La Relativité
Qu'a-t-elle fait de l'espace et du temps ?

Depuis Euclide, la science distinguait l'un et l'autre. Mais Einstein va chambouler ce  bon sens spatio-temporel en mettant de l'espace dans le temps et du temps dans l'espace !

A première vue, il n'y a aucun rapport entre l'espace et le temps. D'ailleurs, une photographie permet de les distinguer en figeant la durée et en imprimant les volumes. Or, cette manière de voir est une erreur ! Comme Einstein nous l'a appris, les images des différents plans se sont déplacées à la vitesse de la lumière avant d'atteindre l'objectif de l'appareil et sont donc d'autant plus vieilles que leur plan est lointain. Pour une distance de quelques centaines de mètres, on peut envisager un décalage d'un demi-millionième de seconde. Une photographie n'a donc rien d'un instantané : elle capture non seulement une part d'espace, mais aussi une part de temps.
Ah ! Combien ces notions étaient plus confortables à imaginer avant que la science s'en mêle ! De fait, nul besoin de complexes chronogéométries pour chasser le mammouth, il suffisait alors de se laisser guider par sa perception instinctive des distances et des durées, sûrement proche de celle incrustée dans le crâne des autres animaux. Mais l'esprit humain, lui, ne résiste pas au plaisir de déconstruire ses propres programmes, quitte à en avoir le vertige.
Jusqu'à l'orée du XXème siècle, la science classique n'a cependant pas chamboulée ce bon sens spatio-temporel. Elle l'a même, en quelque sorte, formalisé. Ainsi, dans l'espace classique, édifié trois siècles avant notre ère sur les principes d'Euclide, la somme des angles d'un triangle est égale à 180°. Tandis que le temps classique, lui, est égrené par une horloge trônant au-dessus de l'Univers, imposant à tous le même tempo. Et les deux structures n'ont aucun rapport.
Galilée, le premier, va oser les mélanger à partir d'une remarque toute simple sur le mouvement : tranquillement installé dans son transat, les yeux fermés, un passager ne peut pas savoir si son bateau avance ou non. Dans les deux cas, il subit les mêmes lois de la nature. Son mouvement, s'il est constant, est donc imperceptible de l'intérieur et n'existe que relativement à un référentiel extérieur, par exemple la côte : il doit ouvrir les yeux pour savoir s'il est toujours à quai...

La relativité... de Galilée
En 1632, Galilée fait de cette remarque un principe : l'immobilité est un leurre ; qu'il soit en vitesse de croisière ou encore à quai, le passager est dans le même état spatio-temporel de repos. Il devient impossible de dissocier l'espace du temps. Guidé par ce "principe de relativité du mouvement selon le référentiel" et par sa volonté farouche de mathématiser son rapport à la nature, le savant italien définit alors des règles pour relier les différents référentiels entre eux : si deux bateaux se croisent à allure constante de 10 noeuds, la vitesse relative de l'un par rapport à l'autre est une simple addition, soit 20 noeuds. Il construit ainsi la première chronogéométrie de l'histoire : l'espace reste euclidien et le temps absolu, mais l'espace-temps devient un objet mathématique manipulable. Newton va pouvoir y faire tomber ses pommes et construire sa fameuse théorie de la gravitation.
Le ver de la raison est cependant dans le fruit de nos perceptions : en traduisant très rigoureusement le principe de relativité en termes mathématiques, on se rend compte qu'il existe en fait plein de façons cohérentes de calculer la vitesse relative des bateaux qui se croisent. La simple addition des vitesses proposées par Galilée n'est pas la seule règle possible pour relier les référentiels. Le raisonnement général mène en effet à une formule plus compliquée qui fait intervenir une constante, appelée c, dont non ne connaît pas, a priori, la valeur.
Sans le savoir, le savant italien n'a pris en compte que le cas particulier où cette constante est infinie, ce qui la fait disparaître de la formule, laissant une simple addition. Or, il n'y a aucune raison, a priori, que c soit infinie. Cette constante, qui s'exprime en mètres par seconde (homogène à une vitesse, donc), s'interprète comme la vitesse limite des mouvements : d'après la formule générale, aucun bateau ne peut avoir une vitesse supérieure à c, quel que soit le mouvement de celui qui le chronomètre. Pourquoi cette vitesse limite serait-elle nécessairement infinie ? Pourquoi notre espace-temps serait-il si simple ?

