellement "bleue", "rouge" et "verte".
Les noyaux atomiques sont des agrégats de protons et de neutrons. Les atomes sont constitués d'un noyau autour duquel orbitent des électrons. A chaque atome correspond un "élément chimique" : il y en a une centaine. Chacun porte un nuléro qui spécifie le nombre de protons dans son noyau ainsi que le nombre d'électrons de son cortège orbital. Le numéro "un" est l'hydrogène, le numéro "deux" est l'hélium, le "six" est le carbone, le "vingt-six" est le fer, le "quatre-vingt deux" est le plomb, etc...
Plusieurs de ces atomes apparaissent en différentes variétés appelées "isotopes". Les isotopes d'un élément chimique diffèrent par le nombre de neutrons du noyau. Nous parlerons beaucoup des isotopes de l'hydrogène ; l'hydrogène ordinaire (un proton), et l'hydrogène lourd ou deutérium (un proton et un neutron) avec lequel on fabrique l'eau "lourde" des réacteurs atomiques. L'hélium possède deux isotopes : l'hélium-3 est composé de deux protons et d'un neutron ; l'hélium-4 de deux protons et de deux neutrons. On dénombre au total près d'un millier d'isotopes stables dans la nature. L'uranium représente deux isotopes quasi stables : le 235 et le 238.

Les neutrinos
En 1934, la désintégration de certains isotopes radioactifs met en évidence l'existence de phénomènes pour le moins étonnants. Une partie de l'énergie semble disparaître pendant l'événement ! Pour "sauver" la sacro-sainte loi de conservation de l'énergie, Wolfgang Pauli propose alors l'existence d'une particule invisible qui emporte discrètement l'énergie manquante : le neutrino. On le détecte au laboratoire, quelque vingt ans plus tard, tel que prévu par Pauli.
Les neutrinos sont émis en abondance par les étoiles. Leur vitesse est pratiquement celle de la lumière. Ils interagissent très faiblement avec la matière : des centaines de milliards de neutrinos traversent notre corps à chaque seconde sans que nous en ressentions le moindre effet.
Electrons et neutrinos appartiennent à la famille des "leptons" (particules légères) ; les quarks et les nucléons font partie de la famille des "hadrons" (particules lourdes).
Des résultats assez récents obtenus au Japon et au Canada ont permis de progresser dans l'étude des propriétés des trois variétés de neutrinos et de la capacité de chacun à passer d'une variété à l'autre (oscillations). Leurs masses paraissent trop faibles pour que le rayonnement fossile neutrinique puisse jouer un rôle dans la densité cosmique : ils ne représentent au mieux que trois millièmes de la densité de l'Univers.

Les forces de la nature
La nature nous présente une immense variété de phénomènes différents. Pour en rendre compte, il faut faire appel à quatre types de forces : la force de gravité, la force électromagnétique, la force nucléaire et la force faible.
Y en a-t-il d'autres ? Pour l'instant, rien ne nous l'indique. Des rumeurs ont circulé au sujet d'une cinquième et même d'une sixième force : elles n'ont pas résisté à l'analyse critique.

La portée des forces
Ces forces se distinguent de plusieurs façons. D'abord, par leur portée : la force gravitationnelle et la force électromagnétique se font sentir à grande distance. La Lune sent l'attraction de la Terre (et vice versa) ; la galaxie d'Andromède est attirée par notre Voie Lactée (et vice versa). Ainsi en est-il de la répulsion électrique entre deux protons. Ce sont des forces à longue portée (leur intensité décroît avec le carré de la distance).
La force nucléaire et la force faible, à l'inverse, sont des forces de courte portée. A toutes fins pratiques, elles n'entrent en action qu'au moment où les particules se rejoignent et se touchent.

