La philo décode les photos
Vivre au cœur de l’Univers…
L’Homme peut-il étudier l’Univers comme un objet de science ? Fourmi plongée au cœur d’un monde dont il ne peut appréhender ni les limites, ni la texture, pourtant, depuis Einstein, il s’en donne l’aisance, à travers la cosmologie. Il en représente des vues globales, et d’autres partielles. Nul autre domaine de science ne ressemble à celui-ci : impossible à mettre en éprouvette ni à reproduire. Impossible à observer par quiconque s’en éloignerait… Et d’ailleurs, aux dires des cosmologistes, cela n’a pas de sens : dehors n’existe pas. L’Univers n’est pas contenu dans autre chose. Pourtant, elle a beau exhiber des facettes de l’Univers, cette science particulière qu’est la cosmologie peine à éclairer l’énigme de la première fraction de seconde, celle de la forme du cosmos ou encore la questions du pourquoi. Pour la première, les physiciens butent à 10-43 s après la naissance de l’Univers, en deçà desquelles les lois de la physique ne sont plus valables. La seconde est une affaire d’échelle de représentation, la troisième relève des convictions personnelles.
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Observation des variations thermiques du ciel (94 GHz) par WMAP | Hubble observe les confins de l'Univers observable |
… et pouvoir le visualiser globalement
Deux vues nous plongent au royaume des paradoxes : quelques milliards d’années séparent ces deux images et pourtant elles ont été prises toutes les deux en 2004. L’une est dans l’autre : celle qui s’étend à droite constitue un détail de la carte de gauche. Représentation globale du cosmos, celle-ci montre les contrastes de température de quelques millionièmes de degrés lorsque l’Univers avait à peine 300 000 ans. Dans le cadre de la théorie d’Einstein, ces écarts de température autour de 2,7 K (soit -270°C), minuscules taches de couleur, refléteraient des régions plus ou moins denses. Chacune d’entre elles aurait évolué en une galaxie, un de ces astres brillants disséminés sur fond noir, renfermant des milliards d’étoiles et d’énormes quantités de gaz.
Quand la découverte suscite la curiosité…
Ces
vues globales de l'univers suscitent-elles de la curiosité chez le commune des
mortels ou, au contraire, laissent-elles pantois et interdisent-elles toute
question, à cause de leur degré de sophistication ? C'est cette réflexion de
Jean-François Ternay, spécialiste des images scientifiques à l'université
d'Orsay. Elle repose, entre autres, sur ces deux cartes "fabriquées" à 13 ans
d'intervalle.
En 1992, le satellite Cobe a mesuré la température de la première lumière de
l'Univers et a décelé d'infimes variations. Un premier signal, car avant que les
astronomes ne disposent de l'acuité de Cobe, ils ne percevaient aucun contraste
dans cette lueur des origines, observée la première fois en 1965 par les
américains Penzias et Wilson. "A la place de cette carte, c'est un fond uniforme
que l'on aurait proposé. Ce fut difficile de croire que nos instruments avaient
pu déceler les variations de cette première lumière, et pourtant on s'y
attendait depuis longtemps, se souvient François Bouchet, de l'Institut
d'Astrophysique de Paris. C'était une promesse formidable : le début d'un
nouveau champ de recherche, celui de la cosmologie d'observation."
En un peu plus d'une décennie, les chercheurs ont d'abord repéré des contrastes grossiers - telle l'image du nouveau-né, méconnaissable, en haut à droite - puis des détails fins - comme la photo en bas à droite. Le rapport de précision entre les deux cartes et les deux photos est similaire.
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… et la précision éloigne la compréhension
Pourtant nos yeux et notre cerveau identifient rapidement le nouveau-né ci-dessus à droite : au cours de notre vie, nous avons emmagasiné beaucoup d'informations qui s'y rapportent. A l'inverse, nous ne pouvons pas interpréter d'emblée la carte du satellite WMAP, ces points très légèrement plus denses qui deviendront de futures galaxies, ci-dessus à gauche. Sa lecture suppose des connaissances très spécialisées. Elles exerce une fascination extrême, magique et ésotérique à la fois. "Cette somme de connaissances qui est nécessaire à la compréhension de cette carte a un effet contraire à celui revendiqué par les scientifiques eux-mêmes : cette carte fascine, mais n'incite pas au partage du savoir", suggère Jean-François Ternay. Elle a été travaillée pour être magnifique et cet effort en fait une science intouchable, inatteignable par le public. Les images fabriquent-elles une science élitiste ?
Les illusions dévoilent-elles la réalité ?
Le monde serait-il semblable à une gigantesque illusion d'optique ? D'étranges lentilles déformantes jonchent l'espace et dévient l'unique message de l'Univers, la lumière. Résultat : les télescopes déversent de surprenantes images, comme ces astres qui ressemblent à des arcs de cercle ou des traînées de lumière. D'autres objets paraissent multipliés, comme la Croix d'Einstein, un quasar dont l'image paraît démultipliée. Certains semblent bien plus brillants qu'à l'accoutumée. Comment déjouer le piège de ces "lentilles gravitationnelles", ces masses qui dévient la lumière, afin de remonter à la réalité ?
