L'allégorie est une image ...
Socrate parle par image parce qu'elle a une valeur pédagogique.
Elle permet le passage, à travers l'image concrète, à une représentation abstraite.
En principe, elle permet de penser ce qu'un discours théorique a du mal à exposer...

Il y a deux étapes décisives pour le prisonnier :

1. conversion dans la caverne
2. progression hors de la caverne

Dans la caverne :
Platon décrit une situation fictive : des prisonniers attachés depuis toujours au fond d'une caverne.

Platon donne la clef principale de l'allégorie : ces prisonniers, c'est nous !

En quoi notre situation ressemble-t-elle à celle des prisonniers ?
Il veut dire par là que nous prenons les apparences pour la réalité.
Et, nous sommes "prisonniers des apparences".
Certes, nous savons déjà qu'il nous arrive de " prendre les apparences pour la réalité... ".
Les apparences peuvent masquer la réalité.
Par exemple : l'image de marque (la fonction) est le faux ;
face au président, au ministre, au proviseur, au professeur, à l'élève,... on a le statut avant la personne. Au point de ne plus voir parfois qui se cache derrière la fonction.

Mais la position de Platon est encore plus radicale !
Nous nous sommes toujours trompés sur ce qu'était la réalité.
Car ce que nous voyons depuis toujours, ce sont des apparences !
Ce que nous prenons pour la réalité n'est jamais qu'un semblant de réalité.
Bref, " notre " réalité est une " illusion " !
Ainsi le monde sensible que je vois, que je touche, dans lequel je vis, n'est pas la réalité.
Voilà une affirmation bien étrange et téméraire !

Examen de détail :
Que voient-les prisonniers sur le mur ?
- les ombres des objets manufacturés (imitation à la puissance 2)
- leurs ombres propres !!!
- la lumière du feu (et non pas la lumière du jour mais une lumière artificielle !)

Au cinéma, il m'arrive de faire ponctuellement l'expérience de ces prisonniers ;
j'oublie que les images du film ne sont pas la réalité !!!
Les images m'apparaissent alors plus réelles que le mur que je ne vois pas.
J'accorde trop de confiance à ce que je vois et pas assez à ce qui ne se voit pas !!!

C'est peut-être une erreur de dire : je ne crois que ce que je vois.

Néanmoins, je sais que les images au cinéma ne sont pas la réalité,
car il leur manque quelque chose !
Au cinéma, je suis seulement spectateur.
Cela signifie que seule la vue et l'ouïe sont sollicités.
Alors que dans la vie, nous sommes acteurs et utilisons nos 5 sens !
L'expérience au cinéma est moins riche que celle de mon existence.
C'est l'expérience corporelle du monde qui sert d'aune ou de critère pour mesurer la réalité. Et donc le critère du réel, c'est finalement le tangible !


L'illusion temporaire ne suffit pas à démontrer que ma réalité soit une illusion permanente.
C'est l'expérience (sensible) de soi agissant dans le monde qui constitue l'indice de la réalité.
Or, Platon précise :
les prisonniers ne connaissent d'eux-mêmes que leur ombre projetée sur le mur !
Les prisonniers ne se connaissent pas eux-mêmes mais seulement leur propre reflet.
Autrement dit, l'expérience de soi est un critère de la réalité qui est sujet à caution !!!

Si je confonds apparence et réalité, c'est parce que :
l'on m'a toujours montré du " faux " ;
je prends le " faux " pour du " vrai ".
C'est toute mon expérience du réel qui m'a induit en erreur.
Autrement dit, selon Platon, nous vivons dans l'illusion la plus complète.
Pour s'en rendre compte, il faudrait avoir quitté notre caverne ;
c'est-à-dire qu'il faut connaître la vraie norme du réel !

N.B. Les ombres sur le mur sont le reflet des sculptures.
Les ombres ne sont pas " fausses " ou inexistantes ;
elles sont bien là mais ce sont des reflets !
Il y a bien quelque chose à voir : un phénomène sensible.
L'homme a raison de voir quelque chose.
Mais, il juge mal ce qu'il voit.
Nous sommes dans l'illusion au sujet des apparences sensibles.
La réalité ne se donne pas à travers la manifestation sensible ;
ou plutôt elles ne se donnent qu'imparfaitement et incomplètement !

La sensation de dureté de la table n'est pas l'indice de sa réalité.
Et pourtant, c'est bien cette sensation qui me fait croire à sa réalité.
D'ou vient cette croyance ?
Qu'est-ce qui me pousse à associer sensation et réalité ?
On a déjà vu que c'est la seule réalité que je connaisse.
cf. : l'expérience sensible de soi dans le monde est un critère erroné.