L'intensité des forces
Les forces se distinguent aussi par leur intensité. Plaçons deux protons à proximité l'un de l'autre (10-13 cm). Les quatre forces s'exercent sur eux, mais avec des intensités très différentes. On peut les spécifier par un nombre (une "constante de couplage") : pour la force nucléaire, ce nombre est voisin de l'unité. Pour la force électromagnétique, la valeur précise est de 1/137. La force faible a une intensité d'environ un 1/100 000 (d'où son nom de faible). Pour la force de gravité, le nombre est d'environ 10-40...
Les forces sont les agents de cohésion de la nature. Elles sont responsables de l'immense variété de structures qui existent dans l'Univers.
A très grande échelle, c'est la gravité qui est à l'oeuvre. Elle est le lien des galaxies et des étoiles. A plus petite échelle, la force électromagnétique soude les atomes et les molécules. A des dimensions encore plus restreintes, la force nucléaire change la couleur des quarks et, par là, colle les quarks en nucléons et les nucléons en noyaux.
La force faible n'est responsable d'aucune structure. Sa faiblesse et sa courte portée la rendent inapte à jouer un tel rôle. En fait, sa discrétion est telle qu'il a fallu attendre les années 1930 pour la découvrir. Sur la liste des physiciens, c'est la dernière à faire son apparition.
Elle s'est manifestée d'abord comme un agent de désintégration des neutrons en protons. Cette réaction joue un rôle capital dans la vie des étoiles. Elle contrôle la production des éléments lourds. Sa lenteur assure au Soleil sa longévité de dix milliards d'années. La jonction des expériences de laboratoire et des observations astronomiques donne quelquefois une portée cosmique vertigineuse à des phénomènes élémentaires.
La force faible change les électrons en neutrinos et vice versa. Elle change également la "saveur" des quarks : les quarks u en quarks d, etc... La désintégration d'un neutron (composé de deux quarks u et d'un d) en un proton (deux quarks d et un u) est le résultat de la transformation d'un quark u en quark d sous l'effet de la force faible.
Les forces de la nature ont encore une autre façon de se distinguer : chacune a sa brochette de particules sur lesquelles elle exerce son action. La gravité est la plus universelle : elle agit indistinctement sur toutes les variétés, en fait sur tout ce qui existe. La force faible touche les électrons, les neutrinos et les quarks. La force électromagnétique n'affecte que les quarks et les électrons, tandis que la force nucléaire restreint son action aux quarks.
Nous verrons plus tard comment les constantes de couplage des forces ne sont pas vraiment constantes. Elles dépendent de la température du milieu où s'exercent ces forces. Dans l'univers primordial, les forces se comportaient différemment.



Les trois familles
Les particules de la Physique moderne se regroupent en trois grandes familles. Chacune comprend quatre membres : deux quarks et deux leptons, un de ces leptons étant un neutrino.
La première s'appelle la famille électronique ; ses membres composent la matière ordinaire. Les deux premiers sont les quarks u et d,  les constituants des protons et des neutrons. Le troisième est l'électron des courants électriques. Le quatrième est le neutrino émis par les réacteurs nucléaires : on l'appelle "neutrino électroniques".
Cette liste n'épuise pas le contenu de la nature ; on a découvert beaucoup d'autres particules dites élémentaires. Ces particules peuvent également se regrouper en familles analogues à la famille électronique. La famille muonique est composée des quarks c et s, du muon (un gros frère de l'électron, à peu près deux cent fois plus massif que lui) et un neutrino dit neutrino muonique.
La troisième famille, appelée tauique, comprend les quarks b et t, le tau (un frère encore plus massif de l'électron) et le neutrino tauique.
Les membres des deux dernières familles se forment très rarement dans la nature. On les fabrique artificiellement au laboratoire ; sauf pour les neutrinos, leur existence est très brève.
Cette comptabilité soulève une question : nous connaissons trois familles, mais combien nous sont encore inconnues ? Jusqu'en 1980, les physiciens n'avaient pas de réponse. Dans le cadre du Big Bang, les astrophysiciens en avaient une. Si de nouvelles familles existaient, leurs particules, par leur simple présence, ajouteraient de la matière à l'Univers. Elles en augmenteraient la densité et, en conséquence, modifieraient la vitesse d'expansion du cosmos. Cette modification affecterait à son tour la quantité d'atomes engendrés dans les premiers temps. Comme nous le verrons, l'abondance de l'hélium dans le cosmos montre que la liste est complète : il n'y a pas d'autres familles. Cette prédiction de la théorie a été magnifiquement confirmée par des expériences réalisées au CERN dans les années 1980... Encore un point en faveur de la théorie du Big Bang !

