Un thermomètre pour les étoiles

Lorsque Joseph Stefan (1835-1893), après avoir mesuré avec des instruments sensibles à l’infrarouge la quantité de chaleur émanant de corps assimilables à des corps noirs à différentes températures, eut établi la loi qui porte son nom et selon laquelle la quantité d’énergie rayonnée croît proportionnellement à la puissance quatrième de la température absolue, on eut en main un moyen de connaître  la température du Soleil.

En effet, après avoir mesuré la quantité d’énergie qu parvient du Soleil, disons sur une surface de un centimètre-carré, il suffit de multiplier cette quantité par le nombre de centimètres-carrés qui se trouvent à la surface de la sphère ayant pour ayant la distance Terre-Soleil, pour obtenir l’énergie rayonnée dans l’espace, à chaque seconde, par le Soleil. Les dimensions du Soleil étant connues, on calcule immédiatement la quantité d’énergie émis, par seconde et par chaque centimètre-carré de la photosphère solaire. Etant donné que la loi de Stefan indique quelle température doit avoir un corps noir rayonnant une quantité donnée d’énergie par unités de temps et de surface, on trouve que la température superficielle du Soleil est de 5.800 K.

Naturellement, pour parvenir à ce résultat, on a dû poser comme hypothèse que le Soleil rayonne à la manière d’un corps noir. Aussi étrange que cela puisse paraître, le Soleil peut effectivement être considéré comme un corps noir, du moins approximativement – en rappelant à ce propos que « corps noir » est une expression conventionnelle qui peut, dans certains cas, désigner également une source de lumière très intense.

 

Cependant, pour les étoiles, il est impossible d’utiliser ce procédé de la façon décrite ; ou, pour être plus précis, cela n’est possible que dans quelques cas exceptionnels. En effet, après avoir mesuré la quantité d’énergie qui, à chaque seconde, nous parvient d’une étoile, il convient, pour déterminer la température, de connaître la distance de l’étoile et sa taille, puisqu’il est clair que la même quantité d’énergie peut nous parvenir de deux étoiles dont l’une a une température inférieure à l’autre, mais se trouve plus proche de nous ou est plus grande que l’autre. Cependant, c’est précisément à partir de la température que l’on obtient, à quelques rares exceptions près, les dimensions des étoiles ! Ce problème semble donc insoluble.

 

Qu’en est-il donc de toutes les autres ? Dans certains cas, très nombreux mais qui représentent néanmoins un très faible pourcentage, on tire parti d’une des propriétés du rayonnement de corps noir, à savoir que l’augmentation de la température entraîne un déplacement, vers les longueurs d’onde les plus faibles, du maximum de densité spectrale. Il s’agit de la loi de Wien […]. En supposant, comme on le fait d’ordinaire, que les étoiles rayonnent comme des corps noirs, il suffit de mesurer l’intensité d’émission en fonction de la longueur d’onde, et de trouver pour quelles longueurs d’onde elle est maximale ; la relation de Wien permet alors d’en déduire la température.

Le procédé est théoriquement très simple, mais dans sa réalisation concrète, les mesures sont délicates et difficiles. Pour le Soleil, tout se passe à merveille : il émet plus de lumière qu’il n’en faut et on peut réaliser des mesures d’une grande précision pour tout le spectre. Mais lorsqu’il s’agit des étoiles, rien ne va plus : il est évident que les étoiles les plus lumineuses du ciel donnent des spectres permettant des mesures d’intensités assez précises, mais lorsqu’on passe aux étoiles plus faibles, même aux quelques centaines de milliers d’étoiles qu’on peut apercevoir à l’aide d’une petite lunette, la lumière est tellement faible que les mesures deviennent très difficiles ; et il inutile de parler des millions d’étoiles qu’on ne peut voir qu’avec de gros télescopes.