Mais, il y a encore une autre cause à cette confusion :
D'où vient la certitude qu'ont les prisonniers de connaître la réalité ?
Elle vient, du consensus dans l'acte de dénomination.
Ils nomment les apparences de la même façon. Ils parlent de la même chose.
Exemple : comme moi, les autres appellent table ou cercle ou carré le même objet.
Cela contribue à me conforter dans l'erreur.

Mise en garde supplémentaire de Platon
N.B. " des ombres d'objets fabriqués " !!!
Le prisonnier ne voit pas l'ombre des choses réelles.
Il voit l'ombre d'artefacts.
Or l'objet fabriqué est d'une certaine façon aussi une imitation.
Il s'agit en quelque sorte d'un redoublement.
Dans la caverne, on voit une apparence à la puissance deux.
Platon serait-il en train de suggérer que nous aussi, nous nous trompons doublement sur la réalité ?
La réalité sensible est-elle une imitation à la puissance 2 ?

Explication :
Ces images perçues sont l'ombre portée de " choses " construites par l'homme (statues).
Le monde sensible nous apparaît d'après une idée consensuelle.
Ces idées consensuelles servent de norme à nos représentations mentales.

Premier exemple :
Nos perceptions sont le résultat d'une construction, d'une mise en forme !
Cette mise en forme est tributaire d'idées culturelles, variables (car non-naturelles).
ex.: L'odeur du camembert pour un japonais est affreuse.
ex.: la couleur noir sur un écran de télévision.

 


Deuxième exemple :
La justice qui est à l'œuvre dans un tribunal s'exerce d'après l'idée que la société s'est donnée de la justice et du droit.
Or, il y a plusieurs conception du droit : droit positif ou droit naturel.
Elle est relative à la société.

Nous percevons et comprenons les événements d'après des idées toutes faites par notre société.

Troisième exemple :
Si je dis : " j'ai laissé mes notes de cours sur ma table, juste à côté de la lampe " ;
vous comprenez ce que je veux dire.
Vous pouvez même visualiser sans avoir jamais vu la table en question.
Vous le pouvez grâce à l'idée (schématique) de table qui vous est donnée par notre culture.
Et c'est aussi cette idée (schématique) qui permet de reconnaître une table quand nous en voyons.

Il y a donc entre le monde et nous des idées conçues qui jouent le rôle de filtre.
Elles orientent nos perceptions, les construisent.
Et elles sont indispensables car sinon nous ne pourrions rien distinguer.
Nous ne saurions pas où commence et où finit un objet dans l'espace.

Problème : dans quelle mesure ce filtre est-il culturel et contingent ?
Dans quelle mesure l'accès au monde est-il frappé de contingence ?

Or, ces idées schématiques (ou fabriquées) sont encore des imitations.
De quoi sont-elles l'imitation ?
Pour le savoir, il faut passer au monde intelligible.
Le modèle est d'ordre purement intelligible.
Il ne dépend pas de la culture et n'est pas contingent.


La délivrance et la sortie hors de la caverne (ou la conversion religieuse) :
Regarder dans la direction de la réalité est douloureux.
Cela demande un effort et on commence par ne plus rien discerner.
Ceci explique le refus de renoncer au sensible comme réalité.

Pourquoi l'obliger à nommer ?
En obligeant le prisonnier à nommer les choses qu'il voit,
on le force à " reconnaître " la réalité.

L'élévation du regard se fait par étapes une fois seulement sorti de la caverne !
La pédagogie n'intervient pas d'emblée.
Il faut d'abord se détourner des ombres au lieu d'approfondir le préjugé.
Une fois bien orienté, le but sera de regarder progressivement la vérité.

Il peut comparer son nouveau savoir avec celui dont disposent les prisonniers.
Et contrairement aux prisonniers, il dispose des éléments de comparaison.

Le regard s'élève par degré :
Il commence d'abord par l'ombre naturelle des choses et leur reflet;
puis il en vient aux choses elles-mêmes.
Et enfin à la source de la visibilité : la source de la connaissance i.e. le principe d'intelligibilité.

Quelle est cette science des prisonniers ?
" distinguer avec le plus de précision les ombres [les phénomènes] qui se présentent "
" se rappeler le mieux celles qui ont l'habitude de passer les premières, les dernières, ou ensemble "
" être capable, à partir de ces observations, de présager ce qui doit arriver "
Platon nous donne là une assez bonne définition de la science même moderne .

