L'avenir du nucléaire
Après des années moroses, le nucléaire repart : 34 réacteurs sont en construction dans le monde, autant en préparation. Les États-Unis, qui n’ont pas mis en service de centrale depuis les années 1970, relancent leur programme. En France, un réacteur de troisième génération sera réalisé. Et depuis 2000, les principaux acteurs réfléchissent à une quatrième génération « propre », « durable », « inépuisable »… l’utopie est de retour !
Il n’y a pas que le pétrole qui va manquer. L’uranium, le combustible des centrales nucléaires, s’épuise. Même avec une modeste progression de la consommation énergétique d’origine atomique, il n’en resterait que pour un siècle. Est-ce la fin annoncée du nucléaire ? Pas forcément, car s’il n’y a pas d’uranium, il y a des idées.
Depuis 2000, un forum international de onze pays est chargé, à l’initiative des États-Unis, de réfléchir à l’avenir de cette énergie. Six systèmes dits de quatrième génération ont été sélectionnés pour remplacer les centrales actuelle ou leurs successeurs en 2030-2040. Ils devront remplir cinq objectifs :
être moins gourmands en uranium,
éviter la prolifération de matières dangereuses
mieux gérer les déchets produits
être viables économiquement (10% moins chers environ)
rester sûrs
Un système propose de compléter la panoplie du nucléaire en produisant non seulement de l’électricité mais aussi de la chaleur, qui servirait ensuite à fabriquer directement à partir de l’eau de l’hydrogène, un gaz dont certains considèrent qu’il remplacerait le pétrole grâce aux piles à combustible.
Sûre, propre, économe, durable… quels sont les secrets de cette génération prometteuse représentée par les GFR (refroidis au gaz), LFR (refroidis au plomb), MSR (refroidis aux sels fondus), SFR (refroidis au sodium), SCWR (refroidis à l’eau supercritique), VHTR (refroidis au gaz mais à très haute température) ?
D’abord, ces nouvelles « cocottes-minutes » sont bien plus chaudes que leurs devancières. Dans un réacteur actuel, l’eau circule au-dessus de 300°C. Demain, elle devra atteindre les 500 voire les 900°C. Tout simplement pour améliorer le rendement. En vertu du principe thermodynamique de Carnot, celui-ci est meilleur pour des températures élevées. « Aujourd’hui, les deux tiers de l’énergie sont perdus pour chauffer l’eau des rivières. Demain, il n’y en aura plus que la moitié », résume Joël Guidez, du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA). Par conséquent, le combustible sera mieux utilisé. « Avec la même quantité d’uranium, nous produirons cinquante fois plus d’énergie », précise Philippe Pradel, directeur de l’énergie nucléaire au CEA.
L’autre secret est que presque tous ces concepts (sauf VHTR et SCWR) utiliseront des neutrons rapides, c’est-à-dire plus énergétiques qu’aujourd’hui (thermique). Ces neutrons sont plus efficaces pour déclencher les réactions de fission ; d’où des économies supplémentaires en combustible. Ils permettent aussi de fissionner de nouveaux éléments comme les actinides mineurs et réduire ainsi les quantités de déchets. Enfin, ces systèmes sont régénérateurs car les neutrons rapides sont également plus efficaces pour transformer l’uranium naturel 238, non fissile, en plutonium susceptible de fissionner. En fait, ces réacteurs produisent leur propre combustible, le plutonium, au point de brûler autant de matières fissiles qu’ils en produisent. Un peu de cet isotope doit seulement être apporté au démarrage pour amorcer les réactions. « C’est comme si, sur 100 bûches, vous aviez une bûche de bois sec et 99 de bois mouillé. Un surgénérateur, c’est une cheminée bien conçue où en brûlant votre bois sec, vous séchez une bûche humide. En répétant l’opération, vous brûlez finalement vos 100 bûches », résume Joël Guidez.
Dernier secret de ces systèmes : malgré les apparences, il s’agit en fait de vieux concepts ! Quatre parmi les six ont déjà fait leurs preuves expérimentales. La première « pile » nucléaire était un ancêtre de la famille SFR : le réacteur EBRI à Idaho Falls (États-Unis) était refroidi au sodium et potassium liquide en 1951. Plus tard, en France par exemple, Phénix et Superphénix reposeront sur les mêmes idées. L’Inde et le Japon envisagent d’en fabriquer avant 2030.