 

Les astronomes ont cependant habilement contourné la difficulté. Un coup d’œil aux courbes de Planck rappellera au lecteur que la variation de température d’un corps noir entraîne la variation non seulement de la quantité totale d’énergie rayonnée, mais aussi de la forme de la courbe qui représente la densité spectrale d’énergie rayonnante en fonction de la longueur d’onde ; le rapport entre les intensités mesurées pour deux longueurs d’onde différentes est caractéristique de chaque courbe et permet donc d’évaluer la température.

Prenons, par exemple, la courbe correspondant à la température de 12.000 K. La densité spectrale d’énergie à 4 500 Å (dans le violet) est trois fois supérieure à celle que l’on constate à 7 000 Å (dans le rouge) : ce rapport est typique d’une température à 12.000 K. Pour la courbe correspondant à 3.000 K, le rapport entre les densités spectrales d’énergie pour les deux mêmes couleurs est, en revanche, de 1/5 : le rayonnement violet est cinq fois moins intense que le rayonnement rouge.

Il suffit donc de mesurer le rapport d’émission entre les deux couleurs pour connaître la température du corps noir. Si on admet qu’une étoile est un corps noir, il suffit donc, pour en évaluer la température, de mesurer l’intensité du rayonnement reçu  pour deux domaines différents du spectre ; et, aussi étrange que cela puisse paraître, il n’est pas nécessaire d’avoir le spectre complet de l’étoile pour y parvenir ! Comment est-ce possible ? C’est très simple : il suffit d’isoler, grâce à des filtres opportuns, les rayonnements de deux couleurs différentes dans la lumière de l’étoile, et d’effectuer une mesure d’intensité pour chacun d’eux. On choisit, par exemple, un filtre qui laisse passer uniquement la lumière bleue, et on mesure l’intensité de la lumière stellaire dans le bleu ; puis on fait de même pour la lumière jaune : le rapport entre ces deux intensité permet de déterminer la température.

Le procédé consiste, en substance, à admettre qu’une étoile rayonne comme un corps noir et à identifier, parmi les courbes d’émission du corps noir aux différentes température, celle qui présente, entre le bleu et le jaune, le même rapport des densités spectrales d’énergie rayonnant que celui qui a été trouvé pour l’étoile : la température correspondant à cette courbe est considérée comme la température de l’étoile.

 

L’astronome a donc à sa disposition deux méthodes fondamentales pour déterminer la température d’une étoile.

La première de ces méthodes est fondée sur la détermination de l’intensité globale du rayonnement qui nous parvient. A partir de celle-ci, connaissant la distance et les dimensions de l’étoile, on en déduit l’énergie rayonnée par unité de surface de l’astre ; connaissant la température que doit avoir un corps noir  pour avoir le même pouvoir d’émission, on obtient la température de l’étoile. La température ainsi obtenue est appelée température effective.

La seconde méthode repose sur la détermination des rapports existant entre intensités du rayonnement pour deux longueurs d’onde différentes ou, comme on dit couramment, pour deux couleurs différentes ; en d’autres termes, elle est fondée sur la mesure de l’indice de couleur. Pour appliquer cette méthode, il n’est pas nécessaire de connaître la distance ou les dimensions de l’étoiles : cette température est la température de couleur.

Si les étoiles étaient réellement des corps noirs, ces deux températures seraient égales. Mais comme elles ne se comportent pas rigoureusement comme telles, la température effective et la température de coureur diffèrent un peu. Cependant, l’une et l’autre de ces méthodes donne une valeur approximative suffisante pour une étude générale des propriétés physiques des étoiles. Ce n’est que lorsqu’on veut étudier plus en détail une étoile particulière qu’il est nécessaire d’être plus pointilleux.

Il ne faut pas oublier que pour établir la température effective, il convient de mesurer tout le rayonnement qui nous parvient. Il faut étendre les mesures à l’infrarouge et à l’ultraviolet lointains, ce qui est impossible depuis la surface terrestre : c’est pourquoi on a généralement recours  à des évaluations plus ou moins valables de la quantité de rayonnement infrarouge et ultraviolet absorbée par l’atmosphère.

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