Retour dans la caverne :
Le philosophe qui connaît la réalité ne voit pas bien lorsqu'il examine la soi-disant réalité sensible.
Il semble maladroit et prête alors à rire.
C'est une erreur de juger les philosophes sur leur maladresse.
C'est une mise en garde à l'attention des non-philosophes.

Pourquoi le philosophe ne souhaite-t-il pas retourner dans la caverne ?
_ Parce que l'obscurité (vivre dans l'illusion) est une source de souffrance.
(cf. la fiction du héros qui découvre que la société est victime d'une machination dont elle ignore tout).
Dimension dramatique qui fait écho au destin de Socrate :
ceux qu'il cherche à éclairer ne le croient pas et le tuent.

Alors pourquoi redescendre ?
_ Parce qu'il éprouve le besoin de dire ce qu'il sait (d'éduquer),
et il ne sera pas complètement heureux tant qu'il n'aura pas transmis son savoir.

Interprétation de l'allégorie de la caverne :

Le monde sensible perçu, i.e. le monde matériel, n'est pas la réalité.
La table perçue n'est qu'une apparence, c'est une image de table.
La table sensible n'est pas pleinement réelle.
Elle est prise dans le devenir, dans l'écoulement du temps.
A ce titre, la connaissance que j'en ai est frappée d'une certaine inconsistance.
Il y a du non-être dans le devenir.
Et il y a du non-être dans la table sensible.
Dans la table sensible, l'être et le non-être sont en rivalité.
Pendant un certain laps de temps, la table sensible demeure table.
Mais cela ne durera pas.
La matière des choses sensibles finit toujours par perdre la Forme qu'on lui a donné.
La chose sensible retourne toujours au " désordre ".
Si dans la table sensible, il y a du non-être.
Dans l'Idée de la table, il n'y a que de l'être.
L'Idée de la table, c'est l'être de la table ou l'être-table : ce qui fait qu'une table est une table.
Il n'y a que de l'être-table dans l'essence de la table.
Dès lors, s'il y a moins d'être dans le sensible que dans l'intelligible,
il s'ensuit qu'il y a moins de réalité dans l'intelligible.
La table sensible est moins réellement table que l'Idée de la table.
La réalité de la table est du côté du monde intelligible.
Seule la réflexion peut accéder à ce côté du monde.
Il faut un effort considérable pour rompre avec la croyance au sensible !
Etre dans le vrai, c'est voir bien (juste) les Idées telles qu'elles sont.
Ce qui est vu ne dépend pas de moi : on n'est plus dans la subjectivité.
C'est le monde sensible qui laisse de la place à l'expression de la subjectivité.
Car le monde sensible n'est pas le lieu d'un savoir exact.
L'intelligible ne varie pas d'un individu à un autre.
Il ne dépend pas des individus.

Les reflets des choses et les Mathématiques :
Il faut donc se détourner du sensible trouble et fascinant à la fois qui nous induit en erreur.
Se fier aux apparences ne permet pas de connaître les causes véritables.
Tant que l'homme s'est fié aux apparences, il s'est imaginé que la terre est plate et immobile.
Une fois libéré de l'emprise des choses sensibles, on aborde les objets mathématiques.

Même si les mathématiques se servent d'un support sensible (figures géométriques),
c'est toujours un objet universel qui est visé.
Elles ne s'intéressent pas spécifiquement au triangle sensible mais à l'abstraction que le triangle symbolise.
Or les mathématiques reposent sur des postulats.
On admet des définitions (point, ligne, etc.), des axiomes (la partie est plus petite que le tout) et des postulats (par un point extérieur à une droite ne peut passer qu'une seule parallèle)
Ces postulats ont valeur d'hypothèse.
Ces postulats sont les éléments de composition des mathématiques.
Ces hypothèses sont vérifiées par les déductions qu'elles permettent et leur cohérence avec le reste du système mathématique.

Mais aux yeux de Platon, il y a quelque chose d'insuffisant dans cette démarche.
On n'en reste à des hypothèses !
En ce sens, on est pas absolument sûr que les mathématiques soient vraies.
Les mathématiques montrent le chemin mais elles s'arrêtent trop tôt.
Il faut monter d'hypothèse en hypothèse jusqu'au fondement ultime.
Cette méthode, Platon l'appelle : dialectique.
Le fondement des hypothèses est le principe anhypothétique.
C'est le principe (arkhè) qui n'a pas besoin d'être fondé car il se fonde lui-même.
Il fonde et rend raison de toute chose i.e. de tout l'être... il commande !
Ce principe anhypothétique, c'est le Bien.
C est l'équivalent non-sensible du soleil.

