Décomposer la lumière ?

 

            L’histoire de l’analyse de la lumière, c’est un peu celle de toute l’astronomie ...

 

            Parce que l’homme est doté de capteurs sensibles à la lumière, toute variation d’intensité, tout éclat anormal attire son attention . De tous temps, il a été subjugué par ces points lumineux qui luisent dans la nuit sombre et dégagée . Quelle est leur nature ? Pourquoi, quel que soit le moyen employé, ne peut-on atteindre ces cieux ? Comment lier cette vision à une réalité maîtrisable et possible à appréhender ? Les avancées astronomiques se confondent avec ces questions, et c’est avec la Renaissance et l’avènement de la méthodologie scientifique que tout bascule .

            En 1609, la lunette de Galilée amène par la même occasion les défauts d’optique liés à la nature de la lumière ; en 1637, c’est Descartes qui expose les lois de la réfraction et leurs applications dans la Dioptrique . En 1665, la diffraction est découverte par Grimaldi puis l’année suivante c’est Roemer qui établit que la lumière a une vitesse finie .  

Olaus ROEMER

            La lumière devrait par la suite être analysée de deux façons, par deux théories : la nature corpusculaire avancée par Isaac Newton, et la nature ondulatoire de Huygens, beaucoup plus tard . En 1672, Newton est le premier a exposer la nature composite de la lumière blanche . Cette observation ouvre la voie à de nouvelles formes d’analyse qui déboucheront notamment en 1864 sur la théorie électromagnétique de Maxwell .  

Christian HUYGENS

Isaac NEWTON

James Clerk MAXWELL

            Si Newton supposait l’existence d’un rayonnement au-delà du visible, du côté du rouge, c’est William Herschel qui, en 1789, le mettra en évidence en déplaçant un thermomètre dans le rayonnement solaire décomposé par un prisme (parce que Bradley avait inventé le thermomètre à mercure en 1729) . En 1835, Ampère formulera le principe de l’origine vibratoire commune de la lumière visible et invisible .  

André-Marie AMPERE

            En 1801, Ritter avait déjà constaté l’action photochimique d’un rayonnement, bientôt baptisé ultraviolet, sur les sels d’argent . Autant de découvertes qui montrent qu’il y a de l’information au-delà de ce que nous voyons . Et l’histoire ne s’est pas arrêtée là : infrarouge lointain, ondes radar, ondes radio d’un côté, ultraviolet lointain, rayons X, rayon g, rayons cosmiques de l’autre balisent dorénavant tous les domaines du rayonnement électromagnétique .  

            En étudiant plus finement la décomposition de la lumière solaire par un prisme, Fraunhofer y découvre des milliers de raies, dont l’origine ne sera expliquée qu’en 1859 par Gustav Kirchhoff . Un fabuleux terrain vient d’être ouvert, et Huygens s’y rue en appliquant la spectroscopie aux étoiles .  

Joseph von FRAUNHOFER

Gustav KIRCHHOF

            Dans le seul rayonnement visible, on pouvait obtenir pour des milliers d’étoiles des spectres chargés de raies ; chaque raie étant la signature d’un élément, il était possible de connaître la composition d’objets lointains sans avoir à s’y rendre ... Et l’astronomie, trop longtemps cantonnée aux seules mesures de positions ou de mouvements, laissait la place à l’astrophysique . Aujourd’hui encore, la spectroscopie reste l’un des outils les plus puissants de l’étude des étoiles : étendue en d’autres longueurs d’ondes du domaine électromagnétique, elle permet de connaître la composition des astres, leur vitesse radiale, leur température, leur distance .

            En 1880, l’arrivée de la photographie, combinée à la spectroscopie, associées à des instruments toujours plus puissants permit un travail de catalogage sans précédent . Du Big Bang à l’évolution stellaire ou à la structure de l’Univers, tous les modèles actuels sont redevables aux pionniers de l’étude du rayonnement lumineux . Tant et si bien que l’astrophysique d’aujourd’hui se définit comme « les mille et une façons d’isoler l’information provenant des étoiles par la décomposition du rayonnement qui nous en arrive . »

Concrètement, à quoi ça sert ?

