La cosmologie... aujourd'hui, que nous dit l'Univers ?

 

Deux dates, deux noms marquent la naissance de la cosmologie moderne. En 1917, Albert EINSTEIN propose le premier modèle d’Univers relativiste, c’est-à-dire conforme à la toute récente théorie de la Relativité générale. Après avoir énoncé cette théorie en 1916, il avait compris rapidement qu’elle convenait idéalement pour décrire l’Univers dans son ensemble, en constituant des modèles cosmologiques relativistes d’abord statiques, c’est-à-dire sans expansion.

1925 : Einstein et Lemaître

En 1927, le physicien belge Georges LEMAÎTRE découvre une famille de modèles (solutions de la Relativité générale), et montre qu’ils décrivent tout à fait correctement l’Univers tel qu’on le connaît à l’époque, en particulier son expansion qui venait d’être découverte. Le physicien soviétique Alexandre FRIEDMANN avait indépendamment découvert cette même famille de solutions en 1922, mais d’un point de vue uniquement mathématique. Si c’est donc bien Lemaître qu’on peut considérer comme le fondateur de la cosmologie moderne, cette famille est évoquée comme celle des modèles de Friemann-Lemaître.

La communauté des cosmologistes reconnaît la validité de ces solutions dès les années 1930. Restait à déterminer, au sein de leur vaste famille, lequel convenait le mieux pour décrire notre Univers. Chacun des modèles constitue une « géométrie » particulière de l’espace-temps, caractérisée par sa forme, que les mathématiques décrivent sous forme d’une courbure et d’une topologie. En cosmologie, on s’intéresse donc à l’espace-temps dans son ensemble. Ainsi, on néglige tous les aspects locaux, accidentels, de cette géométrie : par exemple, la courbure, ici, de l’espace-temps par la masse du Soleil ; ou ailleurs, par la masse d’une galaxie ou d’un amas.

 

Une géométrie régulière

Tout comme une première approche géophysique considère globalement la Terre comme une sphère (aplatie), en négligeant les accidents que constituent ses montagnes et ses vallées, ces géométries sont particulièrement régulières. Une régularité qui autorise à scinder leur étude en deux questions principales : on se demandera, par exemple, quelle est sa courbure spatiale, quelle est sa topologie, ou encore s’il est fini ou infini ; d’autre part, la variation de ces propriétés spatiales avec le temps cosmique, et notamment l’expansion.

Précisons que, s’il n’est pas possible, la plupart du temps, en Relativité générale, de dissocier les problèmes de nature spatiale et ceux de nature temporelle, ici c’est la régularité particulière de la cosmologie qui le permet. Elle permet également de définit un « temps cosmique » qui, bien que ne présentant pas toutes les propriétés habituelles de ce que nous considérons comme un temps, permet néanmoins de repérer l’évolution cosmique. Cette évolution est totalement décrite selon ces modèles par une fonction R(t) du temps appelée facteur d’échelle : toute grandeur cosmique (en particulier la séparation entre deux galaxies) varie proportionnellement à cet étalon cosmique. Ainsi, l’expansion se traduit par la croissance de R(t) avec le temps cosmique t.

 

Tester les modèles d’Univers

Le taux de cette expansion est appelé constante de Hubble et noté Ho ; on définit aussi son taux de décélération, qo. L’âge de l’Univers est la valeur tU du temps cosmique. En théorie, il serait possible que les dimensions cosmiques – en l’occurrence la fonction R(t) – n’aient jamais pris de valeur très petite ; dans ce cas, l’âge de l’Univers est de valeur infinie. Les modèles de Big-Bang sont ceux pour lesquels tU prend une valeur finie.

Les tâches premières des cosmologistes sont ainsi consacrées à l’estimation de la courbure C de l’espace, en signe et en intensité, ainsi qu’à l’estimation des paramètres Ho, qo et tU qui caractérisent la loi d’expansion. Il convient bien entendu, en même temps, de tester la validité des modèles eux-mêmes, et la cohérence du tout. Ce travail, mené depuis les années 1930, a abouti aujourd’hui à qualifier les modèles de Big-Bang et à donner des fourchettes de valeurs pour les paramètres recherchés.