Qu'est-ce qui fait qu'il y a des Idées ?
Et, qu'est-ce qui fait que l'on peut "voir" des Idées ?
C'est l'idée du Bien. Le soleil est l'allégorie de l'Idée de toutes les Idées.
C'est l'Idée du Bien dont dépendent en retour toutes les autres.

Dès lors que le prisonnier voit le Bien pourquoi redescendrait-il dans la caverne contre son désir ? Parce que c'est Bien.
Il faut vivre selon un principe donc vivre en se demandant qu'est-ce qui est bien.
Bien vivre, c'est vivre selon le Bien.
A la question : pourquoi c'est bien ? Il faut répondre : parce que c'est bien.
Le bien est une réponse ultime.


Difficultés posées par le texte de Platon :

Qui est cet homme qui délivre le prisonnier ? Le philosophe.
Il faut donc être éduqué par un philosophe pour se délivrer de nos illusions.
Mais qui a délivré le premier philosophe ?
On a là l'exemple des limites de l'image que représente l'allégorie...
On sait bien que, dans les faits, souvent les philosophes ont du génie voire un démon.

Comment expliquer que Platon adopte une image pour parler de la connaissance ?
En principe, il recourt à l'image (mythe) lorsqu'il rend compte d'un savoir vraisemblable.
C'est le cas notamment lorsqu'il cherche à penser l'inscription de l'intelligible dans le sensible (cf. Le Timée)
Or ici, il s'agit de la connaissance !!!
Sans doute la raison en est qu'il ne vise pas à nous faire " connaître " la connaissance.
Par le recours à l'image, il se contente de nos suggérer notre état illusoire.
Il ne nous arrache pas véritablement à nos illusions.
Nous n'accédons pas au monde intelligible !
Par cette allégorie, Platon ne nous arrache pas avec violence à notre caverne pour nous trainer le long d'une pente abrupte à la recherche du vrai intelligible.
Comprendre l'Allégorie demande peu d'effort et s'avère peu douloureuse.

 

 

Il ne va pas de soi de faire entendre ce que Platon signifie par la célèbre image de la caverne et dès qu’il s’agit de prendre au sérieux la signification, les résistances se font jour.

 Nulle évidence en effet dans cette manière d’opposer un monde d’obscurité et un monde de lumière, tant chacun sait bien qu’il n’y a qu’un monde et que c’est dans celui-ci que nous avons à vivre.

   Mais il est clair qu’il y a différentes manières de l’habiter. La distinction de l’ombre et de la clarté, de l’apparence et de l’essence ne se joue pas hors de nous, dans ce qui s’imposerait comme une donnée ontologique. Elle se joue en nous dans la manière de nous projeter vers les choses. De sorte que lorsque Kant ramène les grandes questions de la philosophie : que puis-je savoir ? que dois-je faire ? que m’est-il permis d’espérer ? à la question : qu’est-ce que l’homme ? il a lui aussi le mérite de revenir au centre c’est-à-dire à l’être par lequel la question de l’être peut être posée.

 
 Car il n’y a pour nous de réel que de réel représenté. Ce n’est pas un hasard si le même mot  « représentation » désigne aussi bien la représentation mentale que la représentation théâtrale ou cinématographique. Nous sommes au monde comme au spectacle mais d’ordinaire nous l’ignorons.
 Le génie de Platon est d’inventer le cinéma vingt quatre siècles avant son apparition mais ce cinéma, ce n’est pas celui auquel nous nous rendons de temps en temps pour nous distraire, c’est celui qui définit notre condition. Car la salle de projection avec sa lumière artificielle, les images projetées sur l’écran, les montreurs de marionnettes aux commandes dans les coulisses, le spectateur jouet des manipulations qu’il méconnaît, c’est très exactement le rapport immédiat de l’homme au réel.
  L’allégorie de la caverne vend la mèche. Elle nous affranchit de notre naïveté en permettant au spectateur inconscient que chacun commence à être de se donner, une bonne fois pour toutes, le spectacle du spectacle lui-même. Sauf que la notion de spectacle n’est plus tout à fait pertinente car celui-ci n’est pas visible avec les yeux du corps. Le philosophe n’est pas un artiste encore que cela se discute. Rendre visible pour lui, ce n’est pas faire voir au moyen d’images, c’est rendre intelligible au moyen d’idées et cela n’est pas chose facile car celles-ci ne sont visibles qu’aux yeux de l’âme et nul ne sait vraiment ce qui promeut l’acuité de ces derniers. Si on le savait, on serait tous d’excellents éducateurs mais j’avoue n’être pas sortie de l’ombre sur ce point et si l’allégorie éclaire un peu les données du problème, elle ne permet pas tout à fait de comprendre pourquoi cet œil de l’âme se libère chez certains et restent décidément obscurci chez d’autres. En tout cas, Platon n’ignore pas la difficulté si bien qu’après avoir explicité les significations sous la forme austère de l’abstraction spéculative, il y revient en mobilisant les ressources du symbolisme pour les rendre accessibles.
 Mais une allégorie est une figure symbolique complexe et seul un travail minutieux de déchiffrement peut reconstituer les significations.
 