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Un anneau d'Einstein dans le système B1938+666. L'image du haut a été prise dans l'infrarouge par le télescope spatial. Le point lumineux au centre est la galaxie relativement proche qui provoque l'effet de lentille gravitationnelle. L'anneau tout autour est une image déformée d'une galaxie plus lointaine. L'anneau n'est pas complet car les deux galaxies ne sont pas parfaitement alignées. L'image du bas est le même objet observé dans le domaine radio par le réseau de 6 radiotélescopes MERLIN en Grande-Bretagne. Sur cette image, on aperçoit très bien l'anneau, mais la galaxie proche n'est pas visible car elle n'émet pas dans le domaine radio. | Des lentilles gravitationnelles dans l'amas de galaxies Abell 2218+120 (ou Abell 2218b) | |
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L'arc bleuté et le contre-arc (au centre) découverts en 2003 dans la lentille gravitationnelle J033238-275653 située à z=0.62 | La "Croix d'Einstein" G2237+0305 est constituée de cinq images d'un seul objet distant. Cette galaxie de 15eme magnitude présente un redshift z=0,0394 et Z=1.695, preuve qu'elle est bien constituée de deux objets situés à des distances différentes. |
Les simulations sont-elles des preuves ?
Jean Surdej, astronome à l'institut d'Astrophysique et de Géophysique de Liège (Belgique) parvient, pour le plus grand bonheur de ses étudiants, à simuler le réel : grâce à du plexiglas taillé, il reproduit l'image déformée, dédoublée d'objets quotidiens.
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La figure
suivante permet de comparer les images obtenues d'une part à l'aide
de ce dispositif de simulation, et d'autre part par l'observation des
mirages gravitationnels |
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Simuler
ici-bas ce que l'on voit au ciel pour comprendre le phénomène : est-ce la preuve
que l'on détient la réalité ? Pas réellement une preuve, mais une très forte
indication que le phénomène sur Terre serait similaire à celui du ciel.
"Reproduire le même type d'images ici et là signifie que le même mécanisme
est à l'oeuvre", explique-t-il. Mais si les deux phénomènes ne sont pas de même
nature, cette simulation peut être prédictive. La position de la lentille
taillée par rapport aux rayons lumineux et les images obtenues peuvent fournir
une bonne idée de l'emplacement de l'astre-lentille sur la ligne de visée.
"Il s'agit d'explorer toutes les manières de comprendre un phénomène, avant de
procéder à l'abstraction mathématique, à la théorisation" : la démarche
scientifique utilise l'ensemble des ressources personnelles, culturelles et
intuitives du chercheur, y compris celles qui ne relèvent ni de la subjectivité
scientifique, ni de l'analyse, ni des mathématiques. En science, même le rêve
peut être fécond. La preuve : August Kékulé von Stradonitz (1829-1896),
fondateur de la chimie organique, fit une "découverte onirique" : alors qu'il
travaillait depuis des semaines sur la structure de la molécule de benzène, un
ouroboros lui apparut en rêve : c'est, par pure association de pensées, ce
serpent qui se mord la queue qui lui a révélé la structure cyclique du
benzène...
Une image à l'origine d'une idée
Cette vue depuis la Lune a-t-elle ébranlé l'histoire des idées au point d'être à l'origine d'une prise de conscience écologique ? La photo envoyée par l'équipage de la mission Apollo 8 en décembre 1968 a d'abord fasciné par sa beauté.
Voir la Terre dans sa globalité comme une bille bleutée ne fut possible que lorsque l'homme s'est éloigné de la planète. L'espace joue-t-il le rôle d'un "macroscope" ? Cet instrument imaginaire a été inventé par l'écologiste américain Howard Odum. Pour Jean-Paul Deléage, physicien et historien de l'écologie, le macroscope montre l'échelle d'observation privilégiée par les écologistes. Il présente la planète dans une globalité identifiable : la Terre ne ressemble ni à un point perdu dans l'espace, ni à un détail qui pourrait appartenir à n'importe quelle autre planète. Elle demeure reconnaissable. Est-ce pour cela que les satellites ont pu saisir, au fil des ans, ici et là, l'avancée du désert ou la destruction de la forêt ?
Les autres mondes nous renvoient sur Terre
A la fin des années 1970 partaient les sondes Pioneer, puis Voyager, pour un tour complet du système solaire. Le monde a alors pris connaissance de l'atmosphère orangée et tourmentée de jupiter, de la surface oxydée de Mars, des volcans de Vénus. Une étonnante diversité de paysages et pourtant rien qui ne ressemble à la Terre. Unique, elle seule porte océans et continents, atmosphère et vie à la fois. Pour la première fois, la Terre, qui nous semblait immense, voire infinie et immuable, est apparue fragile : ses ressources sont limitées... au point que leur épuisement menace directement notre développement.