Cette tâche a été menée ­– et continue de l’être – de deux manières distinctes : la première consiste à appréhender directement la géométrie de l’espace-temps. Non pas en observant  celle-ci – par nature inobservable – mais des objets comme les galaxies, sortes d’étalons standard dont la répartition permet de reconstituer la géométrie de l’espace-temps dans lequel ils résident. C’est le principe des tests cosmologiques, qui ont récemment connu des résultats spectaculaires.

L’autre méthode, plus indirecte, invoque les équations de la Relativité générale : les équations d’Einstein qui, pour les problèmes cosmologiques, sont simplifiées et deviennent les équations de Friedmann-Lemaître. Elles permettent d’estimer les valeurs des paramètres cosmologiques mentionnés à partir du contenu de l’Univers. La question est alors de connaître le contenu – matière, rayonnement ou autre chose… - de l’Univers, ce qui n’est aujourd’hui qu’imparfaitement le cas. Cette approche est pour le moment limitée, notamment par les questions de la « masse cachée » et de la constante cosmologique. Néanmoins, les résultats partiels ainsi obtenus s’accordent avec ceux, plus directs, issus des tests cosmologiques, ce qui affermit notre confiance dans les modèles de Big Bang.

 

Le plus fondamental des paramètres

La constante de Hubble Ho est sans aucun doute le plus fondamental de ces paramètres. Après de longues controverses, les astrophysiciens estiment avoir mesuré sa valeur à mieux de 10% près. Ces mesures résultent de la loi de Hubble, après les observations très minutieuses d’un ensemble de galaxies proches choisies. Il reste cependant à vérifier si les galaxies plus lointaines vérifient également cette même loi, comme on s’y attend.

SN 1994 D dans NGC 4526

Plus récemment, les astrophysiciens ont annoncé la mesure du paramètre qo, soit une valeur d’environ -0,55. Le signe « moins » indique que l’expansion s’accélère plutôt qu’elle ne ralentit, comme on aurait pu le penser a priori. Le principe de ce teste remonte au XXème siècle ; il est fondé sur l’examen des propriétés d’un ensemble de galaxies lointaines particulières, au sein desquelles ont explosé des supernovae (étoiles très massives). Les implications cosmologiques de ce résultat (qui reste à confirmer) sont importantes. En effet, toutes les substances que nous connaissons – matière ou rayonnement – ralentissent l’expansion, à cause de l’aspect attractif de la gravitation qu’elles engendrent. L’accélération observée implique qu’il existe autre chose : la « constante cosmologique », introduite par Einstein en 1917 dans les équations de la Relativité générale ? Ou bien une « substance exotique », ou une « énergie sombre », comme préfèrent l’imaginer d’autres physiciens ? Cette question est précisément considérée comme l’une des plus actuelles de la cosmologie.

Les observations du fond diffus cosmologique nous révèlent également certains aspects de la géométrie cosmique. Elles ont permis récemment une estimation de la valeur de la courbure de l’espace, dont l’intensité est très faible… à tel point que certains la considèrent – abusivement – comme nulle, et déclarent que notre Univers serait « plat », c’est-à-dire sans courbure. Il faut bien comprendre qu’il s’agit ici de la courbure de l’espace, et non de celle de l’espace-temps, qui ne saurait être nulle.

D’autres résultats, moins directs, confirment également la solidité des modèles de Big Bang. Le premier tient au fond cosmologique diffus lui-même. Dès les années 1940, le physicien Gamow avait prédit, dans le cadre des modèles d’Univers « chauds », que le cosmos devait être baigné d’un rayonnement diffus isotrope aux caractéristiques particulières. Ce rayonnement fut effectivement découvert – accidentellement – en 1964. Il n’existe absolument aucun moyen – en dehors du Big-Bang – d’expliquer ne serait-ce que son existence. En outre, plus d’une centaine d’observations effectuées depuis 1965 grâce à des télescopes et des moyens atmosphériques nous ont dévoilé ses propriétés. Elles correspondent avec précision aux prédictions du Big-Bang, et ont même permis de préciser quelques-unes de ses caractéristiques.

Le rayonnement cosmique observé par le satellite WMAP

Des prévisions confirmées

Le second résultat concerne l’abondance des éléments chimiques dans l’Univers. Gamow, encore, fut le premier à s’y intéresser dans le cadre de la physique nucléaire récente. Il proposa l’idée que les éléments trouvent leur origine dans les phases primordiales du Big Bang. Les calculs de nucléosynthèse ont effectivement démontré que ce devait être le cas, au moins pour les plus légers (deutérium, hélium, lithium), les autres étant fabriqués plus tard au sein des étoiles. Les résultats sont en parfait accord avec les abondances observées.