 

   La première image est donc celle d’une caverne.

  Métaphore de l’ignorance tant nous sommes habitués à utiliser le registre de la vision pour figurer celui de l’intellection. Une caverne est un espace obscur et dans l’obscurité on ne discerne pas clairement les choses.

  PB: Mais enfin, rétorquera-t-on, cette accusation d’ignorance vaut pour un monde d’analphabètes. Ne vivons-nous pas dans un siècle éclairé et tous les enfants de France ne passent-ils pas par l’école obligatoire ? Certes… Et pourtant Platon, disait qu’il y a une manière d’aller au vrai en songe, il pensait aux mathématiques et à ce que nous appelons les sciences aujourd’hui, et même qu’il y a des opinions vraies. Qu’est-ce donc que la science et pourquoi tant qu’on n’a pas interrogé la nature des discours, leurs présupposés et leurs limites, est-on fondé à parler d’ignorance ?

   La caverne est aussi un espace clos or notre première expérience de la liberté est celle de la liberté de mouvement. Elle est donc la métaphore de la servitude ou de l’aliénation. Là encore la signification étonne. Ne vivons-nous pas dans un monde ayant institué la liberté dans le rapport politique et se préoccupant de libérer les jeunes des chaînes de l’ignorance ?

 PB: Que veut dire Platon lorsqu’il pointe une servitude constitutive de la condition humaine dans sa spontanéité ? Il faudra comprendre ce à quoi renvoie l’image des chaînes pour s’en faire une idée précise.

  Mais la caverne, c’est aussi une demeure souterraine. Dans l’imaginaire grec, le souterrain est la demeure d’Hadès, le monde des morts. Est-ce à dire que notre vie qui se croit bien vivante l’est moins qu’il n’y paraît ? C’est bien ce que figure la caverne. Métaphore d’une vie qui est une forme de non-vie en comparaison de la vraie vie ouverte par l’éveil philosophique, la signification se fait ici énigme. « Qui sait si vivre n’est pas mourir et si mourir n’est pas vivre » demande Socrate en citant les vers d’Euripide. Platon. Gorgias. 492a. La révélation  philosophique semble avoir ici les accents de l’intuition poétique ("la vraie vie est ailleurs" affirme Rimbaud) ou de l’intuition religieuse (il faut mourir au péché pour échapper à la mort  enseigne le christianisme).

 PB: Que peut donc bien signifier l’idée qu’il faut mourir à cette mort qu’est la vie selon la loi de la caverne pour vivre vraiment ? S’il est vrai que : « philosopher c’est apprendre à mourir », quel est le véritable sens de cette formule?

 
 La suite du Gorgias donne des indications. «  Tu sais, en réalité, nous sommes morts. Je l’ai entendu dire par des hommes qui s’y connaissent : ils soutiennent qu’à présent, nous sommes morts, que notre corps est un tombeau et qu’il existe un lieu dans l’âme, là où sont nos passions, un lieu ainsi fait qu’il se laisse influencer et ballotter d’un côté et de l’autre ».Ibid, 493a. Nouvel élément de compréhension. La caverne est la métaphore du corps et le corps est le tombeau de l’âme. Parenté du sôma (le corps) et du séma (le tombeau). L’idée est sans doute d’origine pythagoricienne et demande un traitement prudent. Il ne faut jamais oublier qu’il s’agit de métaphores et qu’à les interpréter littéralement, on manque le sens philosophique. Là encore l’approfondissement de l’idée des chaînes doit permettre d’éviter les idées simplistes. Pas plus qu’il n’y a un monde de la caverne et un autre monde pour lequel on pourrait prendre son billet, il n’y a d’un côté l’âme et de l’autre le corps. L’homme est un mais il est vrai que ses élans ne semblent pas avoir leur source dans des instances homogènes. Il se vit comme un terrain où s’affrontent le haut et le bas, le supérieur et l’inférieur. Immanent au monde de la matière, de la terre par son corps, il se dresse vers le ciel et sent bien que les exigences de l’esprit le rattachent davantage à la transcendance. Il expérimente dans l’étonnement et le malaise son statut d’être ambigu, déchiré entre des postulations contradictoires. Amoureux de la beauté, de l’ordre et de l’harmonie, il se sent laid, chaotique et dissonant. Il est désir, tension entre la pauvreté qu’il est et la richesse qu’il aime. Il est bien atopos (Topos : lieu. A : privatif). Comme Socrate. Sans lieu. Ni tout à fait de la terre, ni tout à fait du ciel. Ni bête, ni Dieu, homme simplement, c’est-à-dire tout sauf quelque chose de simple, d’apaisé, de satisfait de soi.
  Grandeur et misère de celui qui refuse d’être un animal, qui est travaillé par l’idée de la perfection divine mais qui en est expulsé. La caverne c’est l’oubli de cette inquiétude dans la somnolence d’une prison où l’homme essentiel ne peut pas se sentir chez lui.
 