Aux États-Unis, un réacteur à sels fondus du genre MSR a fonctionné de 1965 à 1969. Des sous-marins russes ont été propulsés par des réacteurs au plomb type LFR. L’Allemagne a expérimenté avec un certain succès un prototype de VHTR dans les années 1980. L’Afrique du Sud veut reprendre le flambeau et accélérer le développement de cette idée. Bref, il n’y a guère que le GFR et le SCWR à être véritablement innovants. Pour le premier, il faut inventer un combustible résistant à très haute température sans ralentir les neutrons. Pour le second, il faut maîtriser les incidents dus à des dépressions dans l’eau supercritique. Enfin, pour tous, baisser les coûts, améliorer la sécurité, mais surtout développer de nouveaux matériaux prendra encore du temps.
Ce dernier point est en fait l’un des plus délicats. Dans tous ces concepts, les structures seront soumises à des contraintes plus dures que dans la génération précédente. Les températures sont plus élevées, des hautes pressions sont parfois nécessaires et, dans la plupart, l’eau est remplacée par des fluides plus « agressifs » comme le plomb, le sodium, les sels fondus… Bref, il faudra des matériaux plus performants et plus chers que l’acier d’aujourd’hui pour résister. Révéler ces secrets soulève aussi quelques questions.
Moins de déchets ?
Ce n’est pas si simple. D’abord, les produits de fission sont toujours présents et leur quantité augmente proportionnellement à la production pour tous les réacteurs. Ensuite, les générateurs rapides incinéreront les actinides mineurs, sous-produits des réactions nucléaires, mais pas tous. Les stocks d’actinides produits jusque vers 2040, voire plus, sont vitrifiés et donc irrécupérables. Seuls les déchets après 2040 sont donc concernés par la transmutation éventuelle… Enfin, il reste la question du plutonium. Il ne va pas disparaître mais simplement changer d’étiquette. Aujourd’hui, il reste « valorisable ». Avec la quatrième génération, il devient « valorisé » en entrant dans la composition du combustible. Nécessaire au fonctionnement de ces réacteurs régénérateurs, sa quantité n’augmentera plus et se stabilisera vers 700 tonnes (200 tonnes aujourd’hui) selon les calculs effectués par le CEA et présentés lors du récent débat public sur les déchets par Sylvain David, du CNRS. « Les simulations montrent que la transmutation ne fait sentir ses effets qu’à long terme », précise-t-il. Pour le même débat, Benjamin Dessus, président de Global Chance, avait fait des calculs similaires, « on retrouvera au total en 2120 les mêmes quantités d’actinides et de plutonium qu’en 2040. On déplace un problème de long terme, les déchets, vers un problème de court terme, le plutonium ».
Moins de prolifération ?
En fait, la prolifération changera de nature. Aujourd’hui, le risque est un détournement des usines civiles d’enrichissement de l’uranium à des fins militaires ; l’uranium des bombes étant plus enrichi que celui des centrales. La quatrième génération fait disparaître ce risque mais la prolifération concerne aussi le plutonium, qui entre dans la composition d’une bombe atomique. Or, ces réacteurs ont besoin de plutonium. Il faut donc retraiter les « cendres » et séparer le plutonium pour faire de nouveaux combustibles… d’où des « fuites » de plutonium possibles. L’Agence internationale de l’énergie atomique verrait bien un retraitement régionalisé par grandes zones géographiques pour mieux contrôler les matières.
Moins de risques ?
Aucune installation n’est à l’abri d’un accident. Mais, même en fonctionnement normal, la quatrième génération crée quelques incertitudes, justement à cause du retraitement. Robert Dautray, ancien directeur des applications militaires du CEA, a émis de sérieux doutes en mai 2005, dans un rapport à l’Académie des Sciences. La manipulation du plutonium et des actinides mineurs est délicate et complexe… « Les bases scientifiques et techniques nécessaires à la conception d’un tel système sont pour une large part inconnues », écrit Robert Dautray. Lors du débat public sur les déchets, Florence Fouquet, de la Direction générale de l’énergie et des matières premières, semblait aller en ce sens : « C’est la Hague puissance 10 ». Pourtant, au CEA, on est serein, « on traitera quatre fois moins de combustible », déclare Philippe Pradel.
Le projet a quand même tout pour séduire. Hélas ! il ne résoudra pas à lui seul les grands problèmes qui sont devant nous : la fin du pétrole et le réchauffement climatique. Car même si le nucléaire ne consomme pas d’énergie fossile et ne produit pas de CO2, quand il augmente, c’est toute la consommation qui grimpe. Sa part dans l’énergie primaire en 2050 restera au-dessous de 10%, comme aujourd’hui, quand le total aura plus que doublé ! En outre, en étant peu cher, le nucléaire fait croire que toute énergie est bon marché et sape donc les efforts de sobriété énergétique, pourtant la seule alternative pour sortir d’une crise énergétique et climatique. L’utopie aveugle. Sans compter qu’elle est aussi un sacré pari. Un nouveau Tchernobyl avant 2040 et la quatrième génération et ses promesses risquent de ne pas voir le jour.