Fermions et bosons
Les particules de la nature se classent encore en deux grands groupes : les fermions et les bosons.
Les membres des trois familles sont tous des fermions. Ce sont les acteurs sur lesquels les forces agissent et par lesquels le comportement de la matière se manifeste. Les bosons sont des particules qui transmettent les forces d'une particule actrice à l'autre. Ce sont les "médiateurs" des forces.
La force entre deux charges électriques (répulsion ou attraction) est transportée par un échange de photons dits "virtuels". De même, la force nucléaire entre deux quarks fait intervenir un échange de "gluons" - ces particules changeant la couleur des quarks. La force faible est véhiculée par un ensemble de particules appelées "bosons intermédiaires" ; il y en a trois, appelées W+, W- et Z. Cette fois, c'est la saveur des quarks qui est changée, tandis que les électrons sont transformés en neutrinos, ou vice versa. Selon toute vraisemblance, la force de gravité est véhiculée par un flux de "gravitons", mais ce point n'est pas encore définitivement établi.
D'apèrs la théorie, les photons, les gluons et les gravitons n'ont pas de masse. Ils voyagent à la vitesse de la lumière (300 000 kilomètres par seconde). Les bosons W et Z sont, eux, très massifs : environ cent fois la masse d'un proton ; ils se déplacent lentement et ne vivent pas longtemps. En un temps infime - environ 10-24 s -, ils se désintègrent en d'autres particules.
Alors que, dans un nucléon, la force nucléaire entre les quarks est transportée par des gluons, dans un noyau atomique la force entre nucléons est transportée par l'intermédiaire de bosons massifs, composés de deux quarks. Il y a les p (ou pions), les K, les r et les w. Nous nous intéresserons surtout aux pions, qui existent en trois variétés de charge électrique différente : p+, po et p-.

Particules et champs
Il est temps de mentionner un apport majeur de la physique quantique à la cosmologie : la découverte de l'existence de formes d'énergie tout à fait inconnues au moment où Einstein écrivait la théorie de la Relativité. On les appelle "énergies quantiques" ou encore "énergies du vide".
La matière prend quelquefois l'apparence de particules ; d'autres fois, elle semble se comporter comme une onde. Certains phénomènes - les interférences ou la diffraction - manifestent clairement le caractère ondulatoire de la lumière. Mais une ondulation... de quoi ?
Pour décrire les phénomènes électriques et magnétiques, les physiciens du XIXème siècle ont inventé la notion de "champ électromagnétique". James Clerk Maxwell montre que la lumière est une ondulation du champ électromagnétique.
Par ailleurs, le fonctionnement des cellules photoélectriques - à la porte des ascenseurs ou des magasins - implique la lumière est faite de "grains" de lumière : les photons. Comment réconcilier des points de vue si différents ?
La réponse est venue avec la physique quantique. En peu de mots, la lumière semble se comporter, selon les circonstances, soit comme une onde, soit comme un faisceau de particules. Ce sont deux aspects complémentaires d'une même réalité : la lumière.
En 1924, Louis de Broglie affirme que cette association entre champ d'ondes et particules n'est pas confinée aux seuls photons. Elle s'étend à toutes les particules de la physique. Les électrons peuvent, selon lui, induire des phénomènes d'interférences semblables à l'irisation des bulles de savon ! Les observations ont magnifiquement confirmé cette prédiction...
En analogie avec le champ de photons, il existe un champ d'électrons, un champ de neutrinos, etc... Ces champs sont associés à leurs particules respectives comme le champ électromagnétique est associé aux photons.
Du coup, toute la physique est transformée. La matière n'est pas seulement constituée, comme on le croyait auparavant, d'un ensemble de particules en mouvement. La physique quantique introduit une nouvelle facette de la réalité : les champs quantiques. Ils vont manifester leur existence de multiples façons.
Tout comme les particules, ces champs possèdent de l'énergie. Et comme toutes les formes d'énergie, et au même titre que les masses, ces champs engendrent des forces.. Mais, contrairement à la matière "ordinaire" (atomes et photons), qui exerce une influence attractive, les forces exercées par l'énergie des champs sont répulsives. Les champs influencent le mouvement des corps dans l'espace. On pense aujourd'hui qu'ils ont joué un rôle fondamental dans l'évolution du cosmos. A la lumière des observations récentes, il est tentant de penser que l'énergie sombre  qui a accéléré le mouvement des galaxies puisse être de cette nature.