Einstein chamboule Newton
Albert Einstein va montrer, en 1905, que ce n'est justement pas le cas ! Avec sa théorie de la relativité restreinte, il est le premier à reconnaître dans la vitesse de la lumière cette vitesse limite qui se cachait dans le raisonnement de Galilée.
Peu importe la faon dont on la mesure, la lumière file en effet toujours à 300 000 km/h.
Cette valeur est énorme, mais nullement infinie. Le monde galiléen s'écroule... et les maux de tête commencent ! Exit cette distinction si confortable entre espace et temps : dorénavant, longueurs et durées s'entremêlent ; les distances ne sont plus absolues, mais varient selon la vitesse relative de celui qui les mesure : il n'y a plus de grande  horloge qui scande son tempo monotone, mais chacun a son temps propre, qui s'écoule à son rythme.
Et les chamboulements ne font que commencer. A peine sa nouvelle chronogéométrie achevée, Einstein veut reconstruire la théorie de la gravitation de Newton, qui se fondait si bien dans les formules galiléennes, mais n'est plus compatible avec les formules relativistes. Son point de départ, comme Galilée, est minimaliste : un plongeur qui se jette dans le vide en fermant les yeux ne ressent plus les effets de son poids pendant sa chute. Il ne peut savoir s'il tombe sous l'effet de la gravitation ou s'il flotte dans le vide.
Le physicien iconoclaste pressent que le principe de la relativité, jusqu'ici restreint aux mouvements uniformes, peut être généralisé aux mouvements accélérés de chute libre ; dans tous ces référentiels, les lois de la nature sont identiques. Il décèle dans cette idée ("la plus heureuse de ma vie", dira-t-il) le lien entre mouvement et gravitation dont il a besoin. Sans se jeter du haut d'une falaise, ce lien s'expérimente lors d'une montée en ascenseur : on se sent plus lourd lorsqu'il démarre et plus léger lorsqu'il freine. Pour Einstein, la gravitation n'est ainsi plus une force, mais un effet purement spatio-temporel lié à l'accélération. Comment un tel bouleversement est-il possible ? Parce que les Grecs avaient tort, répond Einstein. Dix ans après avoir montré que notre monde est plus compliqué que ne le supposait Galilée, le physicien va montrer qu'il est moins simple que ne le pensait Euclide.
Cela faisait toutefois quelques temps que les failles dans le raisonnement des géomètres grecs était connu. Pour s'en rendre compte, il suffit de prendre le mot "géométrie" au pied de la lettre et de tracer un triangle sur la surface de la Terre : celle-ci étant ronde, la somme des angles du triangle est supérieure à 180° ! Autrement dit, la surface du globe n'est pas un espèce euclidien. En fait, Euclide n'a pris en compte que des espaces plats ; et les mathématiciens de la fin du XIXème siècle vont logiquement faire surgir de nouvelles façons de jouer avec les cercles, droites et triangles dans des espaces tordus, des géométries moins intuitives mais tout à fait cohérentes...

Un espace-temps bosselé
Avec sa théorie de la relativité générale, en 1915, Albert Einstein va plus loin. Car en une magistrale équation, trop complexe pour être détaillée ici, il montre comment la matière courbe notre espace-temps : la masse de la Terre crée autour d'elle une sorte de dépression spatio-temporelle qui accélère les mouvements. Le plongeur n'est donc plus soumis à une force qui l'attire vers le bas, mais à un champ d'accélération qui perturbe son déplacement.
De quoi tout compliquer ! D'abord relativisé, puis entremêlé, l'espace-temps est désormais... bosselé. On peut se le représenter comme un sol inégal : les billes qui y roulent tombent dans les trous, comme le plongeur vers le centre de la Terre. Mais il s'agit en fait d'un espace-temps à quatre dimensions, non d'une simple surface, et sa courbure dépasse notre entendement. D'autant plus que sa description nécessite des outils mathématiques incompréhensibles pour le profane. "La communauté des physiciens elle-même a mis presque cinquante ans à se familiariser avec ces bouleversements spatio-temporels", assure Jean Eisenstaedt, grand spécialiste de la théorie relativiste.
Et ce n'est pas fini. Car si la théorie d'Einstein sait décrire la structure de l'espace-temps aux grandes échelles, elle se révèle incompatible avec ce que l'on sait de son comportement dans les petites échelles, où la gravité est très faible. Dans ce monde microscopique règne la physique quantique, l'autre grande théorie moderne, dont les lois sont encore plus incompréhensibles. Quel est le rapport entre l'espace et le temps dans ces petites échelles ? Les forces électromagnétiques et nucléaire sont-elles des microdéformations spatio-temporelles, comme la gravitation l'est aux grandes échelles ? Personne ne le sait.
Restent alors des hypothèses. Ainsi, certains pensent que la géométrie des plus infimes grains de l'espace-temps comprend des dimensions supérieures, d'autres qu'elle a une structure fractale... Mais, tant que les théories quantique et relativiste ne seront pas unifiées, ces grains nous glisseront entre les doigts. une seule chose pour l'instant est sûre : il y a bien un rapport entre l'espace et le temps, et il est fort compliqué...