            Pour décomposer la lumière, on utilise principalement deux dispositifs de base : le prisme est le premier utilisé dans l’histoire, mais en connaissant mieux la nature de la lumière, les réseaux (surfaces de verre gravées de plusieurs milliers de traits par millimètre de support) sont tout aussi efficaces .

            La méthode consiste à encadrer le spectre enregistré par un spectre de comparaison qui peut être le spectre d’une étoile déjà connu, un spectre de lampe de laboratoire ... La comparaison est ensuite d’autant plus aisée que l’opération est à présent numérisée et que des logiciels permettent de calibrer et comparer les clichés . On peut alors utiliser le spectre obtenu pour diverses interprétations :

            - la nature des composants de l’objet étudié : lorsque la lumière provenant d’un nuage de gaz léger , chaud et peu dense, est analysée, le spectre comporte une série de raies brillantes . En revanche, lorsqu’un objet émet de la lumière et que celle-ci traverse un nuage de matière, les photons sont absorbés puis réémis dans n’importe quelle direction, atténuant l’intensité dans certaines longueurs d’onde, ce qui se traduit par des raies sombres sur le spectre . On peut donc connaître la composition d’une concentration de matière ainsi que sa position relative à une source excitatrice .

            - la vitesse par rapport à l’observateur : le décalage des raies par rapport à celles obtenues en laboratoire peut se faire soit vers le bleu, soit vers le rouge . C’est Christian Doppler qui en fournit en 1842 la première interprétation, qui porte son nom : le décalage correspond à la formule     D = 1 + N   , avec N vitesse radiale (approche ou éloignement) par rapport à l’observateur ; lorsque la source s’approche, on définit par convention N négative . Une analyse plus fine en astrophysique permet de distinguer l’effet Doppler relativiste, le décalage vers le rouge dû à la gravitation, et le décalage vers le rouge cosmologique, dû à l’expansion universelle .  

Christian DOPPLER

            - la mesure du champ magnétique : en 1896, Pieter Zeeman découvre que la présence d’un champ magnétique important dédouble chaque niveau d’énergie d’un atome . Les raies du spectre sont, elles, quadruplées car elles sont fonction du niveau de départ et de celui d’arrivée . En fait, deux des quatre raies sont trop proches, d’où l’on observe un triplet de raies . Hale employa cette méthode pour montrer le champ magnétique associé aux taches solaires, en 1908 .  

Pieter ZEEMAN

George Ellery HALE

            - la température de l’objet.

 

            Cependant, des perturbations dans la lecture des spectres peuvent être introduites par la présence de plusieurs objets très rapprochés confondant les émissions, par un trop grand nombre de molécules entraînant des raies trop larges et superposées, par un fort rayonnement synchrotron (aplatissement du spectre), par la capture d’électrons dans le milieu (spectre plat) .

            Mais riche de ses possibilités, la spectrographie a été étendue en 1931 à la radioastronomie puis aux autres longueurs d’onde ; il s’agit d’un outil extrêmement efficace auquel on doit bon nombre de théories de premier plan, telle la nucléosynthèse à l’origine de la belle histoire de la naissance, de la vie et de la mort des étoiles ...

 

            Dans la théorie, Einstein fit un grand pas quand en 1905 il publia sa théorie des quanta ; il y associe à tout rayonnement de fréquence n des grains de lumière, ou quanta, dans l’énergie vaut h.n avec h constante de Planck, la longueur d’onde restant liée à cette fréquence par la relation l = c / n (c vitesse de la lumière) . Puis c’est Bohr qui, en 1913, imagine que les atomes se trouvent dans des états d’énergie discrets et que le passage d’un état énergétique  excité à un état inférieur (ou inversement) doit s’accompagner de l’émission (resp. De l’absorption) d’un quanta d’énergie correspondante et de longueur d’onde donnée par la formule :

avec R constante de Rydberg (109677,58 cm-1) . Concrètement, chaque atome possède des niveaux d’énergie, véritable signature de l’élément . Les transitions entre niveaux ne sont possibles qu’entre les niveaux considérés et selon des règles très rigoureuses . Par conséquent, en étudiant les raies correspondantes aux ondes émises ou absorbées, on peut identifier l’élément concerné . Par exemple, s’il s’agit d’une raie sombre dans le spectre, il y a eu absorption d’énergie par l’élément considéré ...