 Le poète Novalis disait en ce sens que « la philosophie est proprement la nostalgie-aspiration à être partout chez soi ».  Impossible, en effet d’être chez soi dans un monde où les exigences de l’esprit sont sans cesse sacrifiées à des besoins et à des intérêts qui, pour avoir leur importance, n’épuisent pas l’horizon d’une vie proprement humaine.

 

 

      Structure du texte.
 
  Elle a pour fonction de figurer par le moyen d’images, par la description de situations, de mouvements s’opérant entre des espaces une certaine idée de la philosophie. Cette idée est l’idée platonicienne de philosophie.

  L’allégorie se divise en trois parties.

 

                        1) Description d’une existence étrangère au questionnement philosophique.

 Cf: Déchiffrement de l’image de la caverne et des chaînes.

Platon met en scène la condition immédiate de tous les hommes, la nôtre comme celle de nos plus lointains ancêtres tant que celle-ci n’est pas profondément transformée par la vigilance philosophique. Cette condition est métaphoriquement celle d’un prisonnier d’une caverne. Platon veut signifier par là que notre rapport au réel est un rapport imaginaire, médiatisé à notre insu par une langue, un milieu culturel, des habitudes, des maîtres de la parole, une corporéité et une affectivité etc. Nous n’avons pas spontanément conscience que nos représentations, nos jugements, nos valeurs sont fabriqués, convenus. Nous les revendiquons comme des pensées personnelles témoignant par là de notre méconnaissance de ce que penser veut dire. Notre rapport à nous-même est tout aussi imaginaire que notre rapport au réel.

  La caverne symbolise cette aliénation de l’esprit qui lui fait prendre pour un véritable savoir ce qui n’est que de la croyance ou de l’opinion.
  Platon appelle doxa le type de discours qui règne dans la caverne. Il lui oppose le principe d’une autre forme de connaissance : la connaissance intelligible par rapport à la connaissance sensible, la science par rapport à l’opinion. Mais pour s’affranchir du pouvoir des opinions une transformation radicale de notre rapport au monde est nécessaire. C’est ce que figure le deuxième tableau.
 

                        2) Le chemin de la connaissance.

  Le texte souligne ses difficultés, ses hésitations, ses étapes, sa visée et ses conséquences. Platon s’emploie surtout à figurer les opérations de l’esprit en jeu dans cette aventure. Il s’agit de déjouer les aveuglements originaires ; ce qui implique à la fois un retour de l’esprit sur lui-même et une ascèse.

  Faire retour sur lui-même c’est pour l’esprit proprement réfléchir. La réflexivité est le moment où l’esprit cesse d’affirmer quoi que ce soit et se demande si ce qui lui tient lieu de pensée première est vrai ou faux ; fondé en raison ou non.
Encore faut-il pour que l’esprit puisse correctement examiner les énoncés d’opinion ou les énoncés savants qu’il ne soit pas sous l’empire des passions et qu’il ait été formé aux exigences de la rigueur rationnelle. C’est ce qu’indique l’idée d’ascèse. Le terme connote l’idée de purification, de catharsis, de libération des puissances d’aveuglement ; celles qui sont les ressorts du prestige des opinions dans la caverne.
Platon confère cette fonction cathartique aux mathématiques. « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » avait-il fait inscrire au fronton de l’Académie. De fait les mathématiques développent le sens de la logique, de la nécessité rationnelle, elles habituent l’esprit à raisonner sur de purs intelligibles et donc à s’affranchir dans la conduite de la pensée des impressions sensibles.
  La première étape du chemin de la connaissance c’est donc la formation mathématique et ce que nous appelons aujourd’hui les sciences. La deuxième est ce que nous appelons spécifiquement aujourd’hui philosophie c’est-à-dire la mise en œuvre d’une démarche dialectique où il s’agit pour la pensée de soumettre tous les énoncés à l’examen afin, en droit, de remonter à des propositions capables de fonder en raison nos discours.
  La dialectique ou art de procéder comme dans un dialogue, par questions et réponses, est en ce sens une démarche régressive dont le terme serait ce qui est symbolisé par le soleil. Avec ce symbole Platon pointe L’IDÉE première qui permettrait à notre connaissance d’être absolue, de ne plus comporter d’ombre. Autant dire qu’il nomme un idéal, ce qui inlassablement tente le penseur mais se refuse toujours.
  PB : Avec la contemplation du soleil ou de la vérité ultime la philosophie aurait-elle épuisé son sens ? A l’évidence non puisque Platon fait redescendre le philosophe dans la caverne.
 