Est-ce bien Einstein qui l'a inventée ?
On a fait - et on continue de faire - à Albert Einstein un mauvais procès : ce ne serait pas lui qui aurait inventé les deux théories relativistes, mais le français Henri Poincaré et le britannique David Hilbert... Cela ne résiste cependant pas à une analyse historique précise : certes, les mathématicien français a, le premier, écrit les bonnes formules de la relativité restreinte, mais c'est bien Einstein qui les a réunies en une théorie cohérente et qui en a compris les conséquences spatio-temporelles. Quant au mathématicien britannique, il a bien failli trouver en 1915 la bonne équation de la relativité générale, juste avant Einstein, mais c'est ce dernier qui, après dix ans de recherches acharnées, l'a finalement formulée le premier.

La théorie de la relativité générale a-t-elle été vérifiée ?
En 1915, Albert Einstein proposait lui-même trois tests, trois phénomènes incompatibles avec la théorie de la gravitation de Newton, mais que sa théorie de la relativité générale devait pouvoir expliquer. Le premier concerne le petit décalage dans le mouvement de Mercure par rapport aux prévisions newtoniennes, qui dérangeait les astronomes depuis plus de cinquante ans. Calculs à l'appui, Einstein montre dès 1915 que sa théorie, elle, colle parfaitement aux observations.

Le second test est le plus convaincant : la masse du Soleil courbe l'espace-temps, ce qui dévie les rayons lumineux des étoiles se trouvant derrière. Si le Soleil est absent, la position apparente des étoiles sera identique à leur position réelle (lignes rouges sur le schéma). Dans le cas contraire, les étoiles apparaîtront plus écartées qu'elles ne le sont en réalité (lignes jaunes). Après plusieurs échecs, car il faut simultanément une éclipse de Soleil et des étoiles bien référencées dans son prolongement ainsi que l'absence de nuages, Arthur Eddington observa en 1919 ce mirage gravitationnel, en accord avec la théorie relativiste. Il faudra attendre les années 1960 pour que le troisième test, basé sur le décalage dans les fréquences des atomes selon la masse de l'étoile, soit vérifié. La théorie est ainsi validée.

A quoi sert-elle ?
Ses prévisions sont, dans la plupart des cas, tellement proches de celles de Newton que la théorie de la relativité générale n'a longtemps eu aucune application pratique. Aujourd'hui, on en compte une : le GPS, Global Positioning System, qui permet de repérer son emplacement sur Terre en temps réel. Sans la prise en compte de la courbure spatio-temporelle terrestre, le décalage dans le calcul serait de plusieurs kilomètres par jours...

Pourquoi ne peut-on pas aller plus vite que la vitesse de la lumière ?
Imaginez qu'un observateur debout sur une surface plane décide d'évaluer les distance qui le séparent d'objets posés par terre en mesurant l'angle sous lequel il les voit. Rien ne l'en empêche, mais il ne pourra pas faire de mesures supérieures à 90° : aussi loin soit-il, aucun objet n'apparaîtra jamais au-dessus de l'horizon... Vouloir mesurer un mouvement avec la notion de vitesse crée en fait exactement le même effet de perspective. Cela dénote une vision très classique du monde, où temps et espace-temps sont clairement disjoints. Or, depuis Einstein, on sait que ces deux notions sont entremêlées et que la simple division de l'un par l'autre ne correspond pas directement à un déplacement. Dans ce monde relativiste, la division d'une distance par une durée aboutit très exactement à un calcul d'angle (dans un espace-temps à quatre dimensions)... Il ne faut alors pas s'étonner que toutes les mesures de vitesse soient inférieures à la vitesse de la lumière : cette valeur limite de 300 000 km/h correspond, aux unités près, à un angle de 90°. Imaginer aller plus vite est absurde : cela reviendrait à imaginer qu'un objet posé sur le sol puisse apparaître au-dessus de l'horizon !

Que signifie E = mc² ?
C'est la formule de la physique moderne par excellence : cinq petits symboles qui, en 1905, ont révolutionné deux siècles de Physique. toute matière, même au repos, possède une énergie propre... et cette énergie (E) est égale à la masse (m) de l'objet multipliée par le carré de la vitesse de la lumière (c²). Mais il faut repenser la notion de masse : elle est à la fois une quantité de matière soumise à la gravitation (masse pesante ou grave), et une résistance, par inertie, au déplacement (masse inertielle). En Physique classique, les deux sont égales... mais pas pour Einstein. Dans E = mc², m représente en effet la masse inertielle, qui augmente avec la vitesse de l'objet (plus l'objet est rapide, plus il est difficile d'accélérer encore). Au repos, celle-ci est minimale et égale à la masse pesante. Ce qui définit pour toute matière une énergie absolue, comme il existe une zéro absolue de température. Une masse inertielle de 1 kg possède une énergie interne de 1017 joules (plus de mille bombes de type Hiroshima), alors qu'elle n'a qu'une énergie cinétique de 15 joules quand elle est en mouvement à 20 km/h !