            L’hydrogène est un cas tout à fait particulier ; il est reconnaissable sur les spectres grâce à un certain nombre de séries caractéristiques correspondante à des transitions entre les divers niveaux d’énergie . Ainsi la raie Ha est la plus célèbre en astronomie, car elle correspond à l’élément le plus abondant et à la série observable dans le visible pour cet élément . L’hydrogène est de loin le plus abondant des atomes de l’Univers, mais l’hélium  constitue environ 25 % de la matière observée et lui aussi peut subir des ionisations : on appelle He I l’hélium une fois ionisé (perte d’un électron) et He II l’hélium dépossédé de ses deux électrons donc ionisé deux fois .

            Partant de là, des difficultés surviennent parfois : l’hélium He II, pris dans certains états d’énergie (à partir du niveau n  = 4), on obtient des valeurs de raies qui coïncident une fois sur deux au dixième de nanomètre près avec celles de l’hydrogène, ce qui n’est pas sans créer un problème dans l’identification .

He II (nm) Hydrogène
n1 = 4 n2 = 6 656,0 656,3
n2 = 8 485,9 486,1
n2 = 10 433,9 434,0
n2 = 12 410,0 410,1
n2 = 14 396,8 397,0

            Un autre problème est lié au décalage spectral lié lié au déplacement de la source lumineuse étudiée par rapport à l’observateur . Ce décalage est vers le rouge si la source s’éloigne et vers le bleu si elle se rapproche ; cela se traduit en pratique par un déplacement des raies (cf. Grandes Théories, Effet Doppler) dont on déduit la vitesse relative par simple lecture du décalage avec un étalon :

            C’est de l’observation de nombreuses galaxies aux décalages presque toujours orientés vers le rouge que Hubble et Humason déduirent la loi selon laquelle le décalage augmente avec la distance : le quasar OQ172 a été mesuré avec un z = 0,91, ce qui donne une vitesse de 273.000 km/s ... Mais cependant la lecture de ces décalages n’est pas sans poser certains problèmes : il est fréquent de détecter une série atomique dans un domaine de longueur d’onde où le détecteur qui devait repérer la raie n’est plus efficace (la raie Ha est décalée dans l’infrarouge par exemple) .

 

Elément

Longueur d’onde (nm)

Remarques

O I

777,2 et 844,6

 

C II

426,7

 

C III

465,0

étoiles type Wolf Rayet

C IV

580,1 et 581,2

 

Na I

589,0 et 589,6

 

Ca I

422,6

raie G du Soleil

Ca II

393,4 et 396,8

raies H et K du Soleil

Mg II 448,1

Raies spectrales les plus utiles en astrophysique

 

Spectres et structures atomiques

    Pour chaque atome ou composé chimique, le spectre est une sorte d’empreinte digitale .

Les scientifiques du siècle dernier ont établi un inventaire des substances simples appelées éléments chimiques constituées d’une seule espèce de particules indivisibles ou atomes . Les innombrables autres substances sont toutes des combinaisons d’éléments, des combinaisons d’unités formées par deux ou plusieurs atomes de nature différente . Chaque atome est désigné par un symbole, et les molécules sont désignées par une combinaison de ces symboles indicés du nombre d’atomes présents : la molécule d’eau, composée d’un atome d’oxygène O pour deux atomes d’hydrogène H, a pour formule H2O .

            En 1859, Kirchhoff et Bunsen découvrirent que le spectre d’une substance simple, prise à l’état gazeux et à température élevée, consistait en un ensemble de raies lumineuses, lesquelles, selon leur position, leur intensité, étaient caractéristiques de chaque élément : les gaz irradient de la lumière dans des longueurs d’ondes déterminées.

Robert BUNSEN

Voir aussi la lumière et les ondes

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