                       3) La vocation pratique de la philosophie.

  La philosophie implique bien une dimension théorique mais ne s’y réduit pas. Philosophie signifie étymologiquement « amour de la sagesse » et par sagesse nous n’entendons pas seulement une manière droite de penser mais aussi de se conduire.

  La sagesse est un art de penser et d’agir conforme aux exigences de la raison.
Socrate incarne pour nous cette figure du sage qui fut à la fois un éveilleur des esprits, une conscience vigilante soucieuse d’honorer dans la vie publique et dans la vie privée les exigences spirituelles et morales.
  Dans cette partie Platon montre que la philosophie a une vocation pédagogique, éthique et politique. Ce qui n’estpas sans danger. En 399av JC Socrate est condamné à boire la ciguë. 
   Faut-il comprendre que rien n’est plus insupportable aux hommes que le rappel de leur vocation spirituelle et morale ?
 
Idées importantes :
 
  L’allégorie de la caverne donne à penser une idée de la philosophie que chaque philosophie historique actualise d’une manière plus ou moins réussie mais qu’aucune ne saurait épuiser car la philosophie se révèle d’emblée chez ses pères fondateurs comme une tâche infinie. Par essence, elle est le pressentiment d’un pôle théorique et d’un pôle pratique, d’une science universelle et absolue qui transcende la clôture des enracinements empiriques.
  Ce pôle infini, éternel, universel, défini pour la première fois par les Grecs, est réactualisé au 20° siècle par Husserl (1859-1938), comme le sens spirituel de l’Europe et avec elle de l’humanité entière dans la mesure où « il y a dans l’Europe quelque chose d’insigne à quoi tous les autres groupes de l’humanité eux-mêmes sont sensibles, quelque chose qui, abstraction faite de toute utilité, les pousse à s’européaniser plus ou moins, alors que nous, si nous nous comprenons bien, nous ne nous indianiserons par exemple jamais ». La crise de la conscience européenne et la philosophie. 1935.
  L’Europe, au sens husserlien, naît en effet en Grèce, avec cette nouvelle manière d’être au monde que Pythagore a appelée Philosophie. « C’est seulement chez les Grecs que s’accomplit en l’homme fini, l’attitude complètement transformée à l’égard du monde environnant, que nous caractérisons comme un intérêt pur pour la connaissance et, par avance, comme un intérêt déjà purement théorique. Il ne s’agit pas d’une simple curiosité qui, distraite du sérieux des soucis et des peines de la vie devient de manière accidentelle un pur intérêt porté à l’être et au mode d’être simples des données environnantes, ou même un pur intérêt pris à tout le monde environnant de la vie. Bien au contraire, il s’agit d’un intérêt analogue aux intérêts professionnels et aux attitudes qui leur correspondent. A l’encontre de tous les autres intérêts, celui-ci revêt le caractère particulier d’être un intérêt qui embrasse le monde et qui est entièrement non pratique… Ainsi l’homme est pris d’une aspiration passionnée à la connaissance qui se hausse au-dessus de toute pratique naturelle de la vie avec ses peines, ses soucis quotidiens et qui fait du philosophe un spectateur désintéressé supervisant le monde ».(Husserl)
 
  De fait, la philosophie émerge d’un double mouvement fondateur :
 
·         Le premier correspond au VI° siècle avant Jésus-Christ, à sa rupture avec la pensée mythique.
 