Les forces et la complexité
Quel rapport y a-t-il entre les propriétés des forces et la croissance de la complexité dans l'Univers ?
L'Univers possédait, dès les premiers temps, la possibilité d'élaborer des structures complexes. Cette possibilité était "inscrite" dans les propriétés des forces qui s'exercent entre les particules. Sou cet angle, il convient de discuter de la portée des forces ainsi que de leurs constantes de couplage.
La force gravitationnelle (tout comme la force électromagnétique) diminue avec le carré de la distance. Pourquoi ? Bien que la discussion soit technique, le résultat en vaut la peine. Elle conduit à des réflexions étonnantes sur la constitution du cosmos et sur notre propre existence.
Autour d'une masse ponctuelle, on dessine par la pensée une sphère de rayon R. L'influence gravifique de cette masse centrale sur un point de la sphère est inversement proportionnelle au carré du rayon ; mais la surface de la sphère est elle-même proportionnelle au carré de son rayon : de sorte que la somme des effets de la masse sur tous les points de la sphère est la même, quel qu'en soit le rayon.
Nous touchons là un point crucial. La force de gravité diminue avec le carré de la distance simplement parce que son effet "s'étale" uniformément. C'est l'espace qui en dilue l'influence. Son affaiblissement ne manifeste pas un épuisement interne, une difficulté quelconque à se propager au loi, : c'est un pur effet de géométrie.
Comment les forces se comporteraient-elles si nous vivions dans un monde à deux dimensions ? L'effet de la force de gravitation s'étalerait d'une façon différente : non plus sur la surface d'une sphère, mais sur la circonférence d'un cercle (proportionnelle à son rayon). Elle diminuerait donc comme la puissance première de la distance. Dans un monde à quatre dimensions spatiales, elle varierait avec le cube de la distance. On peut en tirer une conclusion générale : la force diminue avec une puissance de moins que l'espace où elle agit.
D'où une première conclusion : la force de gravité décroît avec le carré de la distance parce que nous vivons dans un monde à trois dimensions spatiales NB . Rapprochons cette conclusion d'un phénomène astronomique important. Les planètes tournent autour du Soleil, à distance plus ou moins constante, depuis plus de quatre milliards d'années. Cette stabilité orbitale assure aux surfaces planétaires une température relativement uniforme. Telle ne serait pas la situation dans un monde qui n'aurait pas trois dimensions : les orbites stables n'y existeraient pas.
La questions "pourquoi l'espace a-t-il trois dimensions ?" devient ainsi cruciale. S'il en avait été autrement, la vie n'aurait jamais pu se développer sur Terre. Cette donnée est à joindre à l'ensemble des "coïncidences" sans lesquelles nous ne serions pas.

Dans les premières minutes de l'Univers, environ 25% des protons primordiaux se sont combinés en hélium.
Si la force faible avait été encore un peu plus faible, pratiquement tous les protons auraient disparu du cosmos à cet instant. L'hélium, massivement engendré, aurait profondément modifié le comportement des étoiles. Leurs durées de vie, considérablement raccourcies, n'auraient pas été suffisantes pour assurer l'élaboration des organismes vivants à la surface des planètes. Une force nucléaire un peu plus forte aurait, d'une façon analogue, entraîné un épuisement prématuré des protons, au profit de l'hélium.
Plusieurs auteurs ont répertorié et discuté les effets ravageurs de modifications - même minimes - des constantes de couplage des forces naturelles sur l'élaboration de la complexité. La liste est impressionnante. Nous retrouvons ici le thème de l'apparente connivence netre l'Univers et la vie.