Les modèles de Big Bang sont donc aujourd’hui confirmés d’une manière remarquable, avec une précision qu’aucun de leurs fondateurs n’aurait jamais pu oser espérer. Restent tout de même quelques questions qui préoccupent physiciens et cosmologistes. Les premières concernent la masse cachée et la question de la constante cosmologique.

Simulation de la répartition de masse dans l'Univers L'existence d'une masse cachée (en rouge)...

La question de la masse cachée n’est, à vrai dire, pas de nature cosmologique. Surgie à propos des galaxies et des amas, elle n’a rien à voir avec tel ou tel modèle cosmologique. Mais si l’Univers renferme réellement dix fois plus de matière massive que ce que l’on peut voir – comme le suggèrent les analyses de la dynamique des galaxies et des amas –, cela entraîne évidemment des conséquences cosmologiques importantes. Sans remettre en cause la validité des modèles de Big Bang, cela modifie le choix du mieux adapté, autrement dit des paramètres cosmologiques. La question reste ouverte.

Autre problème d’actualité, celui de la constante cosmologique : les observations de supernovae semblent indiquer que l’expansion cosmique s’accélère. La constante cosmologique le décrit parfaitement. Mais certains voudraient trouver dans la physique fondamentale un fondement à cette constante. Ils voudraient par exemple l’interpréter comme l’effet d’une nouvelle substance (une « énergie exotique » ou « énergie du vide »)… mais ni l’expérience ni la théorie ne nous indiquent la pertinence de telles innovations. La question – constante cosmologique ou nouvelle substance ? – reste ainsi posée et sans doute aucune réponse ne satisfera tout le monde tant qu’une nouvelle physique plus globale ne sera pas en place, même si ici encore les modèles cosmologiques de Big Bang ne sont pas en cause.

 

Vers une nouvelle physique

Cette motivation pour une nouvelle physique rejoint d’autres préoccupations. De nombreux indices suggèrent en effet l’inachèvement, l’imperfection de notre physique actuelle. En fait, elle manque surtout d’unité : ainsi, la gravité n’est pas quantifiée comme les autres interactions. De nombreux groupes de chercheurs tentent de mettre en place une nouvelle physique, plus synthétique que celle dont nous disposons : théorie des cordes, supersymétrie, géométrie non commutative, géométrie quantique constituent les principales pistes explorées, mais les succès se font attendre. Nous sommes donc, dans les prochaines années, en droit d’attendre un bouleversement de nos conceptions de l’espace et du temps, et de la matière.

Cette lacune de physique entraîne une lacune de cosmologie elle-même, qui se fonde sur elle : les modèles de Big Bang sont encore incomplets. Nous pensons qu’ils retracent correctement les derniers milliards d’années de l’évolution cosmique. Mais les tous premiers instants échappent à toute description. La raison en est simple : les conditions physiques de l’Univers d’alors différaient totalement de celles d’aujourd’hui : densité et température étaient tellement élevées que notre physique y était inapplicable.

La reconstitution du passé cosmique que proposent les modèles de Big Bang est limitée dans le passé à une certaine période. Appelée ère de Planck, elle marque la limite de validité de notre physique, donc de nos capacités d’investigation. Les modèles de Big Bang ne décrivent que les milliards d’années d’évolution cosmiques ultérieurs au temps de Planck. Nous voudrions les compléter, pour aborder le voisinage de l’ère de Planck. Il faut pour cela attendre la nouvelle physique en gestation. Elle trouvera là son champ d’application le plus naturel. Certains pensent qu’elle permettra non plus seulement de constater, mais de comprendre et d’expliquer les succès des modèles de Big Bang.

 

Pour aller plus loin…

Marc Lachièze-Rey, Au-delà de l’espace et du temps, éd. Le Pommier (2003).

Jean-Pierre Luminet, L’Univerd chiffonné, éd. Fayard (2001).

Marc-Lachièze-Rey, Initiation à la cosmologie, éd. Dunod (2004).

http://www-obs.univ-lyon1.fr/~ga/optionINSA/cosmo_0.html

http://www-obs.univ-lyon1.fr/~ga/optionINSA/insa_ch2_0.html