  La mythologie et la philosophie procèdent d’un souci de rendre intelligible le réel mais l’une et l’autre divergent radicalement dans leur démarche. «  Les contemporains d’Hésiode et tous les théologues, remarque Aristote, se sont en vérité soucié uniquement de ce qui pouvait entraîner leur conviction mais ils ont négligé de penser à nous ». Aristote veut dire que la vérité mythique ne cherche pas à se fonder en se soumettant à l’épreuve de la communication universelle. Elle n’est pas discutée, questionnée, elle ne s’expose pas dans le langage de la raison, elle ne vaut que pour ceux qui y croient et demeure en tant que telle étrangère à la législation de la raison universelle.
  De fait la mythologie est la culture des peuples de tradition orale. Les mythes traduisent la fascination des hommes devant un monde vécu comme sacré ou surnaturel. Ils racontent comment, grâce aux actions des dieux, des héros ou des ancêtres, une réalité est venue à l’existence. Ils sont toujours le récit d’une origine, d’exploits qui se sont déroulés dans le temps d’avant le temps, temps des commencements, temps fondateur des choses telles qu’elles sont dans le temps des hommes. Les mythes ne sont pas vécus comme des créations humaines. Ils sont des récits immémoriaux, transmis aux hommes par ceux qui dans la cité font autorité. Et ceux-ci font autorité parce qu’ils apparaissent comme les gardiens d’une révélation primordiale, d’une tradition sacrée (Ex : les castes sacerdotales, les Anciens). C’est dire que la vérité qu’ils portent ne peut être interrogée. Il y aurait là, un sacrilège sanctionné sévèrement par le corps social cohéré par la vérité mythique
  L’émergence de la philosophie suppose donc une mutation culturelle profonde. Car les Milésiens ne racontent plus une histoire sacrée, destinée à éclairer l’origine des choses. Ils cherchent à rendre raison des phénomènes en découvrant, par les seules ressources de leur raison et les données de l’expérience le principe qui les explique. Leur discours n’est plus le privilège d’initiés, il doit pouvoir être discuté, débattu en public. Au fond, il en est désormais de la vérité ce qu’il en est de la loi. Celle-ci n’est plus reçue d’en haut, elle est instituée par les hommes eux-mêmes. Ils ne sont plus soumis à une autorité transcendante, ils sont les instituteurs de leur monde. Et cela, c’est la règle du jeu politique de la démocratie. Les Grecs ont inventé la philosophie parce qu’ils ont inventé la démocratie. Vernant disait que : « la philosophie est fille de la cité ».
  Questionner c’est donc sortir du mythe et corrélativement faire de la démonstration ou du moins de l’argumentation le principe d’une démarche rationnelle
  Qui dit démonstration, ou plus modestement argumentation, dit que l’esprit met en œuvre les principes de la raison, principes qui se prouvent en s’éprouvant dans la pratique de la communication interhumaine c’est-à-dire dans le dialogue. Voilà pourquoi le même mot, logos, désigne chez les Grecs parole et raison. Dès qu’on élève sa parole à la dimension de la raison, on rend possible la communication universelle. On arrache le rapport humain à la violence du fanatisme et en général d’une parole dévoyée par les passions. On inaugure un autre rapport à la vérité et conséquemment un autre rapport avec l’autre homme.
  « A côté de la révélation religieuse qui dans la forme du mystère reste l’apanage d’un cercle restreint d’initiés ; à côté aussi de la foule des croyances communes que tout le monde partage sans que personne ne s’interroge à leur sujet, une notion nouvelle de la vérité prend corps et s’affirme : vérité ouverte, accessible à tous et qui fonde sur sa propre force démonstrative ses critères de validité » J.P. Vernant.
 
·         Le deuxième correspond au V° siècle avant Jésus-Christ, à la rupture de la philosophie avec la pensée sophistique.
 
  L’une et l’autre ouvrent un espace de délibération publique mais alors que la rhétorique des sophistes a un enjeu stratégique puisqu’il s’agit de faire de la parole une technique de pouvoir, la philosophie subordonne le discours à l’exigence transcendante et universelle de la vérité et de la valeur. Le souci spéculatif n’est pas disjoint du souci éthico politique. Les deux engagements pour la vérité et pour le bien sont corrélatifs. Cela apparaît clairement dans l’allégorie où le principe d’intelligibilité suprême symbolisé par le soleil est aussi appelé l’Idée du bien.
 
  Conclusion : L’émergence d’une pratique philosophique des significations et des valeurs est un événement historique d’une grande portée. Platon le met en scène dans cette allégorie où il oppose :
  -Sur le plan de l’Etre (on dit plan ontologique) : le monde sensible et le monde intelligible.
  -Sur le plan de la connaissance : la connaissance sensible ou doxique et la connaissance intelligible.
  Le dualisme du sensible et de l’intelligible renvoie chez Platon au dualisme de l’âme et du corps.
  Ces distinctions surtout pédagogiques, ont pour vocation de montrer que la vérité et la valeur ne sont pas notre horizon immédiat, qu’une rupture s’impose avec l’immédiateté pour y accéder. La philosophie est donc inséparable de la réflexivité.