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L'impensable peut-il exister ?
L'invisible existe-t-il ?
Comment appréhender un objet qui n'émet aucune lumière ? Né dans le cerveau
fertile des théoriciens, le "trou noir" déjoue le sens commun. Depuis Einstein,
l'espace est souvent décrit comme un tissu élastique modelé par des billes plus
ou moins grosses - astres plus ou moins massifs - qui le déforment. Les trous
noirs y créent un puits sans fond, une "singularité" dans le jargon des
physiciens.
Pour savoir si l'espace à proximité d'une étoile décrit une petite vallée ou un
abîme profond... il faut suivre la lumière. Elle arpente le "tissu" en long, en
large et en travers, et se déplace toujours à la même vitesse. Alors que se
passe-t-il quand sa route croise le puits sans fond créé par le trou noir ?
C'est le point de non-retour : le retard s'éternise, comme si le temps ne
s'écoulait plus. La lumière engloutie ne peut plus ressurgir, comme si l'espace
s'était infiniment dilaté. Infini et éternité : le "trou noir" oblige à
envisager l'impensable. A proximité de ce monstre énigmatique, l'espace et le
temps perdent leur sens. Ils sont figés, suggèrent certains physiciens. Comme
s'ils n'existaient plus, estiment d'autres.
Au bout du compte, le trou noir existe-t-il ou non ? Les astronomes y croient,
pensant avoir décelé l'attraction qu'exercent ces astres très denses. Mais,
comme pour le boson de Higgs - une des particules de force dont l'existence est
envisagée par la cohérence de la physique, tout comme la matière sombre ou
l'énergie sombre- ou pour les supercordes, et pour bien d'autres, la question de
l'existence importe peu... la vraie question est : les trous noirs sont-ils
"opératoires" dans le cadre des théories actuelles ?
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L'unité de la physique est-elle au coeur des trous noirs ?
Pour comprendre
totalement les us et coutumes d'un trou noir, la théorie d'Einstein - la
relativité générale - doit s'allier à la physique du monde subatomique - la
mécanique quantique. La première permet de mettre en évidence l'attraction
exercée par ces astres massifs. La seconde décrit la matière aux conditions
extrêmes de température et de pression semblables à celles qui existèrent peu
après le Big Bang.
En ce sens, un trou noir est un digne représentant des origines de l'Univers :
un point dans notre environnement d'aujourd'hui où règnent les conditions de
l'après Big Bang.
L'Univers des astronomes est-il une icône divine ?
Les images astronomiques ont-elles été travaillées pour transmettre une vision majestueuse et magnifiée du cosmos ? C'est la thèse soutenue par Elizabeth Kessler, historienne de l'art, qui vient de signer un livre sur les photos envoyées par le télescope spatial Hubble. La nébuleuse de l'Aigle en est un exemple.
Baptisée "les Piliers de
la création" par les experts en communication de la NASA, elle a été utilisée
pour des pochettes de CD ou encore des timbres postaux sans compter les
affiches, pubs et posters...
Or, tout a été mis en oeuvre pour que cette image soit dotée d'un fort pouvoir
émotionnel. Pour commencer, les astronomes étaient persuadés que ces colonnes de
gaz renfermaient des pouponnières d'étoiles... d'où le nom donné à cette région.
Une étude approfondie a révélé que ce gaz ne portait aucune promesse d'étoile.
Stériles, les piliers de la création ont tout de même conservé leur nom... et
leur majestueuse érection. En effet, dans l'espace, aucune direction n'est
privilégiée. Les fameuses colonnes auraient pu être présentées couchées ou
encore la tête vers le bas. Le choix de les exhiber accentue le caractère sacré
et la spiritualité qui s'en dégage.
Après la forme, la couleur. Les images de Hubble sont à l'origine en noir et
blanc. Les nuances de gris ont été travaillées avec la même palette que celle
utilisée par les peintres romantiques américains (comme Albert Bierenstadt).
Enfin, ces photos comportent aussi une charge idéologique : à l'image de ces
peintres qui s'efforçaient de traduire une certaine beauté et une harmonie dans
les paysages, les conseillers en communication de l'Institut du Télescope
Spatial ne cessent de retoucher les images afin de les rendre spirituelles,
esthétiques, bref de leur donner une puissance émotionnelle capable de soulever
l'adhésion du public. Or, ne considère-t-on pas la beauté comme une vertu ?
Cette mise en valeur précise des photos de Hubble revient à distiller une image
très positive de l'astronomie : ses outils ne rendent-ils pas le cosmos plus
beau, plus harmonieux ? Un Univers aussi élégant et harmonieux peut-il être
totalement fortuit ? En filigrane, discrètement, se profile l'idée d'une entité
supérieure...